Deglet Nour de Tolga, raisin de table de Médéa, olive de Sig, figue sèche de Beni Maouche, cerise de Miliana... On les appelle communément les «produits de terroir» et ils sont très prisés pour leurs vertus nutritives et sanitaires. Ils constituent un véritable gisement d'«or vert» qui attend d'être judicieusement exploité. Mais faute d'un travail de valorisation plus soutenu et en raison d'une politique de labellisation qui tarde à porter ses fruits, nos produits agricoles de terroir peinent à concurrencer ceux de nos voisins méditerranéens. Au-delà de l'aspect proprement technique et des approximations sémantiques, il faut dire que ce type de produits a le vent en poupe ces dernières années. C'est que de plus en plus d'Algériens ont pris conscience de l'importance, sinon de «manger bio», à tout le moins de manger «sain». Et si, en prime, on y ajoute la petite touche culturelle, affective, le petit côté «Madeleine de Proust», le zeste de tradition, forcément la chose prend encore plus de sens. Mais d'abord, qu'est-ce que l'on entend exactement par «produits de terroir» ? «Un produit de terroir, comme son nom l'indique, est issu d'un terroir, et qui dit terroir, dit terre, dit localité, dit caractéristiques géographiques, techniques, climatiques, écologiques et sociales d'un territoire», explique Zoubir Sahli, agroéconomiste et fin connaisseur du sujet (voir entretien). Fonds de «terroirs» Un recensement non exhaustif des produits de terroir donne à voir un large éventail de ressources naturelles où se mêlent fruits et légumes, viandes ovines et même les plantes aromatiques et médicinales. Dans une étude intitulée : «Produits de terroir et développement local en Algérie» (Options Méditerranéennes : Série A. Séminaires Méditerranéens ; n° 89, 2009), Zoubir Sahli a sérié méthodiquement une large gamme de produits «ayant une qualité, une origine et une réputation spécifiques». «On note essentiellement les produits végétaux typiquement méditerranéens comme le vin de cépage, les raisins de table, l'olive de bouche et l'huile d'olive, les fruits et légumes (tomate, pomme de terre primeurs et extra-primeurs ; abricot, pomme, grenade, figue sèche…) et enfin les produits de cueillette comme les plantes aromatiques et médicinales (thym, coriandre, jasmin, orange amère, géranium, sauge bleue, câpre, menthe, lavande sauvage….)». Et d'ajouter : «On voit apparaître (sur des marchés formels, mais aussi sur des marchés encore informels) des produits qui sont fortement appréciés par les consommateurs citadins comme l'huile d'olive et les figues sèches de Kabylie, le miel de montagne ‘‘multi-flore'', le pain ‘‘metloû'' (galette maison), la ‘‘rechta'' (pâtes traditionnelles des régions de Constantine et d'Alger faites à la main), le son et les germes de blé, le ‘‘hermes'' ou ‘‘fermes'' (abricot séché), le ‘‘klil'' (fromage de brebis)». Dans un autre document intitulé «Le rôle des pouvoirs publics dans la valorisation des produits agricoles du terroir», un cadre supérieur du ministère de l'Agriculture, Youcef Redjem-Khodja, fournit des éléments précieux à ce sujet. Le document distingue les «produits d'origine végétale» et «les produits d'origine animale». Parmi les produits végétaux, on trouve beaucoup de fruits de terroir : le raisin de table du Titteri et du Dahra (variété Ahmar Bouamar et Mokrani), l'abricot de Messaâd (Aurès), la pêche de Bouhlou (Hauts-Plateaux steppiques), la cerise de Miliana (Monts du Dahra) ou encore la pomme de Tlemcen. Pour la deuxième catégorie, retenons la viande de mouton de la race «Ouled Djellel» et «Rembi», élevées essentiellement dans les hautes plaines steppiques du Centre (Djelfa, Birine, Aïn Ouessara, Hellala…), ainsi que la viande de mouton de la race «Hamra» (que l'on trouve à Chott Echergui à l'Est, dans l'Atlas saharien au Sud et dans les monts de Saïda et Tlemcen à l'Ouest). Le représentant du ministère de l'Agriculture cite également le miel de montagne, notamment celui de l'Atlas blidéen. «Rihet lebled» Force est de le constater : les produits de terroir rencontrent un succès fou depuis quelques années. La demande ne fait que s'accroître et s'exprime même de l'étranger, de la part notamment de la «diaspora» algérienne, de plus en plus friande de ces produits qui fleurent bon le pays profond, «rihet lebled». Et l'on ne compte pas le nombre de foires, de salons, d'expos-ventes, de colloques, de séminaires, de pages Facebook et autres événements dédiés à la promotion de ces produits très prisés. On voit aussi apparaître des boutiques spécialisées qui proposent toute une gamme de produits «traditionnels», réputés plus authentiques» et plus respectueux de l'environnement. Les plateformes de vente de produits «100% DZ» fleurissent sur Internet, ciblant sans complexe le marché international. Cet intérêt accru pour un régime nutritionnel de qualité pousse de plus en plus de professionnels de l'agroalimentaire à exploiter ce filon. On note par ailleurs l'émergence d'initiatives citoyennes soucieuses d'améliorer le contenu de notre panier. Retenons à ce propos le formidable travail du Collectif Torba qui inscrit sa démarche dans l'agroécologie. Outre le développement de l'agriculture familiale, l'organisation d'ateliers pour encourager les citadins à pratiquer l'agriculture urbaine et à «verdir» nos cités, l'éducation environnementale auprès des enfants, Torba œuvre ardemment pour inciter les Algériens à «consommer terroir». Dans son document fondateur, avec pour devise «Cultivons notre santé», le Collectif Torba relève : «Un engouement certain du consommateur pour les produits de terroir est constaté ces dernières années. Contrastant avec la vie urbaine et les produits industriels de large consommation, le terroir attire aujourd'hui une clientèle de plus en plus intéressée par des produits de qualité et renforçant la santé». Et d'exhorter nos concitoyens à changer leur modèle de consommation : «Comment valoriser ces produits de terroirs ? Il suffit à chacun de nous de privilégier les aliments cultivés localement, produits dans le respect de l'environnement, de la santé et du patrimoine local. Il y a les miels, l'huile d'olive, les céréales locales, le poulet et les œufs de ferme, le lait de vache et de chèvre, la viande ovine de nos steppes, les dattes, les variétés locales de légumes, et fruits cultivés sans produits chimiques…Il faut se donner les moyens de consommer ces produits locaux avant que les pratiques traditionnelles ne se perdent. Notre collectif a pour ambition de faire connaître toute la richesse des produits de terroir à travers l'organisation ou la participation aux expositions, la médiatisation et, bien sûr, la consommation sans modération, pour notre plaisir, notre santé et celle de nos enfants !» De «l'or vert» dans nos campagnes S'ils sont fortement prisés pour leur valeur nutritive et leurs vertus sanitaires, les produits de terroir, insistent les spécialistes, sont une aubaine pour développer les zones marginalisées. La valorisation de ces gisements d'or «vert» que recèlent nos campagnes est de nature à changer sensiblement le quotidien de nos régions délaissées. Dans un rapport sur le développement local élaboré par un groupe d'experts pour le compte du ministère de l'Industrie, une attention particulière est portée sur «la promotion des produits du terroir». Sous-titré «51 mesures visant le développement économique local», le rapport qui date de décembre 2011 note : «Le développement et la promotion des différents produits du terroir est une alternative prometteuse pour le développement local». «En Algérie, il faudrait une politique volontariste pour identifier, labelliser, protéger, encourager et commercialiser le produit de nos terroirs», recommandent les auteurs de ce rapport. Ils invitent en conséquence les pouvoirs publics à «identifier les gisements divers des localités permettant d'améliorer l'attractivité du territoire pour attirer les investisseurs» (proposition 32) et à «instaurer des signes et des labels officiels de qualité» (proposition 33). «L'attribution d'Indications géographiques (IG) ou d'Appellation d'origine protégés (AOP) à des produits typiques comme les produits de montagne (les dattes Deglet Nour, raisins de table et huile d'olive) permet leur meilleure identification». Aucun produit n'est officiellement labellisé Reste que le processus de labellisation en est encore à ses balbutiements et tarde à porter ses fruits. A l'heure actuelle, aucun produit de terroir n'est officiellement labellisé. En 2013, un décret a été promulgué (le décret exécutif 13-260 du 7 juillet 2013 fixant le système de qualité des produits agricoles ou d'origine agricole) balisait juridiquement le terrain pour la mise en place d'un dispositif institutionnel de labellisation. Le décret dispose en son article 2 qu'il est «entendu par système de qualité des produits agricoles ou d'origine agricole, leur reconnaissance par les signes distinctifs suivants : l'appellation d'origine (AO), l'Indication géographique (IG), l'Agriculture biologique (AB) ; les labels agricoles de qualité». Le décret annonçait dans la foulée l'instauration d'un «système national de labellisation» (art.4) Celui-ci est «organisé en un comité national de labellisation, un secrétariat permanent, des sous-comités spécialisés et des organismes de certification». Le 30 juillet 2015, le «Comité national de labellisation» a été officiellement installé. Pour le moment, seuls trois produits pilotes font l'objet d'une démarche de labellisation : la Deglet Nour de Tolga, la figue sèche de Béni-Maouche et l'olive de table de Sig. Ce projet est mené de concert avec l'Union européenne «dans le cadre des projets de jumelage entre l'Algérie et l'Union européenne lancés en octobre 2014», rapporte l'APS (dépêche datée du 30 juillet 2015) qui précise que l'UE finance cette opération à hauteur de 6 millions d'euros. Un financement destiné notamment à parachever le dispositif institué par le décret de 2013 et au «renforcement des capacités des acteurs concernés et à la reconnaissance de trois produits pilotes par les signes distinctifs liés à l'origine». Des experts européens, indique-t-on, ont encadré des équipes dans les trois régions concernées «pour former les techniciens et les professionnels à s'organiser autour de ces produits pilotes».