En bon philosophe, le docteur Abderrazak Guessoum, président de l'Association des oulémas, a eu des difficultés à masquer les contradictions qui minent la société algérienne, notamment s'agissant des questions sociétales, surtout celles relatives au statut de la femme. Dans cet entretien, il évoque les courants salafistes, le chiisme, mais aussi «l'écoute» de l'ex-ministre des Affaires religieuses, Ghlamallah, et sa relation «incompréhensible» avec son ancien élève, Mohamed Aïssa, devenu ministre. - Vous vous êtes opposé à la réforme de l'école engagée par la ministre de l'Education nationale, Nouria Benghebrit, et appelé les Algériens à adopter la même position. Peut-on en connaître les raisons ? Il n'y a aucun problème entre nous, en tant qu'association, et la ministre Mme Benghebrit. Bien au contraire. Toute personne, homme ou femme, qui assume une responsabilité gouvernementale dans notre pays, devient la propriété de tous. Mme Benghebrit, en tant que ministre, agit et prend des décisions au nom du gouvernement. Tout citoyen a le droit de la conseiller et de l'orienter. Notre communiqué n'a pas été fait dans le but de polémiquer, mais de dialoguer. Nous voulions donner à la société et à la ministre notre avis en tant qu'association qui, par définition, est une association d'éducation et d'enseignement. C'est un message, ou un conseil adressé à la ministre, à l'opinion publique et même à l'autorité suprême. - Vous refusez la polémique, mais dans votre message vous appelez les Algériens à s'opposer à cette réforme. A quoi vous attendez-vous ? Nous avons demandé à la société de protéger l'école et non pas de s'opposer à la réforme. Nous voulons la protéger d'une certaine infiltration étrangère et d'une agression culturelle étrangère. - De quelle agression étrangère parlez-vous ? Je vous cite un exemple. Pourquoi exiger, dans un concours destiné aux enseignants, la langue française comme seule langue étrangère ? Un enseignant doit avoir au moins une langue étrangère en plus de la langue maternelle. Pourquoi exiger le français et non pas l'anglais, par exemple, qui est la langue de l'universalité, de la technicité et de la science ? Le fait d'exiger seulement la langue française n'est pas logique. Nous estimons que l'élève algérien doit être ouvert sur toutes les cultures, à partir des constantes nationales, de l'islam bien étudié, bien compris et bien appliqué, que nous défendons, et la langue arabe qui n'est qu'un moyen pour s'ouvrir sur les autres. - Si la langue n'est qu'un moyen pour accéder à la science, pourquoi l'enseignant ne devrait-il pas maîtriser le français ? Nous n'avons aucune frontière avec les langues. Peu importe ce que l'enseignant maîtrise. L'essentiel est qu'il ne soit pas emprisonné dans le ghetto du français. Nous ne posons aucune barrière, nous sommes ouverts sur tout. Nous sommes pour l'égalité entre les cultures, les religions et pour la compréhension culturelle. Je suis révolté quand je lis, dans certains écrits dans la presse, le qualificatif d'islamo-conservateurs. Que veulent-ils dire et qui visent-ils ? - Pensez-vous qu'il soit normal d'enseigner à un enfant du premier cycle les «souffrances de la tombe» (adhab el kabr), le Jugement dernier ou de lui apprendre comment Dieu va torturer les mécréants, etc. ? N'est-ce pas plus simple de lui apprendre à être un bon citoyen demain ? Si je parle d'un islam bien appris, bien compris et bien appliqué, c'est justement pour éviter ces situations. Nous avons appris l'islam à partir de l'âge de 3 ans. Nous sautions les versets difficiles parce qu'ils ne correspondaient pas aux capacités intellectuelles de l'enfant. - Vous avez appris le Coran à l'école coranique et non pas à l'école, qui est un lieu de savoir et de connaissances universelles… Effectivement, j'ai été à l'école coranique. Mais qu'est-ce qui empêche l'école publique d'enseigner le Coran ? Rien. Alors, nous sommes pour l'enseignement coranique basé sur la méthodologie, la bonne compréhension de l'islam et le comportement exemplaire de l'enseignant et de l'enseignante. - N'avons-nous pas besoin plutôt d'une école qui forme de bons citoyens ? Est-ce que l'enseignement coranique empêche les élèves d'être de bons citoyens ? - Ce n'est pas le Coran qui pose problème, mais plutôt la manière dont il est expliqué et enseigné… Vous avez raison. C'est pour cela que je ne cesse de parler d'islam bien étudié, bien compris et bien appliqué. Nous sommes pour des critères de choix de l'enseignant. Si ce dernier maîtrise l'anglais en plus de l'arabe, c'est un enrichissement pour l'enseignement. Il en est de même pour celui qui maîtrise l'espagnol ou l'italien. Pourquoi ne pas s'ouvrir sur toutes les cultures pour obtenir la crème de celles-ci ? C'est cela que nous reprochons à l'école algérienne. Je parle sans complexe parce que je parle et je maîtrise le français. Cependant, j'estime qu'aujourd'hui c'est l'anglais, langue internationale, qui doit être privilégié et non pas le français. Allez en Afrique. Vous dépassez le Mali et le Sénégal, personne ne comprend le français. Un bon citoyen, c'est celui qui maîtrise l'anglais. Le français est là. Nous reconnaissons sa présence parce que nous évoluons dans une région qui s'exprime en français. C'est un atout qui ne nous empêche pas de construire plus que ce que nous ont légué nos aïeux. Ces derniers n'avaient pas les moyens d'apprendre l'anglais, alors qu'aujourd'hui, tout est possible. Nous ne voulons pas polémiquer sur ce sujet. Dans notre communiqué, nous n'avons pas évoqué Mme Benghebrit. Nous avons parlé de l'éducation, de la société mais aussi des menaces qui pèsent sur la famille. - De quelles menaces s'agit-il ? Par exemple cette exigence faite par des féministes pour supprimer la présence du garant et non pas du tuteur comme on veut nous le faire comprendre, pour les femmes lors du mariage. Le tuteur veut dire que la femme est inapte à assumer sa responsabilité. Or, c'est faux. Le tuteur est généralement celui qui s'occupe d'un enfant mineur. Le père ou le frère, dans le mariage, est le garant symbolique du contrat. L'un ou l'autre constituent le symbole de la continuité de ce contrat. Pourquoi le réduire à un tuteur ? - Le problème n'est pas dans la présence du frère ou du père lors de ce contrat, mais plutôt d'en faire une condition obligatoire pour se marier. N'y a-t-il pas de mauvaises interprétations religieuses ? Parfois, nous sommes victimes d'une certaine conception de la loi française. En quoi la présence d'un père ou d'un frère peut-elle gêner ? Je ne cesse d'évoquer un islam bien étudié, bien compris et bien enseigné. L'une des conditions du mariage est le consentement de la femme. Sans celui-ci, le contrat ne peut avoir lieu. - Pourtant, dans bien des régions, les mariages forcés ou d'intérêt existent… Vous évoquez des pratiques liées aux traditions et non pas à la religion. Il faut faire la distinction entre les coutumes, qui sont parfois fois archaïques et n'ont rien à voir avec la religion, et l'islam authentique bien étudié et bien compris. Nous exigeons toujours que l'islam défendu par l'association soit exemplaire. Raison pour laquelle nous considérons la suppression du «wali» comme une agression contre la famille. Il s'agit d'un des piliers de l'islam. - Les cinq piliers de l'islam sont connus et le wali n'en est pas un… Je voulais dire un des piliers du mariage dans l'islam. La dot, les témoins, le wali sont les conditions dictées par le Coran. Pour nous, le wali est le symbole de la famille qui garantira la poursuite du contrat de mariage. Est-ce qu'une femme digne de ce nom peut se marier sans que sa famille soit présente ? - Tout comme pour un homme ? Effectivement. Est-ce qu'un homme digne peut prendre une femme dans un hôtel et se marier sans la présence de sa famille ? - Si le tuteur n'est en fait qu'un garant symbolique du mariage, pourquoi ne pas obliger les hommes, comme les femmes, de le ramener ? Les témoins sont une forme de garantie, mais le père de l'homme est généralement toujours présent. En fait, les filles sont sous la responsabilité des parents. Ce n'est pas le cas pour le garçon. Le garant n'est là que pour protéger la fille de toute agression. Le juge qui valide le contrat exige du mari de préserver la dignité de son épouse et ses biens. Vous devez savoir que l'islam interdit à l'époux de disposer des biens de son épouse. Nous considérons la femme comme la base de la société. - L'Algérie s'est engagée, au niveau international, à respecter le principe de l'égalité entre homme et femme, consacré d'ailleurs par la Constitution. Ne pensez-vous pas que certaines dispositions du code de la famille liées à l'interprétation de la religion doivent être abrogées ? Ne pensez-vous pas que la mondialisation ou la globalisation doivent respecter les spécificités et les identités ? - Au nom de ces spécificités que vous défendez, beaucoup d'injustices ont été commises dans le monde… Pour moi, être Algérien est une spécificité, être musulman est aussi une spécificité et être Arabe l'est également. Mais il est temps de distinguer la spécificité authentique de celle archaïque. Avant d'être citoyens du monde, nous sommes citoyens de l'Algérie. Citez-moi un exemple où un responsable français, quel que soit son niveau, utilise l'anglais au détriment de la langue française ? Il y a une spécificité culturelle. Nous respectons le Français qui respecte sa langue. Nous respectons l'Algérien lorsqu'il respecte sa langue. - Ne doit-il pas respecter plutôt ses deux langues, l'arabe et le tamazight ? S'il parle deux langues, cela fait de lui deux personnes parlant deux langues. Je dirais qu'il s'exprime dans la langue de l'Algérie, qui est composée du chaoui, de tamazight, de l'arabe, etc. C'est la richesse de l'Algérie. Lorsque je suis en France et que l'heure de la prière est arrivée, je me mets dans un coin pour la faire. Est-ce que cela porte atteinte à la spécificité des Français ? L'islam nous a donné cette unité algérienne et nous a permis de faire la Révolution pour l'indépendance. - Que pensez-vous du divorce unilatéral qui, au nom de la charia, donne le droit à l'homme de mettre à la rue son épouse et ses enfants ? Cette pratique n'a aucun lien avec la religion. C'est même contraire à l'islam et à l'éthique islamique. Si nous n'appliquons pas l'islam convenablement, nous allons vers la situation des pays occidentaux où l'Eglise est d'un côté et les citoyens de l'autre. Nous ne sommes pas une société laïque, mais croyante. L'islam doit être traduit de manière civilisée, honnête et logique dans les faits, dans les marchés, à l'école, dans la famille, à l'université et dans tous les domaines de la vie. Chasser la femme de son foyer est contraire à l'islam et au patriotisme. L'islam assure une protection morale et matérielle de la femme. Nous prêchons cette logique de l'islam. C'est vrai qu'il y a des personnes qui, au nom de l'islam, portent atteinte à notre religion. Nous faisons tout pour éviter à notre société ces comportements archaïques. L'islam a cette faculté de cohabiter avec toutes les religions sans restriction. - Cet islam bien appris, bien compris et bien appliqué laisse le terrain à des groupes fanatiques pour commettre, au nom de l'islam, les crimes les plus abjects. Quelle est votre explication ? C'est l'autorité qui est responsable de l'absence des oulémas. Pourquoi aucune des institutions islamiques n'a donné la parole aux oulémas ? Ces derniers ont été marginalisés par les autorités et par un autre discours qui n'a rien à voir avec l'islam. Je peux vous dire que durant cette période, certains oulémas se sont exprimés ; moi-même j'ai publié des écrits, dont un sous le titre Hémorragie d'une plume algérienne, évoquant la réconciliation nationale, la paix et le vrai islam. - Pourquoi vos paroles étaient-elles inaudibles ? N'aviez-vous pas de place dans les mosquées ? Je vous retourne la question : pourquoi les médias ne reprennent pas les paroles des oulémas ? Vous-même êtes arrivée en retard. Nous avons cette impression que la presse francophone nous marginalise. Nous savons qu'elle a un rôle important à jouer. Mais à chaque fois qu'elle évoque des sujets liés à l'islam, elle nous présente comme des islamo-conservateurs. Est-ce parce que nous défendons les constantes de notre pays ? Qu'en est-il de ceux qui détruisent ces mêmes constantes ? Ils sont libres de ne pas croire en l'islam, mais qu'ils ne fassent pas l'apologie de leurs convictions. - Ne pensez-vous pas que ceux qui détruisent l'islam sont plutôt les salafistes-djihadistes, le wahhabisme et autres mouvements religieux extrémistes qui prônent la violence au nom de l'islam et sont souvent plus écoutés que les oulémas ? C'est leur manière de faire l'apologie de la violence qui mérite d'être étudiée. Ils exploitent les besoins des citoyens qui souffrent de l'injustice, de la marginalisation, de l'exclusion, du chômage, etc., pour donner un autre discours. Pour moi, ils représentent une minorité. - Une minorité qui reste très active… Je fréquente beaucoup les mosquées et je peux vous assurer qu'ils représentent une minorité. Le discours médian, ouvert et tolérant, est celui qui règne dans les mosquées. Je ne défends pas le wahhabisme ou le salafisme. Il faut les mettre dans leur contexte normal. Peut-être que le wahhabisme est valable pour certains pays. Mais l'est-il pour l'Algérie ? C'est un point d'interrogation. - Ces nombreux jeunes pris en charge par des réseaux wahhabites et qui font du prosélytisme dans certaines mosquées ne constituent-ils pas un danger ? Nous sommes des oulémas algériens. Nous avons des relations avec toutes les organisations islamiques dans le monde. Mais nous faisons la part des choses. Même au sein de la société islamique, il y a des spécificités qui nous sont propres. Par exemple, nous, nous n'utilisons pas des pioches pour détruire les mausolées. Moi-même, j'ai fait mes études à l'école Abderrahmane Athaâlibi, alors que je suis un des oulémas de l'association. Nous ne sommes pas contre les zaouïas, pour peu qu'elles soient coraniques et scientifiques et qu'elles prêchent la bonne compréhension du Coran. Nous sommes contre l'islam violent qui n'est en fait qu'un dernier remède après plusieurs autres ayant échoué. C'est à nous de bien écouter les jeunes et de les comprendre. A l'Association, c'est notre devise. Vous n'avez qu'à voir le nombre de jeunes qui militent avec nous. Nous avons toutes les diversités : celui qui porte le chèche, la barbe, le costume ou le qamis. Chacun a sa place dans la société islamique, à condition que son comportement soit digne et exemplaire. - Comment expliquer le fait que ces groupes extrémistes puissent justifier le recours à la violence et au crime par des versets coraniques ? Ce qui est valable pour l'islam est valable pour le christianisme. Il y a bien eu des extrémistes qui ont utilisé l'Evangile pour justifier la violence. Chaque culture a ses extrêmes et ses modérés. Notre islam est celui qui prône la tolérance. Notre devise est cette parole du Prophète qui dit : «Quiconque préserve la vie d'un musulman préserve celle de tous les musulmans.» Les extrémistes préfèrent se référer à ce hadith qui prône la légitime défense. Ils disent avoir été agressés par le fait qu'ils n'ont pas de travail, pas de toit, etc. - Mais ils ne s'attaquent plus aux musulmans ? Parfois, dans une situation de désespoir, l'être humain devient aveugle. Il peut commettre le pire. Nous ne partageons pas ce comportement. Rien ne justifie ce que fait Daech ni ce qui est fait au nom de l'islam. Ils n'ont rien de musulman. Il ne faut plus les qualifier d'islamistes. - Ce sont eux-mêmes qui s'autoproclament islamistes… Ce sont des criminels tout court. Ils ne sont plus islamistes. L'islam est victime de ses enfants et de ses ennemis. Même en France et en Belgique, comment expliquer que des jeunes puissent passer à des actes aussi violents ? Pourquoi n'avons-nous pas pris en charge ces jeunes ? Pourquoi ne nous leur avons-nous pas inculqué les vraies valeurs de l'islam ? Qu'est-ce qui nous empêche d'avoir une université au nom de l'Algérie en France ou en Belgique, où les Algériens retrouveraient leur identité et leur religion ? - Pensez-vous que la Grande Mosquée de Paris, en France, par exemple, ne joue pas son rôle ? J'ai été vice-recteur de cette mosquée. J'ai essayé de ramener les plus éloignés de l'islam vers la religion. Mais le représentant de notre ambassade nous interpellait pour nous demander si cette mosquée était en dessous ou au-dessus de l'ambassade. Le recteur ne cessait de lui dire qu'elle travaillait parallèlement à notre représentation. Cette mosquée doit être dotée de moyens pour qu'elle puisse agir efficacement. Je ne cessais de rappeler que l'imam qui arrive en France doit maîtriser parfaitement le Coran et la langue française, que celui qui débarque en Grande-Bretagne doit être un parfait anglophone... - Comment expliquer cette montée du salafisme radical prôné, entre autres, par Hamadache, autoproclamé porte-parole des salafistes en Algérie ? Face à ce genre de discours, nous prêchons avec sagesse la bonne parole et le dialogue fructueux et positif. Nous respectons M. Hamadache en tant que personne. Il a ses convictions et il les défend. Mais c'est une exception et non pas une règle. Il pense que parce que l'Etat n'applique pas l'islam, il est en devoir de le faire appliquer. C'est un point de vue. Nous ne sommes pas à cent pour cent avec lui. Mais sa liberté s'arrête là où commence celle des autres. Nous ne pouvons pas dire que c'est un mécréant. - Ces jeunes Algériens qui basculent vers le chiisme, n'est-ce pas la conséquence des conflits idéologiques que vit la société ? Expliquez-moi qu'est-ce qui pousse l'Algérien à laisser la sunna pour aller vers le chiisme ? Qu'y a-t-il de plus dans la chiâ qui n'existe pas dans la sunna ? Je ne pourrais pas parler de phénomène. C'est une tendance qui existe. - Les Saoudiens pensent que l'Algérie a ouvert ses portes aux chiites, raison pour laquelle les relations entre les deux pays sont exacerbées ces dernières années. Est-ce le cas ? Le problème qui existe entre l'Algérie et l'Arabie Saoudite est purement politique et non idéologique. Des milliers d'Algériens vont encore à La Mecque sans aucun problème. L'Algérie a refusé d'adhérer à l'alliance contre le terrorisme que l'Arabie Saoudite a créée, elle a également refusé de déclarer le Hizbollah comme organisation terroriste, comme le voulait le royaume. Les positions politiques de l'Algérie sur d'autres questions — comme les prix du pétrole et la situation au Yémen — s'opposent à celles de l'Arabie Saoudite. Mais je dirais que le problème du chiisme en Algérie est dû à l'ignorance des sunnites, ou plutôt de la méconnaissance de la sunna. Le jour où ils comprendront la sunna, ils ne la quitteront plus. Les sunnites reconnaissent le Prophète et les membres de sa famille. Les chiites critiquent Aïcha, alors que pour les sunnites, la prophétie concerne aussi bien le Prophète que sa famille. Les sunnites reconnaissent aussi bien Aboubakr Essedik, Omar El Khettab que Athmane Ibn Affane et Ali Ibn Abi Taleb. Les chiites ne reconnaissent que ce dernier. Vous remarquez que les sunnites sont plus tolérants. En fait, le problème est en nous. Nous n'avons pas appris à nos enfants ce qu'est l'islam afin de les immuniser contre l'agression idéologique. Il y a une tendance de chiâ qui attire certains jeunes comme le mariage de jouissance, qui est contraire à l'islam. Certaines figures de la chiâ ont abandonné cette pratique, mais les jeunes continuent à l'exercer. Ils attirent les jeunes parce qu'ils disent qu'ils sont contre la dictature, etc., mais si on prend en charge les jeunes, nous allons leur donner suffisamment de raisons pour qu'ils restent sunnites. J'ai même demandé aux chiites pourquoi vous acharnez-vous à récupérer les sunnites au lieu des bouddhistes, des communistes et des athées. Il y a plus de gens à ramener vers l'islam. - L'ancien ministre des Affaires religieuses, issu des zaouïas, a été remplacé par un jeune universitaire qui prône l'ouverture. Quelle relation avez-vous avec lui ? L'actuel ministre, Mohamed Aïssa, est membre du conseil national de l'Association des oulémas. Il était mon adjoint lorsque je dirigeais l'Institut des Oussoul Eddine à Kharrouba, mais aussi mon élève. Je l'ai encouragé à assumer des responsabilités. Cela ne veut pas dire que nous sommes sur la même longueur d'onde. Nous avons des problèmes avec lui. C'est indigne de l'Algérie que l'Association des oulémas ait un tel siège. Nous avons pu, après maintes démarches, obtenir un terrain à Baraki, mais à condition d'obtenir l'avis du Premier ministre, lequel était d'accord. Nous avons été reçus par Mohamed Aïssa, qui nous a dit : «Je vais le construire après, je vais voir ce que je peux vous donner, parce que l'Etat ne donne qu'à l'Etat.» Pourtant, c'est notre terrain. Nous avions préparé l'étude qui comprend un ensemble d'infrastructures, même un institut et une piscine pour les femmes. Il nous a dit : «Je vais prendre ce plan et après je vous appelle.» Plus de six mois après, aucune réponse ne nous a été donnée. Nous lui avons demandé de nous aider avec un budget. Il a donné son accord en nous promettant une réponse, mais des mois après, rien. Nous avons une école, à Tolga, qui appartient à l'association, mais comme elle a été mise sous wakf durant la Révolution, elle a été récupérée par les Affaires religieuses. Ghlamallah nous avait promis de nous la restituer, mais à ce jour, rien n'a été fait. Notre demande d'audience, qui a été adressée il y a des semaines, n'a pas eu d'écho. - Etes-vous pour un mufti de la République, comme le réclament certains exégètes ? Nous sommes plutôt pour un conseil de la fatwa représentatif de l'Etat algérien. Celui qui existe est formel. Juste un nom, pas plus. Le conseil que nous réclamons doit être composé de spécialistes du fikh, de la sunna mais aussi de sociologues et, pourquoi pas, de femmes. - Votre association est présente dans les 48 wilayas. Peut-on connaître le nombre de vos adhérents ? Nous ne pouvons pas l'avoir. Nous avons des étudiants, des universitaires. Le bureau national est composé de 25 membres et le conseil national de 300 membres. Mais pour connaître le nombre d'adhérents, il faudrait avoir le fichier de chacune des communes. Même marginalisée, l'Association existe sur le terrain. Nous avons eu des résultats de M. Ghlamallah, l'ex-ministre des Affaires religieuses, qui avait instruit les 48 directions des affaires religieuses à ouvrir les mosquées, au niveau de chaque wilaya, aux oulémas de l'Association. Nous avions eu quelques problèmes sur le terrain, notamment à propos du choix des oulémas par l'association, pour prêcher dans les mosquées. Nous avions bien expliqué à l'autorité que le choix relevait des prérogatives de l'Association. Notre discours est basé sur la tolérance et l'ouverture. Nous ne nous sommes jamais tus, même pendant les années 1990. Nous sillonnons tout le pays. - N'avez-vous jamais été confronté aux partisans du courant extrémiste ? Si. Je vous cite le cas d'un savant, titulaire d'un doctorat, désigné pour prêcher dans une mosquée. Lorsqu'il a demandé aux fidèles de poser des questions, l'un d'eux s'est levé pour lui dire : «Ce que vous nous dites, nous le connaissons tous. Apportez-nous du nouveau.» Je peux vous citer de nombreux exemples auxquels sont confrontés nos militants.