Après s'être empressées d'annoncer, le 4 avril, l'ouverture prochaine de leur ambassade à Tripoli, les autorités tunisiennes brillent par leur silence sur le dossier libyen. Proximité et prudence obligent. Il est vrai que Tunis était la résidence de Fayez El Sarraj avant son entrée à Tripoli. Mais cela ne saurait suffire pour expliquer qu'aucun responsable tunisien ne fasse le déplacement en Libye, pour rencontrer le Conseil de la présidence du gouvernement libyen «chez lui» et lui exprimer le soutien dont il a besoin en ce moment même. Les ministres des Affaires étrangères d'Italie, de France, d'Allemagne, de Grande-Bretagne et d'Algérie ont fait le déplacement à Tripoli à cet effet. Par contre, l'Egypte et la Tunisie n'ont pas fait ce geste, si l'on se limite aux pays directement impliqués dans la crise aux côtés de l'ONU et Martin Kobler. La position de l'Egypte s'explique par son soutien à la stratégie d'éradication de tous les groupes armés prônée par le général Khalifa Haftar. Cela s'est traduit, sur le terrain, par l'alignement du gouvernement égyptien sur des explications considérant que la légitimité du gouvernement El Sarraj passe par son obtention de la confiance du Parlement de Toubrouk, ce qui n'est pas encore le cas. Mais qu'en est-il du silence tunisien, surtout que la Tunisie n'a pas défendu l'approche égyptienne ? Situation compliquée Le politologue libyen Ezzeddine Aguil considère que les relations tuniso-libyennes ne s'évaluent pas à travers ce genre de visite symbolique ; c'est beaucoup plus profond que cela, affirme-t-il. Les autorités des deux côtés de la frontière sont en train de gérer, selon le politologue, les difficultés rencontrant la reprise du trafic commercial entre les deux pays, qui a subi une cassure de rythme depuis le 7 mars dernier et l'opération terroriste de Ben Guerdane. Lequel trafic commercial constitue un enjeu stratégique pour la Tunisie et la Libye, toujours selon le politologue. «Le volume des échanges s'élève à un milliard d'euros. La vie courante quotidienne en Libye, notamment à l'Ouest, dépend de ce qui vient de Tunisie. De même, des dizaines de milliers de Tunisiens vivent de ce commerce avec la Libye. Donc il s'agit de réguler ce flux, perturbé par les exigences des milices contrôlant le passage frontalier, du côté libyen, et les protestations des commerçants de Ben Guerdane, du côté tunisien. Je ne pense pas que la lenteur des réactions tunisiennes traduise une hésitation par rapport au soutien à El Sarraj», souligne Ezzeddine Aguil. Pour sa part, l'ancien membre du Conseil national libyen de transition, l'universitaire Mansour Younès, pense que la Tunisie est en train de gérer des questions pratiques dans ses rapports avec la Libye. «Les Tunisiens ont accepté d'entraîner des soldats et des policiers libyens sur le territoire tunisien. La loi tunisienne impose, il me semble, une autorisation du Parlement à propos de la présence de troupes étrangères. Les Tunisiens sont plutôt occupés à résoudre de tels tracas», précise le juriste libyen. Côté officiel, la dernière réaction est venue du ministre tunisien des Affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui, lors de la Conférence internationale pour le soutien à la Libye qui s'est tenue récemment à Tunis. Jhinaoui a été tranchant : «La Tunisie, qui a réussi à rassembler l'ensemble des frères libyens, continuera à jouer ce rôle. Elle appelle les différents protagonistes à privilégier le dialogue et le consensus pour résoudre les problèmes en suspens.» Il a appelé à «placer les besoins urgents du peuple libyen au premier rang de toute action de soutien futur à la Libye». Ce côté pratique dans l'approche explique, en partie, le pas à pas tunisien envers Tripoli.