La première édition de la fête du cinéma s'est ouverte hier à Rome, en présence des plus grandes stars du cinéma mondial, alors que la nouvelle du décès de Gillo Pontecorvo est tombée, plongeant dans la tristesse tous ceux qui l'avaient connu. Il était l'un des derniers cinéastes italiens qui ont fait briller, aux côtés de Fellini, Rossellini, Pasolini, Tornatore, le génie du cinéma italien à travers le monde. Le réalisateur de La Bataille d'Alger s'est éteint, jeudi soir, à la polyclinique Gemelli de Rome, des suites d'une longue maladie. Son état de santé s'était particulièrement aggravé après l'ictus qui l'a frappé le printemps dernier et dont il ne s'est jamais complètement remis. Le prochain 19 novembre, il aurait fêté ses 87 ans. Originaire de Pise, l'un des 7 enfants d'un riche négociant de tissu d'origine juive, Gilberto, dit Gillo, était diplômé en chimie et avait choisi le journalisme, mais il fut vite attiré par l'art cinématographique et depuis il a offert au public cinématographique quatres chefs-d'œuvre, La Bataille d'Alger (1965), Kapo (1960), Keimada (1969), Ogro (1979). Nous l'avions croisé plusieurs fois, dans les rencontres cinématographiques romaines, et parfois lors des réceptions données par l'ambassade d'Algérie à Rome, qu'il ne ratait presque jamais, et qu'il fréquentait accompagné de son épouse, qui a reçu, jeudi, la nouvelle de sa mort, alors qu'elle assistait au concert de l'inauguration de la Fête du cinéma, animé par le grand Riccardo Muti. Pontecorvo aimait à discuter avec les Algériens qu'il croisait, et une fois il nous avait raconté, avec une pointe d'amertume, son dernier voyage à Alger, effectué dans la moitié des années 1980. Il s'y était rendu avec une troupe technique pour tourner quelques scènes dans les rues de la Casbah qu'il comptait insérer dans la version restaurée de La Bataille d'Alger. Un groupe de jeunes auraient agressé ses techniciens, endommageant une de leurs caméras. En narrant l'épisode, Pontecorvo ne parvenait pas à cacher sa déception et sa tristesse. La bêtise de quelques délinquants algérois en a ainsi voulu. S'en prendre à celui grâce à qui le sacrifice des martyrs de la révolution, le courage des combattants et des combattantes dans les rangs de l'Armée de libération nationale ont été transmis à des millions de cinéphiles italiens et européens. En Italie, lorsque vous dites que vous êtes Algérien, ceux qui ne savent rien de l'Algérie, ni dans quel continent elle se trouve, s'exclament : « Ah, La Bataille d'Alger. Formidable le peuple algérien, et sa guerre de libération, a marqué notre jeunesse. » Des générations entières d'Italiens et d'Européens ont ainsi grandi avec le mythe de la guerre d'Algérie, alors que Pontecorvo était persona non grata au Festival de Cannes. Mais le Lion d'or qu'il obtint à la Mostra en 1966 le consola. Il dirigea d'ailleurs le Festival de Venise de 1992 à 1996. Par deux fois, il a été nommé aux oscars sans rien récolter. Ne produisant plus de films depuis la fin des années 1970, Pontecorvo s'était lancé dans la politique, il militait dans la mouvance de gauche, aux côtés d'autres artistes. Sa dernière distinction cinématographique, c'est l'Association de la presse étrangère à Rome, qui la lui a décernée, en lui octroyant le prix Globe d'or à la carrière. L'organisatrice du concours, Elizabeth Missland, une critique cinématographique française, tenace et à qui revient le mérite de promouvoir le cinéma de qualité, tenait à rendre cet hommage à Gillo Pontecorvo. C'était il y a trois mois. Hier, apprenant sa mort, Elizabeth nous a confié : « Je me rappelle comme il était ému en recevant le prix. Qui sait, peut-être sentait-il que c'était la dernière reconnaissance que le monde du cinéma lui attribuait. » Sans doute a-t-elle raison. Mais Gillo Pontecorvo méritait également un plus grand hommage de la part des décideurs algériens, car on peut affirmer sans rhétorique aucune, le père de La battaglia di Algeri était le meilleur ambassadeur que l'Algérie ait eu en Italie.