Le gouvernement veut mettre de l'ordre dans le secteur audiovisuel du pays. Les chaînes de télévision privées, non agréées, seront fermées dans les prochains jours. Hier, au palais de la Culture Moufdi Zakaria à Alger, à la faveur de la tenue d'un forum international sur la lutte contre le piratage d'œuvres artistiques, le Premier ministre Abdelmalek Sellal a déclaré avoir chargé le ministre de la Communication Hamid Grine «d'assainir la situation dans les meilleurs délais, en attendant la mise en place de l'autorité de régulation de l'audiovisuel». Sellal n'a donné aucune date sur l'installation de cette autorité, disant que «cela interviendra dans les prochaines semaines». Il a annoncé la mise en place d'un dispositif d'agrément de chaînes de télévision et de radio sur la base d'un cahier des charges «qui fixe clairement les droits et les obligations». Le cahier des charges qui précise, entre autres, les conditions financières d'une chaîne de télévision est en cours de validation au sein du gouvernement. Il sera mis en application probablement avant la fin du mois. «Toutes les télévisions qui se conformeront audit cahier des charges seront agréées en tant que chaînes algériennes bénéficiant de toutes les mesures de soutien et d'encouragement prévues par la loi. Les autres qui y dérogeront se verront interdire l'activité en Algérie», a-t-il indiqué. Les autorités procéderont, selon des sources informées, à la fermeture graduelle des chaînes «offshore» qui diffusent via le satellite égyptien Nilesat à partir de l'étranger sans agrément. Les quatre chaînes qui sont autorisées à exercer sont Dzaïr TV, Ennahar TV, El Djazaïria et Echourouk TV. Ces chaînes de droit étranger avaient reçu en 2013 l'accord des pouvoirs publics d'ouvrir «provisoirement des bureaux en Algérie». La cinquième chaîne, Hoggar TV, a cessé d'émettre depuis. Les quatre chaînes autorisées seront obligées de se conformer au cahier des charges général en attendant la mise en place de l'Autorité de régulation. Les chaînes qui seront déconnectées ou provisoirement interdites d'émission pourront, d'après un expert, saisir l'Autorité de régulation et présenter un dossier pour un éventuel agrément et autorisation d'exercer de nouveau. Mais, l'Autorité doit d'abord faire des appels d'offres. L'agrément sera donné, après étude du dossier, avec la nécessité de se conformer à la loi sur l'Audiovisuel de 2014 qui impose l'existence de «chaînes privées thématiques». Au-delà de cette procédure, les chaînes qui, après agrément, diffusent des programmes ou des œuvres artistiques sans acheter les droits seront également interdites de diffusion en Algérie, après décision de l'Autorité de régulation en concertation avec les pouvoirs publics. Selon Abdelmalek Sellal, il ne s'agit pas d'une remise en cause de l'ouverture du paysage audiovisuel, mais d'une réglementation d'un domaine d'activité «comme il en existe dans tous les pays du monde» et pour «préserver la santé morale du pays». «Depuis la promulgation de la loi sur l'audiovisuel, l'autorité publique a toléré un démarrage désordonné en espérant une autorégulation et une décantation qui ne sont pas hélas venues (…) Sur la soixantaine de médias concernés, cinq seulement sont réglementairement accrédités. Tout le reste relève de l'informel», a-t-il noté. Il a accusé les chaînes de télévision de verser dans la publicité mensongère, la violation de la vie privée, l'atteinte à la dignité des personnes, la désinformation. «Et, plus grave encore, des attaques contre la cohésion de la société algérienne avec des appels à la haine, au régionalisme et à la ‘‘fitna''. Les efforts louables et courageux de la majorité des acteurs pour une télévision algérienne plurielle, diverse, créative et critique sont pollués et dévoyés par une minorité mue par l'appât du gain et des desseins encore plus vils (…) Oui à la liberté de la presse, mais non au transfert illicite de devises pour louer des fuseaux satellites. Oui à la pluralité médiatique, mais non au travail au noir de jeunes journalistes sans couverture sociale ni droits à la retraite, l'Etat s'engage à préserver leur avenir», a souligné le Premier ministre. Il a mis à l'index des chaînes de télévision, sans les citer, qui auraient maquillé les revenues publicitaires dans des boîtes de communication et pratiquer la fraude fiscale. «Oui au droit d'enquête et d'information, mais non au chantage, à la diffamation, à la violation du secret de l'instruction judiciaire et à la pression sur les cadres de l'Etat. Oui à la généralisation de la culture citoyenne et religieuse, mais non à la ‘‘fitna'' et aux discours de violence», a-t-il dit. Lançant un appel aux «véritables artistes, créateurs et journalistes» de réussir «le challenge du développement de l'Algérie et de sa société», Abdelmalek Sellal a averti ceux qui «veulent utiliser les nobles métiers de l'audiovisuel pour servir des intérêts personnels ou nuire à l'Algérie» d'avoir le gouvernement et le peuple algérien comme adversaires. «A partir de ce jour, aucun dépassement ne sera toléré et force restera à la loi dans toute sa rigueur et en toutes circonstances. Je tiens également à rappeler que ces impératifs en matière de communication valent aussi pour tous les agents de l'Etat, quel que soit leur niveau de responsabilité. Il ne peuvent ni ne doivent adopter dans leurs activités publiques des positions ambiguës quand il s'agit des fondements et des valeurs de la nation. Tout manquement sera sanctionné», a-t-il menacé. Depuis «l'ouverture» non officielle du champ audiovisuel, les pouvoirs ont interdit deux chaînes de télévision d'émettre en Algérie, Atlas TV et El Watan TV en l'occurrence. En octobre 2015, Al Watan TV a été qualifiée par le ministre de la Communication de chaîne «informelle et illicite». Elle a été fermée après avoir donné la parole à Madani Mezrag, chef de l'ex-AIS, qui a tenu des propos menaçants à l'égard du président Abdelaziz Bouteflika. Selon des indiscrétions, les pouvoirs publics reprochent à certaines chaînes de télé privées algériennes, moins connues du public, la propagation d'un discours salafiste radical et d'émissions à teneur wahhabite. Intervenant sur la lutte contre la contrefaçon et le respect des droits d'auteur, Abdelmalek Sellal a estimé qu'il n'existe aucun mérite à craquer le cryptage d'une chaîne de télévision ou à diffuser sans autorisation des œuvres protégées. «Cela nuit aux auteurs de ces actes, mais également à l'image de notre pays. L'informel a envahi certains secteurs. La ligne rouge à ne pas dépasser, c'est le respect des principes de la société algérienne. On a touché aux fondements moraux des Algériens. On a vulgarisé l'insulte et l'invective et on nous pousse à renoncer à la morale qui fait de nous des être dignes et responsables», a-t-il noté. Le Premier ministre et dix membres du gouvernement ont assisté, avec plusieurs artistes et écrivains comme Cheb Khaled, Mami, Rabah Derriassa, Iddir, Lounis Aït Menguellet, Mohamed Adjaïmi et Ahlem Mosteghanemi à la destruction de milliers de supports piratés d'œuvres de musique et de cinéma au niveau du parking du palais de la Culture.