Si les familles aisées ont pu maintenir leur train de vie, les petites et moyennes bourses ont vu leur mode de dépense complètement chamboulé ces deux dernières années, en raison de la dévaluation du dinar et la hausse des prix des produits et des services. Les ménages ayant un salaire moyen ont dû réorienter leur budget en se passant des loisirs. Quant à ceux ayant des revenus faibles, c'est le budget de l'habillement et des soins qui est ré-alloué à la nourriture. Ainsi, le salaire entier est consacré à l'achat des produits alimentaires. Nous dépensons entre 35 000 et 40 000 DA uniquement pour l'achat des produits alimentaires», confie Karima, mère de deux enfants. Pour cette famille de quatre personnes, il n'est plus possible de jouir des loisirs comme elle en avait l'habitude. «Auparavant, j'organisais des sorties chaque week-end au parc d'attractions. J'offrais aussi à mes enfants des repas copieux dans des restaurants. Depuis la hausse vertigineuse des prix, j'ai choisi de supprimer ces sorties et de donner à mes enfants des repas équilibrés», relate cette dame qui ne cache pas son inquiétude vis-à-vis des familles ayant un revenu faible. Et d'enchaîner : «Je ne vois pas comment priver un enfant de yaourt, de fromage et de viande, tout cela est nécessaire pour son développement.» Mais de nombreuses familles s'en privent le plus souvent. Pis encore ! Même les fruits et légumes ne sont pas à leur portée. «C'est une utopie ! », répond un père de quatre enfants à une question liée à la consommation de 5 légumes et fruits par jour, comme cela est préconisé par l'OMS (Organisation mondiale de la santé). Ce dernier reconnaît pourtant que son salaire fait 4 fois le SMIG. D'autres pères de famille que nous avons interrogés abondent dans le même sens. «Chacun dépense en fonction de ses moyens», avance d'une voix éteinte une vieille dame dont la pension est en dessous du SMIG. Questionnée si cette retraite lui suffit, la vieille soupire : «Que le Bon Dieu nous donne de la force pour continuer le parcours.» Un dur parcours que cette dame fait avec sa fille divorcée ayant trois enfants à charge. La cherté de la vie n'a épargné personne. Si les vivres demeurent la préoccupation de tout un chacun, les soins viennent en troisième position, après l'éducation. Ainsi, les Algériens consacrent un budget pour les cours de soutien, même s'ils sont pauvres. Cela se fait chez certains, au détriment de l'habillement. «J'achète de la fripe pour mes enfants. Mais je leur paye quand même les cours. Je me préoccupe peu de leur apparence, ce qui m'intéresse c'est leur avenir», avance Meriem, une femme divorcée qui travaille comme femme de ménage dans une clinique privée. Cette dame avoue tout de même que sa fille, âgée de 15 ans, devient de plus en plus exigeante et cette situation de misère provoque la colère de l'adolescente. De leur côté, les commerçants sont partagés quant aux répercussions de la dévaluation du dinar. Certains estiment que les bons produits se vendent, même s'ils coûtent cher. «Les gens sont contraints d'acheter des produits laitiers, des biscuits et même des chocolats lorsque leurs enfants insistent», déclare un commerçant de Boumerdès. D'autres reconnaissent que leur activité a beaucoup régressé depuis la dévaluation du dinar, sans vouloir donner plus de précisions. «On a peur du problème de la santé publique» Le déséquilibre alimentaire, qui touche un grand pan de la population, a été accentué par cette dévaluation. Le constat est alarmant et le président de l'Association de la protection et de l'orientation du consommateur et son environnement (Apoce) tire la sonnette d'alarme. «On a peur du problème de santé publique», met-il en garde. «Nous sommes en train de vivre une période très difficile ayant affecté directement le pouvoir d'achat, voire la santé publique», prévient Mustapha Zebdi, président de l'Apoce. Cette situation ardue que traversent les ménages est liée surtout à la dévaluation du dinar durant les deux années 2015 et 2016. L'Apoce estime que la baisse du pouvoir d'achat est due à la chute du dinar de 20 à 30%. Suite à une enquête faite par l'Apoce dans certains foyers, le coût de l'approvisionnement chez ces derniers a augmenté de 30% depuis le début de la dévaluation du dinar. En ce sens que la plupart des produits consommés sont soit importés directement, soit c'est leur matière première qui l'est. Ce qui expose le consommateur algérien directement aux fluctuations des prix des produits importés. Même constat du côté des commerçants. «La baisse du pouvoir d'achat est de 20 à 25%», révèle Hadj Tahar Boulenouar, président de l'Association nationale des commerçants et artisans algériens (ANCAA), une nouvelle instance qui attend son agrément. La raison de cette baisse demeure, de l'avis de ce représentant des commerçants, la dévaluation du dinar. A ce sujet, M. Boulenouar avoue que la demande sur les produits alimentaires, ainsi que sur les services a sensiblement baissé. Le stockage des produits alimentaires n'a plus cours Le président de l'Association des consommateurs avoue de son côté que les Algériens n'achètent plus comme avant. D'ailleurs, «le phénomène du stockage des produits alimentaires chez les familles algériennes a disparu», déclare M. Zebdi. En raison de la dévaluation du dinar, «l'Algérien vit au jour le jour», constate le président de l'Apoce, expliquant aussi la disparition du phénomène du stockage grâce aux différentes compagnes de sensibilisation menées dans ce sens par les différentes associations de la société civile. Pour assurer un équilibre alimentaire, une famille de 5 personnes doit avoir un SMIG de 50 000 DA, d'après l'estimation de l'Apoce, qui exclut les autres dépenses : voyages, soins…. Actuellement «qui sont ceux qui consomment 5 légumes et fruits par jour ? », s'exclame Mustapha Zebdi, ajoutant que donner une pomme à son enfant relève du luxe. L'Oméga 3 a disparu des assiettes L'Oméga 3, un acide gras ayant des effets sur de nombreux processus biochimiques de l'organisme, a pratiquement disparu de nos assiettes. La source de ce corps gras, à savoir le poisson, s'est raréfiée et il est hors de la portée des Algériens lorsqu'il est disponible sur le marché. Conséquences? La santé des Algériens est directement menacée. Selon les données de l'Apoce, entre 15 et 20% des enfants scolarisés sont obèses. «L'obésité n'est pas un signe de bonne santé. Elle est la conséquence directe d'un déséquilibre alimentaire. Les restrictions imposées par le gouvernement en vue de limiter les importations des produits agricoles ont eu un effet très visible sur la disponibilité de ces produits ainsi que leur prix.» «La pomme de Médéa est cédée à 250 DA», souligne M. Zebdi. Tout en manifestant sa volonté de promouvoir les produits agricoles locaux, ce dernier refuse de mettre en danger la santé des Algériens en appliquant cette politique. A ce titre, il plaide pour la révision des subventions fixant un taux pour chaque famille en fonction de ses revenus. «Il faut subventionner les fruits et légumes», suggère-t-il, appelant par là même à raccourcir la chaîne de distribution.