Une plénière majoritairement désertée par les députés et des couloirs de l'hémicycle envahis par des parlementaires de huit formations politiques en colère contre la programmation par le gouvernement d'une cascade de projets de loi «liberticides», qui n'ont pu être adoptés faute de quorum. C'est l'ambiance qui a régné, jeudi dernier, au sein de l'Assemblée populaire nationale. A l'ordre du jour, l'adoption de quatre projets de lois, dont trois ont suscité polémique au sein de la classe politique : le code des investissements et l'amendement du statut du personnel militaire ainsi que l'ordonnance relative aux réservistes pour les astreindre à «une obligation de réserve et de retenue» que bon nombre de militaires à la retraite jugent comme étant une loi de «l'omerta». Dès 10h, les deux tiers des sièges de l'APN étaient vides, alors que dans le hall, l'ambiance est plutôt électrique. Les représentants de sept partis politiques — le Front des forces socialistes (FFS), le Parti des travailleurs (PT), le Front pour la justice et le développement (FJD), le Mouvement pour la société et la paix (MSP), Ennahda et El Islah et El Karama — se sont rassemblés en brandissant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire entre autres : «Non aux lois liberticides», «Non à la mise au pas des députés», «Non à la violation de la liberté d'expression». Après une réunion tenue la veille, les protestataires ont donné rendez-vous à la presse pour dénoncer ce qu'ils estiment être un «hold-up du pouvoir législatif», par l'Exécutif. C'est le député Benferhat, du MSP, qui a pris la parole, sous le son strident de la cloche annonçant le début de la plénière. Il évoque une «situation catastrophique» et fustige «le coup de force» du gouvernement pour faire passer des projets de loi «pernicieux» jugés « très graves et dangereux» aussi bien pour la démocratie que pour le pays. «Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour faire passer en gros de nombreux projets de loi. Les députés sont tiraillés entre les débats en commissions et les travaux en plénière», a-t-il dit. Pour lui, «il y a une volonté manifeste d'exclure les partis de toutes les institutions électives à travers un projet de code électoral, venu renforcer les prérogatives de l'Exécutif au détriment du pouvoir législatif». Lui emboîtant le pas, Chafaa Bouaiche, président du groupe parlementaire FFS, dénonce la gestion antidémocratique de l'assemblée et rappelle «avoir déjà exigé l'amendement du règlement intérieur de cette assemblée, qui n'est même pas respecté par ceux-là mêmes qui l'ont élaboré. Ce règlement porte atteinte à la légitimité des institutions de l'Etat». Le chef de file des députés FFS exprime son étonnement et s'interroge sur la programmation des débats et de l'adoption d'une batterie de projets de loi importants durant le mois de Ramadhan et en un laps de temps très court. «La gestion de l'assemblée est liée à la volonté du pouvoir de fermer le champ politique, sachant que la plupart des projets de loi présentés visent à mettre un terme à ce qui reste de la vie politique.» Le député rappelle que l'article 73 du projet de code électoral, qui oblige les partis politiques d'avoir 4% des voix aux précédentes élections, a pour but essentiel d'éliminer les partis pour laisser place à ceux du pouvoir, «imposés aux Algériens par la force et la fraude». Djelloul Djoudi, président du groupe parlementaire du PT, n'y va pas avec le dos de la cuillère. «Les projets de loi que l'Exécutif veut faire passer par un coup de force sont anticonstitutionnels. Ils veulent mettre un terme à la démocratie et aux droits des citoyens. Nous n'acceptons pas ces violations. Nous allons tout faire pour préserver les acquis des Algériens», lance-t-il, avant de donner la parole à Benkhellaf, député d'El Islah. Lui aussi dénonce les lois «scélérates et antidémocratiques» et déclare : «Ils veulent commettre une tuerie collective contre les partis politiques. Ils veulent régner seuls. Ils ont élaboré un code électoral qui exclut une grande partie de la classe politique du vote. Ils veulent bâillonner la presse, museler les militaires à la retraite et censurer les parlementaires. Ils ont confectionné un code électoral à leur mesure. C'est de l'arbitraire.» Lui succédant au micro, le député du parti El Karama, Abdelaziz Mansouri, qualifie la situation de «très grave» et «inquiétante». Et d'ajouter : «Cette cascade de projets de loi programmés en même temps, pour être débattus et adoptés en un temps record, n'a d'autre objectif que de régler les comptes aux partis politiques. C'est une atteintes aux libertés et aux droits des citoyens.» Le député du MSP, Abderrahmane Benfarhat, abonde dans le même sens. Lui aussi fustige la volonté délibérée de l'Exécutif de tuer les libertés et porter atteinte aux droits des parlementaires. Les contestataires se donnent rendez-vous demain. En attendant, ils vont discuter des actions à mener dans le cadre de la mobilisation. A quelques pas plus loin, l'hémicycle est toujours déserté par les députés. Le plus grand nombre des absents se comptent dans le camp du FLN. Le président du groupe, faisait le va-et-vient entre les rangées, est sorti dans le couloir et s'agitait. Plusieurs sièges du RND étaient vides, alors que l'aile de l'alliance des islamistes, regroupés dans l'Alliance de l'Algérie Verte, était également à moitié vide. Après plus de quatre heures d'attente, le quorum, soit 232 sur les 462, n'était toujours pas atteint, obligeant le président de l'Apn à renvoyer le vote des quatre textes programmés à lundi prochain. L'explication qu'il donne est surprenante : «Les députés se trouvent à l'intérieur du pays. Nous ne voulions pas qu'ils se déplacent à Alger, la veille d'un week-end.» Question : pourquoi programmer avec célérité le vote de lois aussi importantes que celles liées au code des investissements et à l'obligation de réserve et de retenue imposée aux militaires à la retraite et aux réservistes, à la veille d'un week-end ? Visiblement ces textes ne font pas consensus au sein même des partis de la coalition gouvernementale, notamment le FLN, qui comptait le plus grand nombre d'absents à la plénières de jeudi dernier. Mieux encore, ni le président du groupe parlementaire FLN, Mohamed Djamai, ni son camarade et vice-président de l'APN, Baha Eddine Tliba, n'ont pu remplir la salle pour garantir le quorum nécessaire à l'adoption des textes, qu'ils ont tant défendus lors des débats. Cela prouve au moins qu'ils sont en perte de vitesse au sein même de leur formation, alors qu'ils avaient joué un rôle prépondérant, lors de l'adoption forcée de la loi de finances 2016.