Le procès de Mehdi Benaïssa, Nora Nedjaï et Ryad Hartouf est fixé au 18 juillet. L'épreuve de force. Après un long feuilleton judiciaire aux rebondissements politiques et des semaines de mobilisation de l'opinion publique, l'affaire du rachat du groupe médiatique El Khabar par NessProd, contesté par le ministère de la Communication, connaîtra son épilogue aujourd'hui. Le tribunal administratif de Bir Mourad Raïs (Alger) rendra donc son verdict «sur le fond» après celui en référé du 15 juin passé qui a décidé du gel «des effets de l'acte» de rachat des actions du groupe médiatique par une filiale du groupe Cevital. Un verdict fortement dénoncé par le collectif de défense. Composé d'une quarantaine d'avocats, le collectif de défense a décidé de se destituer pour ne pas «cautionner une parodie de justice (...) dont l'issue de l'affaire est connue d'avance». Le risque d'annulation de la transaction est fortement redouté dès lors que le ton a été donné par la décision du gel. Mais pas seulement. Dès le départ, l'affaire a pris une tournure politique où plusieurs personnalités et des parties au pouvoir ont vertement attaqué le patron de Cevital, Issad Rebrab, lui contestant le droit d'acheter des actions de l'influent groupe médiatique arabophone El Khabar. Alors que le contrat de rachat des actions du groupe médiatique enregistré et publié a produit tous ses effets, le patron du premier groupe privé a subi un lynchage en règle. Une violente campagne politico-médiatique s'est mise en place pour le déstabiliser et porter un coup dur au journal El Khabar. Un acharnement sans précédent qui a heurté l'opinion publique et la classe politique, qui se sont fortement mobilisées pour défendre «un journal à qui on veut faire payer son indépendance éditoriale». L'affaire, qui a connu six audiences et cinq renvois, a rythmé la chronique politique et médiatique sur fond d'atteinte à la liberté de la presse. Les avocats de la défense ont dès le départ contesté l'action du ministère de la Communication car «il ne dispose pas de la personnalité juridique pour déposer une requête introductive d'instruction, cette institution ne disposant pas de la personnalité morale», a accusé l'avocate Feta Sadat. Une contestation pourtant fondée, qui n'a pas fait fléchir le tribunal. «J'ose espérer que le juge ne va pas décider de l'annulation de la transaction», indique le directeur de publication du quotidien El Khabar sans se faire d'illusion. «Nous allons épuiser toutes les voies de recours, en cas d'annulation, nous saisirons le Conseil d'Etat», a-t-il assuré. En somme, l'affaire El Khabar a révélé les velléités du pouvoir politique à soumettre la presse indépendante dans une perspective de recomposition violente du champ politique. Car l'acharnement du pouvoir politique contre ce groupe médiatique ne s'est pas limité à l'annulation de la cession des actions, mais a connu un prolongement encore plus violent. Le pouvoir politique ne s'est pas embarrassé pour sévir brutalement en mettant aux arrêts le directeur de la chaîne KBC, Mehdi Benaïssa, son directeur de production Ryad Hartouf et une directrice au ministère de la Culture, Nora Nedjaï, au fallacieux prétexte d'«exploitation d'un studio d'enregistrement sous scellés». Le même studio qui auparavant était loué par d'autres chaînes de télévision privées sans que cela provoque une réaction des autorités publiques. Alors que cette nouvelle affaire aurait pu connaître un règlement administratif, les tenants du pouvoir ont décidé de sévir lourdement en plaçant les trois personnes sous mandat de dépôt. Un flagrant abus de pouvoir dès lors que rien ne pouvait justifier cette fâcheuse décision, sinon une volonté manifeste de briser non seulement un projet médiatique ambitieux, mais aussi de broyer des vies humaines. En détention au sinistre pénitencier d'El Harrach, les trois prévenus seront jugés le 18 juillet, alors que leurs avocats ont introduit une demande de remise en liberté provisoire à laquelle la chambre d'accusation devra répondre aujourd'hui. En somme, le collectif du groupe El Khabar est soumis depuis des semaines à une forte pression politique. Et c'est la liberté de la presse et d'expression qui subit une épreuve de force infligée par un pouvoir en fin de parcours. Les attaques contre les médias, les militants politiques et le musellement du champ politique par des lois liberticides font redouter des lendemains encore plus incertains, pendant que le régime politique s'enferre dans une crise profonde.