Comment pourrait-il en être autrement lorsque des familles entières ont été disséminées à travers les hôpitaux de la région ? C'est le cas de la famille Teguig, dont le fils Miloud, brûlé au premier degré, se retrouve seul avec sa sœur. Ayant été contraints de quitter l'hôpital, ils rentrent seuls à la maison et attendent l'arrivée des éléments du Croissant-Rouge algérien qui assureront leur pitance. Miloud aura de la peine à oublier son cauchemar face à la fureur des flammes qui l'enfermèrent avec sa famille de 7h15 jusqu'à 11 h du matin. Sa main et une partie de son visage sont encore sous pansements. Ses pensées vont à sa sœur, sa mère et son père, dont le sort est entre les mains des médecins. C'est avec beaucoup d'émotion qu'il se souvient des heures de braise qu'ils ont subies durant la matinée de ce fatidique jeudi. « Ce sacré gazoduc nous a trahis », dira-t-il. Ajoutant que sa famille est éparpillée entre les hôpitaux de Sig, Oran et Mascara. Puis, se reprenant, il pense à ses voisins, un père et sa fille, tous deux brûlés au troisième degré et qui attendent une évacuation vers la France. Sa famille fait partie de celles qui ont été les plus exposées aux flammes dégagées par l'explosion. C'est à cause des portes en métal que lui et les siens se sont fait piéger dans leurs habitats, alors qu'à l'extérieur, la chaleur dégagée par l'énorme incendie transformait tout un pan du village en un véritable four. « C'est lorsque je me suis mis à ouvrir le portail pour nous délivrer que mes mains sont restées collées », racontera-t-il. Ce sera également le cas de toutes les familles dont les maisons se trouvaient à quelques dizaines de mètres du brasier. Venu le réconforter, son voisin se rappelle de l'arrivée parcimonieuse des secours. Selon son témoignage, « ce sont les sapeurs pompiers de Mostaganem, Hassi Mamèche et Bouguirat qui sont arrivés les premiers. Ceux de Mohammadia, distante d'à peine 4 km, seront retenus par le passage à niveau. Un véritable coupe-gorge qui aura énormément gêné l'arrivée des secours et l'évacuation des blessés ». Le jeune chômeur relatera l'histoire de ce couple pris dans la fournaise qui, ne voyant rien venir, décida de fuir cet enfer en courant jusqu'à Mohammadia. Le neveu de Nouar M'hamed, qui est venu juste pour garder la maison, nous montre les éclats calcinés du goudron qui sert à enrober les pipes afin de les protéger de la corrosion. Corroborant ses dires, un autre jeune, la vingtaine balbutiante, nous expliquera que ce sont ces éclats qui ont fait le plus de mal aux habitants. Sortis directement du cœur du brasier, ces projectiles tranchants ne laisseront aucune chance à leurs victimes. Sur les 78 blessés recensés, 27 sont encore sous soins dans les hôpitaux. Un septuagénaire se plaint d'avoir été obligé de quitter l'hôpital alors que son état de santé ne lui permettait pas de se prendre en charge, d'autant que toute sa famille a été retenue pour des soins intensifs. Côté gazoduc, Sonatrach a tenu ses promesses. En effet, vendredi, à 23 h, la conduite a été remise en service. ` Une prouesse que les habitants de B'khaïtia comptabilisent en soulignant qu'en ce qui les concerne, ils attendent de la société pétrolière autant de célérité pour les indemnisations. Alors que les membres du Croissant-Rouge continuent d'assurer une réelle présence, le service médico-social de Sonatrach, très présent durant les premières quarante-huit heures, se sera volatilisé une fois le gaz rétabli. Depuis la catastrophe de jeudi dernier, il a été distribué 76 couffins de la part de Sonatrach et 100 repas/ jour au titre du CRA. Cependant, alors que la vie peine à reprendre un rythme normal, les habitants du village se plaignent de l'absence d'eau dans les robinets. Une situation qui persiste depuis une semaine. Les citernes d'eau qui alimentent parcimonieusement la localité ne suffisent même pas à la population. C'est pourquoi nombre de nos interlocuteurs se plaignent du manque d'eau pour leurs animaux d'élevage. Sur le chemin du retour, des troupeaux de moutons s'engouffraient dans le réseau d'égout à ciel ouvert en quête d'un modique pâturage. Sous une chaleur suffocante, un jeune collégien rentrait poussivement à la maison. Il venait de rater le bus du retour. Pour Miloud et ses voisins d'infortune, une idée fixe est en train de faire son chemin. Unanimes, ils nous diront attendre le retour à la maison des malades pour se chercher un lieu plus clément. Tous attendent avec impatience les indemnisations de Sonatrach pour se réfugier ailleurs. Ce ne sont pas les espaces boueux et poussiéreux qui manquent dans ce marais de la Macta. A moins qu'une solution moins humiliante ne vienne les extirper de cet enfer.