Est-ce l'ère de la « flexibilité du travail » et de la précarité ? Un débat sur ce sujet a été organisé samedi soir au Sofitel par le Cercle pour l'action et la réflexion autour de l'entreprise (CARE). D'emblée, le conférencier, Alain d'Iribarne, un éminent docteur en sciences économiques et directeur de recherche au Centre national de recherches scientifiques français (CNRS), a estimé que « la compétitivité ne peut être assise sur la précarité mais devra être basée sur la solidarité ». De nombreux chefs d'entreprise présents dans la salle ont néanmoins loué les vertus d'un système flexible et ont regretté que le code du travail algérien soit trop « rigide ». L'un d'entre eux a mis en avant le fait que l'informel est en passe de devenir une solution pour les entreprises. « L'informel est certes moralement condamnable mais c'est une solution en attendant la flexibilité de l'emploi », a-t-il asséné. Les intervenants ont rappelé que le secteur informel a atteint 33% des entreprises algériennes, tandis que l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) estime le nombre des travailleurs non déclarés à la sécurité sociale, à près de 50%. Le directeur des boissons Rouiba, Slim Athmani, a précisé que les charges sociales représentent un poids d'autant plus important pour les entrepreneurs algériens que notre pays vit de grands bouleversements. Une Equation difficile « Nous ne sommes pas assez armés pour faire face à la concurrence internationale. Nous devons, de ce fait, comprimer les charges pour pouvoir tenir le coup. Nos concurrents ne sont plus dans la banlieue d'à côté. Et l'on se retrouve devant une équation bien difficile à résoudre. Nous ne pouvons pas augmenter les coûts des produits du fait que le pouvoir d'achat des Algériens est laminé, on doit satisfaire toutes les parties prenantes. Et en dernier recours, nous nous retournons vers les travailleurs », a-t-il expliqué. Il ajoute que « le processus d'ouverture s'est déroulé de manière très brutale ». Le chef d'entreprise est devenu, selon ses dires, une sorte « d'équilibriste » qui doit satisfaire à la fois les travailleurs et les actionnaires. Il se plaint aussi de ce que le volume horaire imposé par le gouvernement ralentit la productivité. « Les 40 heures de travail imposées par le gouvernement, qui a calqué, au demeurant cette mesure, sur le modèle français des 35 heures, ne nous arrangent guère », estime M. Athmani. Une réflexion qui fera dire à Alain d'Iribarne que « si les gouvernements se mettent à imiter, l'échec est inévitable. Et qu'il faudrait s'inspirer des principes et l'adapter à la situation ». Et de trancher : « L'innovation n'est pas seulement technique, elle peut être également institutionnelle. » M. d'Iribarne fera, par ailleurs, le point sur les systèmes de flexibilité dans le monde. Aujourd'hui, explique-t-il, qu'ils soient de droite ou de gauche, les gouvernements tentent de trouver le juste équilibre entre les contraintes des entreprises à s'adapter au marché et des travailleurs qu'une trop grande flexibilité précariserait. Il a indiqué, à ce propos, que les entreprises mondiales sont moulées aujourd'hui sur le modèle de l'entreprise agile et adaptative, qui exige de son personnel la responsabilité, l'autonomie, la créativité et l'entreprenariat. L'autre modèle en cours d'émergence est celui du « Top ten » qui consiste en une hiérarchisation dans laquelle tout le monde est en compétition. Il s'agit, souligne le conférencier, d'un « modèle américain qui consacre la fin de la logique de la solidarité ». En somme, pour M. d'Iribane, « l'art du gestionnaire est de désordonner les ordres et ordonner les désordres ».