Une semaine après les violents affrontements entre les migrants et certains habitants de Tamanrasset, le quartier de Gataa El Oued où logeaient les Subsahariens a été déserté. Ils se sont installés ailleurs. Depuis, en attendant une solution de la part des autorités, ils vivent dans la précarité, l'attente, l'espoir et surtout l'envie de rentrer chez eux. Retour sur place. «Nous avons proposé notre aide aux représentations consulaires qui souhaitent rapatrier leurs ressortissants vers leurs pays d'origine. C'est une instruction du gouvernement. Les ressortissants du Mali et du Niger seront transportés vers les frontières, et les autres ressortissants des pays anglophones bénéficieront de facilitations et d'aides adéquates aussi. L'Etat mettra les moyens qu'il faut pour mener à terme cette opération», a déclaré Abdelkader Bradai, secrétaire général de la wilaya de Tamanrasset. Plusieurs centaines de migrants africains sont éparpillés sur la route d'In Guezzam. Par peur de «représailles» ou «d'attaques par les habitants du quartier» qu'ils ont fui, ils ont installé leur camp à l'arrêt de bus qui mène de Tamanrasset vers In Guezzam. Cette place est cernée par les services de sécurité. Les agents de la Protection civile ont commencé, dans la journée d'hier, à installer une cinquantaine de tentes malgré les contraintes météorologiques. Officiellement, chaque tente à une capacité d'accueil de 10 personnes, mais accueillera sûrement plus que ce nombre. Le secrétaire général de la wilaya a indiqué : «On installera 100 tentes pour le moment avec des bureaux des services de sécurité, de la Protection civile et une équipe médicale. Nous allons aussi assurer leur nourriture en attendant de trouver une solution définitive à ce problème.» Gendarmes, douaniers, policiers y sont tous installés. Le centre de refoulement qui reçoit les ressortissants nigériens dans le cadre de l'opération de rapatriement n'est qu'à quelques centaines de mètres. «L'opération de rapatriement des Nigériens sera reprise le 24 juillet. Le centre accueillera les migrants ramenés d'Illizi et d'Alger», explique Moulay Chikh, président du Croissant-Rouge à Tamanrasset. Plus de 16 000 migrants ont transité par le centre, 13 000 ont été renvoyés vers le Niger, et plus de 3000 ont été relâchés, car ils ne sont pas de nationalité nigérienne. Sur les 3000 migrants relâchés, «certains sont rentrés chez eux par leurs propres leurs moyens et d'autres sont toujours à Tamanrasset, car après l'instruction du gouvernement qui leur a interdit de quitter Tamanrasset vers le Nord où ils peuvent rejoindre l'Europe, ils ne peuvent pas se déplacer», expliquent des membres du mouvement associatif. On s'interroge aussi : «Si ce n'est pas une politique du gouvernement pour vider les villes du Nord et les entasser à Tamanrasset, pourquoi ils ne les relâchent pas directement après le contrôle d'identité dans les wilayas où ils sont arrêtés ?» Selon une source auprès du Premier ministère, recoupée par une source diplomatique d'un des pays africains, «le gouvernement serre l'étau autour des migrants pour les pousser à rentrer chez eux, ou bien, carrément, les pousser à demander le rapatriement eux mêmes. C'est une manière de contourner l'opération d‘expatriation de migrants». Décision Il est difficile d'avoir les données chiffrées de migrants dans cette situation qui sont dans cet endroit, mais les associations et les autorités évoquent plusieurs centaines de personnes de seize nationalités. Une source sécuritaire nous apprend que «plusieurs dizaines de migrants prennent le bus quotidiennement de Tamanrasset pour rejoindre In Guezzam avec leurs propres moyens». Le consul général du Mali, Galla Abderehmane, nous a déclaré avoir «reçu plus de 400 ressortissants maliens qui ont passé quelques jours dans les locaux étroits du consulat, car ils n'avaient pas où se réfugier». «C'est durant cette période que certains d'entre eux nous ont demandé d'être rapatriés vers le Mali, car ils ne veulent plus rester ici dans les conditions actuelles sans pouvoir atteindre les wilayas du Nord», ajoute le consul. Le rapatriement de 1200 réfugiés devait commencer hier par une première vague de 494 migrants maliens qui s'effectuera aujourd'hui, car «les autorités nigérienne ne nous ont pas encore délivré l'autorisation pour traverser le Niger avec ce convoi, car on ne passera pas par Timiaouine pour rejoindre le Mali. Le transporteur a choisi de passer par le Niger pour des raisons de sécurité», précise le consul. Et durant cette période, le consulat malien essaye d'assurer les repas et les médicaments pour les migrants en attendant leur rapatriement. 15h, dans leur camp sur la route entre Tamanrasset et In Guezam, le mercure affiche les 48°C. Une main tient un bout de carton pour se protéger le crâne des rayons de soleil, et un bidon dans l'autre main, c'est la ruée vers le camion citerne qui les alimente en eau potable dans l'espoir de se rafraîchir. Ici, chaque objet est utile pour construire «un abri» près des murs en parpaing qui longent la route de In Guezzam. Tapis, sac poubelles et bâches en plastique sont accrochés au mur, puis attachés à l'aide d'un fil et tendus vers les pneus d'engin usés et les buses qui constituent les bases des tentes. Précarité Les moins chanceux choisissent des endroits creux dans la colline et attachent des sacs poubelles à des cailloux pour construire un refuge. Aïcha Konté est Sierra-Léonaise. Vêtue d'un survêtement bleu à fleurs noires, elle berce son fils Aboubakar qui n'arrête pas de pleurer, elle est ici depuis deux ans avec son mari guinéen. Son regard brillant, son fils de deux ans dans ses bras, elle nous livre son amertume : «Nous avons travaillé dur pour venir jusqu'ici. Une fois arrivés, mon mari a réussi à travailler sur les chantiers pour subvenir à nos besoins dans l'espoir de continuer le chemin vers le nord du pays. Nous avions l'espoir de nous installer et vivre enfin en paix. Mais depuis que nous avons quitté notre demeure à Gataa El Oued après les émeutes, on ne sait plus quoi faire, surtout que toutes nos affaires ont été volées. Nous avons peur.» «Mon fils est malade depuis que nous sommes ici sous le soleil. Même son carnet de vaccins a été volé, les gens sont inhumains, alors que ce n'est que la couleur de peau qui diffère», s'exclame-t-elle. Certains migrants «désespérés» prennent le bus ou les pick-up directement d'ici pour rejoindre leurs pays. «Même si nous payons le double du prix du transport, nous allons partir. Je ne vais pas continuer à m'aventurer avec ma femme et mon fils dans des conditions pareilles. Je vais rentrer chez moi, là-bas au moins, j'ai une maison, je peux boire et manger sans me bagarrer», s'indigne Abdulay, un Malien qui travaille ici depuis deux ans et demi. Pendant la soirée, il y a moins de chaleur et les migrants de chaque pays se regroupent dans un endroit. Policiers bénévoles Si certains profitent de l'occasion pour essayer de gagner quelques sous en vendant, les fromages, chocolats, jus et tabacs, d'autres s'organisent pour préparer le dîner. Autour d'un feu, ils se constituent en petits groupes pour cuisiner. «Chacun essaye de ramener des légumes et du pain dans la journée pour faire à manger le soir», précise Takenzo, un Libérien. «C'est durant les deux premiers jours que les autorités et le Croissant-Rouge nous ont apporté de l'aide, mais maintenant, plus rien», regrette-t-il. Les policiers qui sont sur place pour veiller sur la sécurité de la foule se transforment en bénévoles pour tenter de répartir les dons de pain des habitants de la ville. «On est obligés de le faire pour éviter la précipitation des foules d'une part, et d'un point de vue humanitaire d'autre part» explique un policier. Suite à cette situation, plusieurs représentations diplomatiques des pays africains concernés, comme le Sénégal et la Guinée, ont envoyé des représentants pour faire un constat sur les lieux et recueillir les doléances de leurs compatriotes. Les migrants continuent à travailler dans les autres quartiers de la ville. Un entrepreneur sous le couvert de l'anonymat nous assure que «le rapatriement de tous les migrants est une énorme erreur». Son argument est purement commercial. «Car dans la wilaya de Tamanrasset, ce sont eux qui travaillent. Cela va créer un énorme manque de main- d'œuvre», insiste-t-il avant de nous inviter à «visiter les chantier qui sont déjà à l'arrêt dans quelques quartiers de la ville désertés par les migrants, y compris les chantiers de l'Etat», conclut notre interlocuteur…