A peine nommé, Youssef Chahed, le nouveau chef du gouvernement, essaie de réunir autour de lui un spectre politique et associatif le plus large possible. Toutefois, la majorité parlementaire de Nidaa Tounes et Ennahdha essaie de le contraindre à les satisfaire. A peine quatre jours après sa nomination, Youssef Chahed a déjà fait plus d'une trentaine de rencontres avec les partis politiques, les instances constitutionnelles et la société civile. Au compteur, les partis Ennahdha, Afek Tounes, Al Moubadara, l'actuel ministre des Affaires étrangères, le président de l'Instance de lutte contre la corruption, le président du Syndicat des journalistes et d'autres personnalités politiques et représentants du monde associatif. Il est clair que Chahed essaie de brasser large et d'associer le plus possible de monde pour avoir des chances de succès avec son gouvernement. Ce qu'on sait aussi de Youssef Chahed, depuis sa nomination par le président de la République, c'est qu'il a cinq priorités. D'abord, gagner la bataille contre le terrorisme ; vient en second lieu la guerre à la corruption et aux corrompus ; le relèvement de la cadence de la croissance pour créer de l'emploi arrive en troisième position. Il y a ensuite la maîtrise des équilibres financiers globaux. Enfin, le volet propreté et environnement. Il a également indiqué que son gouvernement allait être politique et de compétences et non de quotas partisans, les jeunes et les femmes y seront bien représentés. Pressions Maintenant, face aux pressions de tous bords des partis politiques cherchant à placer leurs hommes, notamment Nidaa Tounes et Ennahdha, dont le gouvernement a besoin pour son investiture au Parlement, Youssef Chahed est dans l'obligation de composer. Il est toutefois conscient des risques encourus de sortir avec un gouvernement de quotas partisans, conforme au cabinet sortant. Chahed sait néanmoins qu'il bénéficie du soutien des deux «vieux», le président Béji Caïd Essebsi et le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi. Ce dernier a toutefois réclamé que son parti soit présent «avec ses jeunes et ses femmes» dans le gouvernement d'union nationale, d'une manière reflétant les résultats des élections de 2014 où les islamistes d'Ennahdha (69 sièges) sont arrivés derrière Nidaa Tounes (86 sièges). Ghannouchi s'est toutefois défendu de prôner un gouvernement de quotas partisans. La position de Ghannouchi, contre les quotas et encourageant les femmes et les jeunes, n'est pas partagée par les vieux routiers d'Ennahdha, ministres des deux gouvernements de la troïka en 2012 et 2013, qui veulent revenir aux commandes. Il s'agit des anciens ministres Abdellatif Mekki (Santé), Abdelkarim Harouni (Transports), Mohamed Ben Salem (Agriculture) qui constituent l'aile dure du mouvement et qui se sont exprimés dans les médias, demandant de leur donner «une nouvelle chance». Du côté de Nidaa Tounes, l'autre gros calibre de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), la situation n'est pas meilleure. Il y a déjà eu une grande querelle pour s'entendre sur la composition de la délégation de Nidaa Tounes qui négociera, à partir d'aujourd'hui, avec Youssef Chahed les propositions du parti pour le prochain gouvernement. Le combat autour des postes bat son plein à Nidaa Tounes. Les actuels ministres appartenant au parti dirigent les Affaires étrangères, l'Education, le Tourisme, la Santé, les Transports et les Finances, en plus des Affaires locales qui était dirigé par le chef de gouvernement. Les six ministres veulent faire partie du nouveau gouvernement. D'autres dirigeants de Nidaa Tounes postulent, eux aussi, à des portefeuilles ministériels. Cette querelle ne saurait être réglée que par le palais de Carthage. De toute façon, comme Youssef Chahed a besoin des voix de ces mastodontes de la vie politique tunisienne, la solution ne saurait être qu'une présence suffisamment convaincante de Nidaa Tounes et d'Ennahdha pour garantir le vote de confiance à l'ARP. Veto Les problèmes ne se limitent pas à ce niveau de proposition de noms et de querelles autour des départements, il y a aussi les veto avec lesquels il faut composer. Lesquels veto viennent notamment des organisations nationales et des institutions. Ainsi, le ministre des Affaires sociales ne doit pas faire l'objet d'un veto de l'UGTT ou de l'Utica, du moment qu'il va gérer un département qui réglemente le monde du travail. Le secrétaire général adjoint de l'UGTT, Hfayedh, l'a clairement dit hier dans un meeting ouvrier à Hammamet : «Le ministre des Affaires sociales doit être une personnalité neutre.» Cela va sans dire que sa «neutralité» est évaluée par l'UGTT. Les choix dans les départements de l'Economie et de l'Industrie se font généralement de concert avec l'Utica et les patrons, qui veulent de grosses pointures en matière d'encouragements à la libre entreprise. Par ailleurs, si Youssef Chahed a rencontré Chawki Tabib, président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption, c'est parce que le chef du gouvernement considère stratégique la lutte contre ce fléau et cherche l'avis de Me Tabib à propos de la stratégie à suivre en la matière, voire des noms de potentiels candidats à un département devant s'occuper de cette mission. La lutte contre la corruption vient juste après le terrorisme dans les priorités de Chahed. Le chef du gouvernement nommé est certes encore au début des prospection. Il a demandé aux partis politiques concertés de faire des propositions. Le plus dur est à venir avec la phase du choix des noms et du respect des équilibres politiques.