Aucun nom n'a filtré des tractations concernant l'initiative «gouvernement d'union nationale», prônée vendredi dernier par le président Béji Caïd Essebsi. Même le départ du chef du gouvernement, Habib Essid, n'est pas confirmé. Le flou reste complet. L'initiative du président Béji Caïd Essebsi a créé une onde de choc sur la scène politique en Tunisie en ce début de mois de Ramadhan. Des rencontres ne cessent de se tenir, aussi bien entre les partis de la coalition gouvernementale (NidaaTounes, Ennahdha, Union patriotique libre et Afek Tounes), qu'avec les organisations nationales, citées par le Président dans son discours, à savoir l'UGTT et l'Utica. Les deux grands partis parlementaires, Ennahdha (69 sièges) et Nidaa Tounes (61 sièges) soutiennent l'initiative du Président. Les deux autres partis de l'alliance gouvernante, à savoir l'Union patriotique libre (12 sièges) et Afek Tounes (8 sièges) sont contraints de suivre en raison de leur faible poids parlementaire. «Ces deux partis étaient nécessaires pour ‘‘orner'' la coalition gouvernementale, juste après les élections du 26 octobre 2014, qui ont vu Ennahdha et Nidaa Tounes s'affronter sur la base de programmes reniant toute alliance entre les deux partis. D'où la nécessité tactique de ce large front qui cacherait l'alliance Ennahdha-Nidaa. Afek et l'UPL ont obtenu un nombre de portefeuilles qui n'est pas proportionnel à leur poids. Mais, la situation a évolué depuis. Nidaa Tounes et Ennahdha n'ont plus rien à cacher», explique le politologue Slaheddine Jourchi. Les rôles vont donc être redistribués de manière plus équitable. Le premier résultat tangible de l'initiative «gouvernement d'union nationale» est donc l'obtention par le parti Ennahdha «new look», à l'issue de son 10e congrès, d'un statut de partie prenante au sein de ce gouvernement. Ce qui n'était pas le cas jusque-là avec le gouvernement Essid. Les islamistes avaient une présence symbolique avec deux portefeuilles, alors que l'UPL et Afek Tounes avaient respectivement quatre et trois sièges au gouvernement. Dans la prochaine équipe, le parti de Ghannouchi aura un nombre de portefeuilles ministériels proportionnel à son poids à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). Mais Béji Caïd Essebsi n'a pas lancé son initiative juste pour cet objectif. C'est quand même important, réplique le politologue Jourchi. Pour lui, «il est clair que les deux leaders politiques, Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, se sont entendu sur une première étape de gouvernance commune avec une représentativité symbolique d'Ennahdha au gouvernement et une deuxième étape où Ennahdha est équitablement représenté. Donc, le président Béji n'a fait que tenir sa promesse, à travers cette initiative, qui vise également à impliquer davantage Ennahdha, une année avant les municipales, pour que les islamistes ne tirent pas profit de leur longue mise à l'écart». Stabilité sociopolitique Lors de l'interview qui a annoncé l'initiative du président de la République, il a insisté sur le besoin de rétablissement de l'autorité de l'Etat et il voulait impliquer l'UGTT dans ce processus. Pour Béji Caïd Essebsi, c'est cette unité nationale qui servira de levier à l'autorité de l'Etat, notamment dans le bassin minier, afin que la production des phosphates reprenne. L'Etat ne peut pas faire face en même temps aux requêtes des chômeurs dans les zones marginalisées et à celles des syndicats. Il fallait donc impliquer l'UGTT pour réduire la tension. Mais, la centrale syndicale traverse une phase tendue en raison d'une période préélectorale. Son secrétaire général, Hassine Abbassi, a exprimé son soutien à l'initiative. Toutefois, il a dit que l'UGTT ne peut pas faire partie du gouvernement. Donc, à ce niveau, les résultats ne sont pas garantis. Par ailleurs, l'actuelle direction syndicale ne peut même pas engager l'UGTT dans un dossier aussi important que celui de la réforme des retraites, que le gouvernement considère très urgent, vu les problèmes de déséquilibre structurel des finances des caisses sociales. Donc la marge de manœuvre du gouvernement, avec l'UGTT, est très limitée. Ce qui va changer Trop de questions sont posées concernant les départs et les maintiens. La situation est déjà anormale sur la scène politique en Tunisie par le fait que le parti sorti en tête des élections, Nidaa Tounes, ne dispose plus du premier bloc parlementaire à l'ARP. Nidaa ne compte plus que de 61 députés parmi les 86 dont il disposait à la sortie des urnes, au soir du 26 octobre 2014. Le bloc Ennahdha compte 69 sièges. Toutefois, la Constitution accorde toujours à Nidaa Tounes la latitude légale de designer le chef du gouvernement. La Constitution n'a pas prévu ce scénario de migration massive qui changerait les équilibres politiques. Fort de ce droit constitutionnel, Nidaa Tounes a annoncé son hostilité à Habib Essid, dès l'annonce de l'initiative du président Beji Caïd Essebsi, vendredi dernier. Dans un communiqué publié suite à la réunion, avant-hier, de son instance politique, le parti fondé par le président Beji n'a pas caché son intention de démettre Habib Essid du poste de chef du gouvernement et installer une personnalité du, voire proche du parti. Depuis, les déclarations anti-Essid ne se sont pas arrêtées, en provenance des sphères de Nidaa Tounes. Néanmoins, la majorité des observateurs pense que «ce n'est que du bobard. En réalité, ces gens-là ne sont pas maîtres de leur destin. C'est le palais de Carthage qui décide pour Nidaa Tounes». Mais cela ne traduit nullement une ambiance politique saine, favorable à la réussite d'une quelconque équipe à la Casbah, comme ce fut le cas avec Habib Essid. Trois scénarios sont néanmoins annoncés en coulisses. Le premier consisterait à garder Habib Essid et à remanier l'équipe de manière à satisfaire l'UGTT, en mettant à l'écart les ministres qui le dérangent, à savoir ceux des Affaires sociales (Mahmoud Ben Romdhane), de la Santé (Saïd Aïdi) et des Affaires religieuses (Mohamed Khelil). Il s'agit aussi de renforcer le quota d'Ennahdha en réduisant les portefeuilles attribués à l'UPL et à Afek Tounes. Le deuxième scénario serait de charger une autre personnalité (proche de Nidaa Tounes) de former le gouvernement avec la même alliance gouvernementale. Le troisième scénario consisterait à changer le chef du gouvernement et l'alliance gouvernementale. Le parti de Mohsen Marzouk pourrait être impliqué dans les tractations. Les deux derniers scénarios risquent de prendre davantage de temps, alors que la crise que traverse le pays est aiguë.