La question du port du burkini et son interdiction par une trentaine de municipalités annonce l'ouverture prématurée de la campagne électorale présidentielle de 2017. L'islam dit de France, sa compatibilité avec les valeurs républicaines et la laïcité à la française seront au centre d'une campagne qui s'annonce dure tant ces questions de société sont clivantes aussi bien à gauche qu'à droite, empoisonnées par la polémique sur le port du burkini. Nicolas Sarkozy, qui a annoncé sa candidature à la faveur d'un livre paru mercredi dernier, est déjà en campagne sur son thème de prédilection, celui de l'identité française, de l'assimilation plutôt que l'intégration. L'ancien chef de l'Etat propose une loi «qui interdit tout signe religieux à l'école, mais également à l'université, dans l'administration et aussi dans les entreprises». Manuel Valls, qui n'entend pas laisser Nicolas Sarkozy occuper seul le terrain sur une polémique qui enfle de jour en jour, entre lui aussi en scène en approuvant les arrêtés municipaux sur l'interdiction du port du burkini. Une posture que ne partagent pas certains membres de son gouvernement, à l'exemple de la ministre de l'Education nationale, qui pointe une prolifération d'arrêtés municipaux. La ministre des Affaires sociales a elle aussi exprimé son désaccord avec le Premier ministre. Les musulmans, quant à eux, déplorent une dérive d'un débat qui intéresse la société dans toutes ses composantes, celui du vivre-ensemble. C'est en ce sens que la direction du Conseil français du culte musulman (CFCM) a été reçue à sa demande, mercredi, par le ministre de l'Intérieur chargé des cultes. «La mise en œuvre de la laïcité et la possibilité de prendre ces arrêtés ne doit pas conduire à des stigmatisations ou à ‘‘l'antagonisation'' des Français les uns contre les autres», a jugé le ministre de l'Intérieur, à l'issue de cette rencontre réclamée par le président du CFCM, Anouar Kbibech. De nouveaux acteurs rompent le silence. Il s'agit de Français de confession ou de culture musulmane issus de l'immigration qu'on présente comme des «modèles d'intégration» et de «réussite sociale». Ces derniers, dont un certain nombre a rendu publique une tribune et signé une pétition «Nous, Français et musulmans, sommes prêts à assumer nos responsabilités», publiée dans le Journal du Dimanche du 31 juillet 2016, veulent renvoyer le débat à ses véritables enjeux, notamment d'un islam et d'une représentation du culte en accord avec les problématiques contemporaines et les attentes des nouvelles générations qui sont nées et/ou ont grandi en France. Jean-Pierre Chevènement, pressenti pour présider la Fondation pour les œuvres de l'islam de France, estime, quant à lui, que «l'émergence d'un islam de France compatible avec la République représente une œuvre de longue haleine», tout en dénonçant la poussée des courants salafistes qui, selon lui, mettent «à leur merci certains jeunes à l'esprit fragile». La polémique sur le burkini est née d'arrêtés pris par une trentaine de maires, interdisant la baignade à «toute personne n'ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d'hygiène et de sécurité des baignades». Une polémique qui divise la classe politique dans son ensemble. Le président François Hollande a fait allusion au débat sur le burkini, jeudi, en affirmant que la «vie en commun», qui est «le grand enjeu» en France, «suppose aussi que chacun se conforme aux règles et qu'il n'y ait ni provocation ni stigmatisation». Invité sur le plateau de RMC jeudi matin, le Premier ministre Manuel Valls a estimé que les arrêtés municipaux antiburkini n'étaient «pas une dérive». «C'est une mauvaise interprétation des choses. Ces arrêtés ont été pris au nom même de l'ordre public», en réponse à Najat Vallaud-Belkacem qui venait de déclarer sur Europe 1 que la «prolifération» de ces arrêtés n'était «pas la bienvenue». «Jusqu'où va-t-on pour vérifier qu'une tenue est conforme aux bonnes mœurs ?» s'est-elle interrogée, jugeant également que «cela libère la parole raciste». «Pour moi, rien n'établit de lien entre le terrorisme de Daech et la tenue d'une femme sur une plage», a-t-elle conclu. Plus tard dans la journée, elle a ajouté : «Je suis d'accord avec Manuel Valls quand il dit qu'il ne faut pas légiférer sur le burkini. Nous sommes évidemment d'accord sur l'essentiel. Le sujet, c'est l'efficacité face au terrorisme.» Dans un texte publié sur son blog, la ministre de la Santé, Marisol Touraine a affirmé que «faire comme si, en se baignant voilée ou en restant habillée sur une plage, on menaçait en soi l'ordre public et les valeurs de la République, c'est oublier que ces valeurs doivent précisément permettre à chacun de ne pas renier son identité». «La laïcité ne peut pas et ne doit pas devenir le fer de lance d'une stigmatisation dangereuse pour la cohésion de notre pays.» Avant de conclure : «Il y a un extrémisme islamiste dangereux, il doit être combattu dans le cadre de notre Etat de droit. Mais faire du port du voile l'expression d'un refus de la République, non. La vérité est que, trop souvent, c'est la porte ouverte à tous les excès, à toutes les stigmatisations. Ce n'est pas la République pour laquelle je me bats.» Les jeunes socialistes alertent, dans un communiqué, notamment sur une éventuelle «surenchère qui conduit à l'irréparable, aux fractures, aux blessures». La décision du Conseil d'Etat d'invalider l'arrêté pris à Villeneuve-Loubet sur l'interdiction du burkini dont il a été saisi par la Ligue des droits de l'homme et le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) suffira-t-elle à éteindre la polémique ? Rien n'est moins sûr.