Le phénomène des enlèvements et des assassinats de femmes et d'enfants s'accroît dangereusement dans la société, alors que la violence, parfois même dans ses formes les plus extrêmes, ne cesse de sévir sous le regard impuissant des autorités. Des spécialistes recommandent de prendre au sérieux ce fléau qu'il faudra analyser en profondeur. Des dizaines de personnes, parmi lesquelles des universitaires et beaucoup de femmes, ont rendu hommage hier à Amira Merabet décédée le 5 septembre des suites de graves brûlures causées par un homme auquel elle avait dit non. Les initiatrices et ceux ayant répondu «présent» à l'appel au rassemblement ont vite attiré une foule au jardin Bennacer en plein centre-ville de Constantine. Des roses, des bougies et des visages indignés ont changé le décor des lieux l'espace d'une heure. Le portrait de la jeune victime du lâche assassinat était hissé par les mains de certains, celui de l'assassin fugitif était étalé par terre. «Hier c'était Amira, et demain ce sera toi ou moi», pouvait-on lire sur l'une des banderoles. «Je ne pardonne pas», affichait la pancarte d'une participante. Les femmes surtout, menées par de jeunes étudiantes insoumises au patriarcat dominant, étaient venues exprimer leur colère devant le crime abject et leur dégoût face à l'injustice de la société. «Nous sommes indignées par ce comportement de plus en plus cruel et ces réactions sont à côté de la plaque. On cherche à ‘‘victimiser'' le tueur, et à culpabiliser la victime. L'espace public en Algérie devient interdit aux femmes, une véritable jungle. A quelques mètres de chez elle, Amira se fait carrément brûler, et le monsieur a pris le temps de préparer son acte.» Sous le coup de l'émotion, mais bien déterminée, Amel Hadjadj, l'une des initiatrices du rassemblement, tente de contenir sa colère et explique à El Watan les raisons de cette initiative. Elle n'hésite pas à relever le deux poids deux mesures dans la réaction et l'indignation de la société. En rappelant le cas Ikram, elle ne comprend pas pourquoi toute la société s'est indignée pour condamner cette femme parce qu'elle a choisi de quitter son mari, alors que cette même société est indifférente à l'histoire de Amira. «Si on continue dans ce silence ça va encore s'aggraver. Le crime a été enveloppé par des rumeurs sur des choses qui ne regardent personne mais qui aux yeux de la rue sont plus importants que le crime lui-même», s'indigne encore Amel, qui s'interroge pourquoi au lieu de condamner l'assassin, la rue cherche à stigmatiser la victime, trouver des circonstances atténuantes au premier et maudire la femme « qui l'a provoqué». Dans la déclaration lue par Amel Hadjadj, les initiatrices du mouvement ont condamné le crime abject et le système patriarcal et injuste dont est victime la femme en Algérie. Elles ont aussi appelé les autorités à capturer le criminel et lui infliger un jugement exemplaire. La foule qui s'était jointe aux manifestants a donné du mouvement à ce sit-in initialement calme et sobre. Après s'être imprégné du pourquoi de ce rassemblement inédit, des voix se sont imposées pour prendre la parole et certains n'avaient pas de bonnes intentions. Alors que la police, d'habitude si présente lors de toute initiative du genre, était très discrète hier, des jeunes désœuvrés se sont, peut-on dire, auto-activés pour critiquer l'initiative sur des détails futiles, élevant la voix et «roulant des mécaniques» comme pour montrer leur supériorité, reléguant le crime et l'objet du rassemblement à un plan secondaire. Les jeunes initiatrices voulant rendre hommage à une femme lâchement assassinée, se sont donc retrouvées au milieu de faux débats et de personnes cherchant à trouver des excuses au tueur, et surtout à culpabiliser les initiateurs. Peine perdue, la bagarre n'a pas eu lieu et l'initiative s'est achevée sur un franc succès. Pour rappel, Amira Merabet a été agressée le 28 août dernier par un jeune homme qui a versé de l'essence sur elle avant d'y mettre le feu et prendre la fuite. Le drame a eu lieu le matin dans la cité du 20 Août, dans la commune du Khroub, à Constantine. La victime, 34 ans, succombera à ses blessures une semaine après, alors que l'auteur est toujours recherché. L'affaire Amira n'est pas un simple fait divers et renvoie la société algérienne à ses archaïsmes et son goût prononcé pour la violence. Elle n'est pas sans rappeler le cas de Razika Cherif assassinée en novembre 2015 à M'sila par un automobiliste qui n'a pas accepté qu'elle lui dise non. Elle rappelle aussi la violence quotidienne infligée sous toutes ses formes à la femme. Des symptômes d'une maladie sociale très grave