Ces dernières semaines, la presse écrite est largement revenue — et elle est dans son rôle — sur tel ou tel aspect réputé discutable des nouveaux manuels scolaires. Je ne veux ici relever ni le contexte de ces lectures ni leurs objectifs déclarés ou souterrains et, toutes réserves égales par ailleurs, le constat peut être fait d'une inédite présence de l'école dans l'espace public national. C'est dans ce cadre que le quotidien national arabophone El Khabar a mis en une la page 126 du manuel d'éducation civique de 1re année moyenne et plus précisément la présentation qui y est faite du référendum du 1er juillet 1962 portant sur l'indépendance de l'Algérie. Ce que dit la présentation : «Le référendum est l'une des formes de la démocratie qui donne droit au peuple de choisir entre deux bulletins, l'un portant la notion ‘oui' l'autre la notion ‘non'. Le bulletin précédent contient la question posée lors du référendum sur l'indépendance (1er juillet 1962) et dont les résultats consacrent le choix du oui à l'indépendance avec un taux de 99,7%.» La page est illustrée par un bulletin «oui.» Cette présentation valide-t-elle l'obscure thèse d'une indépendance octroyée, chère d'abord aux ultras de l'OAS et de l'Algérie française, qui s'en tiennent à la théorie d'un bradage du pays par De Gaulle ? Au-delà des polémiques de conjoncture, il convient, en effet, de revenir sur ce 1er juillet — l'une des dates orphelines de notre histoire comme le 3 juillet, jour de l'indépendance, ou encore, pendant longtemps, le 19 Mars marquant les Accords d'Evian — et de prendre acte de ce qui confère à une forme de réhabilitation par la production pédagogique de l'école algérienne. La question du référendum Le référendum du 1er juillet 1962 sanctionne un long et complexe processus de luttes, de négociations et, s'il ne met pas un terme à la guerre, son objet explicite est bien de solder l'ordre colonial en Algérie. Son caractère décisif commande en conséquence de s'y arrêter et d'en questionner les conditions politiques de son organisation, d'en rappeler les principaux acteurs et d'en tirer la réelle portée historique. Il est sans doute utile de revenir sur la définition même du référendum, identifié par les dictionnaires comme «vote qui permet à l'ensemble des citoyens d'approuver ou de rejeter une mesure proposée par le pouvoir exécutif». Il est aussi noté que «le référendum est une forme de démocratie directe». Il en avait été donc ainsi pour celui du 1er juillet 1962 en Algérie, avec la précision d'importance que la mesure visée par la consultation – la question de l'indépendance — résultait dans sa formulation d'échanges entre les autorités françaises et l'Exécutif provisoire en charge, selon les termes des Accords d'Evian, de la transition. En l'espèce, c'est le président Abderrahmane Farès qui est à l'initiative : lors d'une rencontre secrète à sa demande, avec le général De Gaulle, il propose d'abord de fixer au 1er juillet 1962 la tenue du référendum et surtout d'en définir le contenu. «Je me permets, mon général, de soumettre à votre agrément deux suggestions : fixation de la date du référendum au 1er juillet, une seule question sera posée aux électeurs : ‘Voulez-vous que l'Algérie devienne un état indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les accords d'Evian ?'» «Le président Benkhedda et mes collègues entérinèrent dès mon retour, ces deux propositions», ajoute le président Farès. Il importe de relever qu'au-delà du principe formel de coopération entre deux Etats, la coopération avec la France renvoyait aussi au statut de l'importance minorité européenne en Algérie dont les négociateurs n'avaient guère projeté le reflux massif vers la France. L'Exécutif provisoire, forte préfiguration de l'Etat national en Algérie, avait, outre la responsabilité de la sécurité des biens et des personnes, confié à la force locale, la charge principale de mettre sur pied le référendum dont le principe avait été retenu à Evian. Dès le lendemain de l'annonce des accords entre le GPRA et le gouvernement français, le général Salan — «soleil», dans l'organigramme de l'organisation de l'armée secrète (OAS) — publiait en date du 29 mars une instruction ordonnant de tout faire pour empêcher l'application des accords et, effectivement, l'OAS aura tout tenté, notamment à Alger et Oran, pour faire échec aux Accords et, partant, à la tenue du référendum. Une organisation algérienne Il faut, à l'occasion, rappeler à la mémoire et rendre hommage à tous ces dirigeants — à l'image de Me Sator, président de la commission d'organisation du référendum — qui avaient su, contre le chantage à la violence et à la destruction, mobiliser les compétences algériennes, mettre en place les instruments administratifs requis et rendre possible la tenue de la consultation. «Le référendum du 1er juillet se déroula dans la joie. J'ai suivi une grande partie des opérations en hélicoptère. Je vis partout des groupes d'hommes et de femmes qui se dirigeaient vers les bureaux de vote», témoigne le président de l'Exécutif provisoire. Cinq millions neuf cent soixante-quinze mille électeurs sur six millions ont voté en faveur du «oui». Dès la proclamation officielle des résultats, Abderrahmane Farès fait cette déclaration : «Le peuple algérien dans la plénitude de sa souveraineté vient de choisir librement son destin.» Le 3 juillet, le gouvernement français prenait officiellement acte des résultats du référendum et le général De Gaulle adressait au président Farès, au nom de son pays, la décision de reconnaissance de l'indépendance et de la souveraineté de l'Etat algérien et désignait, le jour même, Jean-Marcel Jeannenay en qualité d'ambassadeur auprès de l'Etat algérien. Le référendum du 1er juillet apparaît ainsi comme une séquence-clé du processus engagé le 1er Novembre 1954, en ce sens qu'il en valide les objectifs tels que fixés par la Proclamation, notamment dans son appel à la négociation autour de la reconnaissance des principes de l'indépendance et de la souveraineté nationales. Le suffrage quasi plébiscitaire du 1er juillet fait pièce, entre autres, aux tentatives et manœuvres des autorités françaises qui ont longtemps et de toutes les manières possibles contesté la position du Front, se définissant comme le représentant exclusif du peuple algérien. De la démocratie en situation coloniale Il est aussi à souligner que la seule fois où les Algériens étaient appelés à s'exprimer sans pression, menace ou intimidation — sous les yeux d'une opinion internationale largement au fait des enjeux — leur libre choix condamne sans ambiguïté les longues entraves imposées par le système colonial à l'exercice des droits civiques et politiques. Les concessions de circonstance, au lendemain du premier et du second conflit mondial, au bénéfice d'une minorité triée sur le volet, informent sur le refus sans nuance des autorités françaises, de la minorité européenne de faire droit aux demandes portées par le courant réformateur — la Fédération des élus indigènes, l'UDMA par la suite —de reconnaissance d'une égalité de droits civiques et politiques. Au lendemain de l'insurrection du 1er Novembre, Messali Hadj, dans une déclaration publique, en appelait encore à l'élection d'une Constituante «au suffrage universel, sans distinction d'appartenance ethnique ou religieuse».C'est dire que l'enracinement d'un projet démocratique dans la société algérienne aura été le fait des élites algériennes et aura été systématiquement découragé par la puissance coloniale. Mohamed Harbi note d'ailleurs avec pertinence que c'est l'échec des démarches pacifiques et démocratiques qui devaient aussi rendre inéluctable le recours à la lutte armée. C'est aussi l'une de ces tournures dont l'histoire a le secret qui place à la table de négociations, aux Rousses puis à Evian, Krim Belkacem (dirigeant fondateur du FLN), Bentobbal, Benaouda (membres du «groupe des 22») comme si s'accomplissait un cycle historique dont le 1er juillet 1962 devait signer le parachèvement. La crise du 27 juin 1962 Et il avait été, un temps, imaginable que le rendez-vous de ce 1er juillet fut un rendez-vous manqué. En effet, le 27 juin 1962, Chawki Mostefaï, membre de l'Exécutif provisoire et coordinateur au sein de l'institution du groupe FLN, démissionnait suivi par les autres membres du groupe. Négociateur, avec le président Farès, de l'accord FLN/OAS du 17 juin qui avait eu notamment l'aval du président Benkhedda, Chawki Mostefaï avait eu le sentiment d'être lâché par Benkhedda, présent au Caire à une rencontre de responsables politiques arabes. Le mérite revient à Belaïd Abdeslem de remettre les choses en place avec Abderrahmane Farès et d'assurer la conduite du processus à son terme de juillet. La bataille pour la mise en œuvre des Accords d'Evian — contestés lors du CNRA de février tenu à Tripoli par les responsables de l'état-major général dirigé par le colonel Boumediène — et partant de la tenue du référendum, sera concentrée à Alger et Oran, principaux foyers de l'activité terroriste de l'OAS, et il est notable que la nouvelle Zone autonome d'Alger du Commandant Azeddine y jouera un rôle de premier plan. Les hommes de Azzeddine montent une impressionnante opération, le 14 mai 1962, contre les fiefs OAS d'Alger. Et la convergence inédite d'objectifs entre le FLN et le gouvernement français, dans cette séquence singulière de la guerre,verra aussi la participation du Mouvement pour la coopération (MPC) de Lucien Bitterlin — les fameux barbouzes — contre les hommes de Salan et Degueldre. Rien n'était réellement acquis et c'est l'adhésion massive des Algériens au principe du référendum qui allait faire de cette journée d'été une page lumineuse de l'histoire algérienne.