Le doctorat ? Un graal utopique en Algérie. Laissez-moi vous conter comment suis-je arrivée à cette conclusion, pas si subjective que cela en a l'air. Diplôme de mastère 2 en poche, décerné par l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, j'ai aujourd'hui l'ambition d'aller plus loin. Le 2 juin 2016, l'arrêté ministériel n°547, fixant les modalités d'organisation de la formation de 3e cycle est publié et élucide toutes les questions qui, jusque-là, étaient sans réponses. Ce fut une illumination soudaine qui m'a amplement encouragée, surtout que je remplissais toutes les conditions d'accès. La date des inscriptions, tant attendues, est annoncée du 4 au 22 septembre. C'est avec des motivations plein la têteque je me rends à mon département universitaire, le 4 septembre 2016, pour demander les documents nécessaires à la constitution du dossier d'inscription au concours dont «les annexes descriptives», pièce maîtresse qui contient toutes les informations pertinentes du cursus universitaire. Je me suis tout à coup comparée à une balle de ping-pong rebondissant d'un endroit à un autre. Oui, car dans mon département, on ignore qui se charge de cela. J'ai donc compris, à cet instant, quelle couleur allait avoir la suite des événements. Il m'a fallu attendre 16 jours avant de pouvoir voir l'allure qu'avaient ces annexes. 16 jours durant lesquels j'ai été obligée d'insister régulièrement auprès du chef de département ; un «harcèlement» selon lui, pour qu'à la fin, il y ait nombreuses erreurs (moyenne générale, classement, date de naissance…). J'étais tout de même très heureuse car je pouvais enfin aller m'inscrire dans d'autres villes du pays. Le 20 septembre 2016 était donc le début du compte à rebours. Sans perdre une seconde, je m'en vais à l'aventure à Sétif où je ne cesse de croiser des étudiants désorientés, comme moi, venus des quatre coins du pays. Mon tour arrive. C'était prévisible, bien entendu : «Votre annexe descriptive n'est pas faite correctement», me lance la personne chargée de réceptionner les dossiers. «Je vous donne tout de même votre récépissé, mais il y a problème, on est d'accord ?» Tant pis. Je vais rejoindre Constantine.Après trois heures passées dans la longue file d'attente, je dépose enfin mon dossier, étrangement sans aucun souci. Ah si. «Mais où est donc mon récépissé» demandai-je. «Nous ne délivrons pas de récépissé à Constantine», me dit-on. Le cœur lourd, je quitte l'établissement sans aucune preuve de mes traces laissées là-bas. Il est tard. Je ne peux poursuivre mon chemin car la nuit me rattraperait et nous savons très bien que la nuit en Algérie n'appartient pas aux femmes. Je vais donc chercher un endroit pour dormir ou du moins un abri dans lequel je me sentirai en sécurité. Réveil à l'aube. Je ne me décourage pas. Au programme, Oum El Bouaghi. Et là…la décadence. Au moment même où mon pied a frôlé le sol de l'université Larbi Ben M'hidi, je me suis sentie délinquante, choquée par l'entrée militarisée. J'au subi un interrogatoire et on m'a dépouillée de ma pièce d'identité pour que je puisse accéder à l'intérieur de la faculté. A l'inscription, on me demande la copie de mon relevé de notes du baccalauréat, ce qui n'était pas mentionnée sur le site internet de l'université. Connaissant les traquenards algériens, j'avais bien sûr pris mes précautions. Je me suis donc assurée de compléter mon dossier. Et voilà encore qu'on exige de moi une lettre format A4 ! L'idiotie est loin d'atteindre son paroxysme car au moment du contrôle des documents, on m'informe que mon diplôme n'est pas valable. C'est à croire que nous ne sommes pas du même pays. Dents serrées et sourcils froncés, c'est avec indignation que je m'empresse de quitter les lieux. Cerise sur le gâteau, les agents à l'entrée de l'université ne retrouvent plus ma pièce d'identité. J'ai donc été retenue de longues minutes avant de pouvoir la récupérer. Ma dernière destination fut donc Alger. Arrivée trop tard, il m'a fallut trouver un hôtel, encore, pour passer la nuit en attendant le lendemain. A la nuit tombante, des phrases d'étudiants et de parents entendues lors de mon trajet remontèrent à la surface, ici et là, comme des redondances : «Makach insaniya fel djazayer», «Nroh ndjib heqha taa benti !», «Derna 600 km ou matqeblouch dossier?», «L'visa howa dernier espoir»… 8h du matin, à l'université d'Alger, je croise une étudiante de Annaba déjà rencontrée à Setif. Elle m'informe qu'elle s'est inscrite simplement à Oum El Bouaghi. Après comparaison, je constate qu'il n'y a aucune différence entre nos diplômes. Que comprendre ? Alger a été la seule ville où je n'ai pas eu de bâton dans les roues. Mais j'étais suffisamment meurtrie pour y croire de nouveau. Bref. Je ne regrette pas ma mésaventure car j'ai été secouée comme un prunier. J'en ressors plus consciente, avec une vision moins trouble de mes projets d'avenir en tant que diplômée. Je souhaite faire part de mon témoignage à toute la jeunesse algérienne et à toute la communauté estudiantine. Nous sommes assujettis à un système sans issue. L'université, lieu du savoir et de l'instruction, est désormais atteinte d'un mal qui la gangrène et qui ne connaîtra pas de remède sans révolution. Etudiants algériens, l'enseignement supérieur et la recherche scientifique ne sont plus.