Dans cet entretien, Noureddine Leghliel analyse la décision de l'OPEP de baisser sa production à l'occasion de sa réunion extraordinaire tenue à Alger. Il évoque également ses implications à court, moyen et long termes. - Les membres de l'OPEP ont consenti à baisser leur production de 750 000 b/j. Tout d'abord, quelle lecture faites-vous de cette décision ? C'est une très bonne décision car elle répond à la psychologie du marché qui avait déjà intégré l'échec auparavant, avec les baisses qu'ont connues les cours ces deux dernières semaines. Le marché ne s'attendait pas à une telle décision, d'où la sur-réaction avec une hausse de près de 6% pour le brent mercredi et 5,6% pour le WTI. Mais il y aura certainement un impact un peu plus loin dans le temps. - Si l'on regarde la tendance des cours à la mi-journée d'hier, on ne peut pas dire que la décision a fortement impacté le marché. Comment analyser cela ? Il y a certainement une prise de bénéfices, c'est-à-dire que les investisseurs qui ont réalisé des bénéfices la veille vendent aujourd'hui. Tous les investisseurs sur le marché pétrolier ne font pas cela, forcément. C'est la raison pour laquelle il y a eu une légère baisse jeudi, qui n'est d'ailleurs pas très consistante. - Pas de baisse considérable, mais pas de hausse non plus. En quoi la décision est-elle bonne dans ce cas ? Elle est bonne dans la mesure où le surplus de l'offre va disparaître graduellement et va diminuer jusqu'à ce qu'il y ait un équilibre sur le marché. - C'est donc une bonne décision sur le long terme... Tout à fait, sur le moyen et le long termes. Ce qu'on peut dire, c'est que le marché n'est pas sûr à 100% et garde une certaine marge de sécurité. Il attend que les choses se concrétisent sur le terrain. - Justement, les quotas à réduire par pays devraient se préciser d'ici le 30 novembre. A quels niveaux devraient-ils se situer ? La production actuelle de l'OPEP est de 33.5 millions de barils/jour. Les 750 000 b/j devant être réduits représentent autour de 2,2% de la production. Ce n'est pas beaucoup, surtout pour l'Algérie, cela représente environ 30 000 barils/jour de moins. Les baisses seront proportionnelles à la production de chacun des membres. - Si cela devait se concrétiser, quel serait l'impact sur les cours ? Si cette décision se concrétise sur le terrain, il y aura une hausse des cours de 15% environ. Autrement dit, le prix du baril pourrait faire un bond de 7 à 8 dollars vers la fin de l'année 2016. On pourrait terminer l'année avec un prix de 55 à 56 dollars. - Qu'est-ce qui a fait que les membres sont parvenus à un accord alors qu'on restait sur des positions intransigeantes jusque-là ? Cela ouvre le débat sur de nombreux paramètres qui viennent décrire la situation du marché. Presque tous les pays de l'OPEP ont été touchés par la baisse des prix qui a impacté leurs équilibres budgétaires. Les pays du Golfe n'ont pas été épargnés et en mai dernier, les principales agences de notation financière ont déclassé la note de l'Arabie Saoudite, du Qatar et des Emirats arabes unis. Cela signifie que s'ils veulent emprunter à l'étranger, les taux d'intérêt peuvent être élevés. Presque tous les pays de l'OPEP traversent des crises financières, à l'exception de ceux qui avaient profité de l'embellie pour créer des fonds souverains, ce qui leur a permis de parer au choc. - Ne croyez-vous pas que le Fonds de régulation des recettes et le placement de notre épargne en devises ont également joué ce rôle ? Non, je ne crois pas. Et quand j'ai vu récemment le rapport de la Federal Reserve et combien de bons du Trésor américain l'Algérie avait souscrit, j'étais choqué. L'ensemble des pays de l'OPEP détiennent un portefeuille cumulé de 253 milliards de dollars. Non seulement l'Algérie n'a pas une grande part dans ces fonds, elle ne dépasse pas les 600 millions de dollars. Finalement nos réserves sont placées dans des banques américaines, européennes, japonaises, etc. à des taux d'intérêt insignifiants. - Maintenant que l'OPEP a pris une décision, que feront les pays non OPEP, précisément la Russie ? Je voudrais d'abord dire qu'à mon avis, il doit y avoir un deal qui ne dit pas son nom entre les Saoudiens et les majors américaines. Celles-ci veulent un prix du baril élevé car c'est cela qui permet d'engranger des bénéfices. Elles ont commencé à acheter des actifs d'entreprises qui opéraient dans le pétrole de schiste, mais ne les exploitent pas car il n'est pas dans leur intérêt d'inonder le marché pour que le prix baisse. D'ailleurs, on le voit sur le terrain, les compagnies qui étaient pionnières dans l'exploration du schiste ont rapetissé. Maintenant, on a toujours tendance à blâmer les Saoudiens pour des raisons ou d'autres, mais en réalité, le pays qui n'a jamais baissé sa production est la Russie. Ils promettaient de geler, mais ils n'ont jamais rien fait. Ils peuvent, dans ce sens, faire un geste. Car il faut savoir qu'en Russie, 50% des entreprises pétrolières sont publiques et 40% privées. Le gouvernement peut contraindre le public, mais le privé a son propre intérêt et son propre lobby au sein du gouvernement russe. Je dirais que la Russie ne va pas réduire sa production, mais pourrait la geler. Ce serait un bon geste et c'est le maximum qu'on puisse espérer. - Vous connaissez très bien le marché pétrolier. Si on se projette un peu, un baril à 80 dollars est-il possible ? Sur le long terme, c'est possible, mais sur le court et le moyen termes, c'est un point d'interrogation. Cependant, un baril à 65 dollars vers 2017 est tout à fait possible. Avec le marché du pétrole, il y a des sur-réactions comme celle d'avant-hier. Mais ce que j'ai constaté, c'est que le marché a retrouvé sa force, ce qui veut dire qu'il va se maintenir au-dessus des 40 dollars. Ceci est dû au retour de la confiance sur le marché pétrolier. On le voit sur les places boursières, les investisseurs commencent à investir massivement dans les valeurs pétrolières. Ils sont très avisés. Ensuite, les agences de notation financière ont relevé la note des producteurs américains du schiste. C'est une forme d'optimisme, car si les cours étaient condamnés à la baisse, les agences n'auraient pas réagi ainsi.