Déshonneur», «abominable», «inhumaine»… Ce sont les quelques qualificatifs utilisés par des avocats et des militants des droits de l'homme pour désigner la peine de mort et son maintien dans la législation algérienne pour punir les auteurs de crimes, notamment contre des enfants. Intervenant lors d'une rencontre-débat à l'occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort, coïncidant avec le 10 octobre de chaque année, initiée par la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), ils ont procédé à une véritable plaidoirie pour l'abolition de cette sentence infamante. Exposant tous les arguments politiques, juridiques, sociaux et religieux confirmant la nécessité de franchir le dernier pas vers le bannissement de cette condamnation, les participants à cette rencontre appellent tout simplement les pouvoirs publics à respecter les engagements internationaux de l'Algérie. Pendant plus de deux heures et dans une démarche complémentaire, les avocats Nouredine Benissad, président de la LADDH, Mostefa Bouchachi, Mokhtar Bensaid, président de la LADH, Mohamed Seghir Lakhdari, fondateur de la section algérienne d'Amnesty International, Nadia Aït Zai et le moudjahid, ancien condamné à mort, Djillali Guerroudj, ont démonté un à un tous les justificatifs des partisans des exécutions des criminels. Pour eux, l'Algérie, qui observe un moratoire sur la peine de mort depuis 1993, doit désormais passer à l'étape supérieure. «La signature du moratoire sur l'exécution de la peine de mort est une bonne chose. Mais l'Algérie ne doit pas rester au milieu du chemin. Le ministère de la Justice doit faire un travail de sensibilisation auprès des juges pour éviter au maximum les condamnations à mort, d'autant plus qu'elles ne seront pas exécutées», affirme M. Bouchachi, ancien président de la LADDH. Et à Nouredine Benissad d'appuyer la demande : «Sur les 140 pays qui ont abandonné la peine de mort, il y a des abolitionnistes de droit et des abolitionnistes de fait. L'Algérie fait partie de la deuxième catégorie et elle doit franchir un autre pas. L'Algérie doit ratifier le deuxième protocole facultatif de l'ONU sur les droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort.» «Une violence exercée par l'état» Revenant sur la passion qui a caractérisé le débat sur la peine de mort suite aux derniers cas d'enlèvements d'enfants, Mostefa Bouchachi appelle à la responsabilité. Tout en exposant les arguments confirmant l'inutilité du retour aux exécutions des condamnés à mort, il souligne que «cette peine est une sorte de violence exercée par l'Etat». Selon lui, les pays qui appellent aujourd'hui à son abolition, dont des pays musulmans, à l'image de la Turquie, «n'aiment pas les criminels». «Au contraire, c'est une forme d'évolution positive de l'humanité», précise-t-il, affirmant que les statistiques démontrent «qu'il n'y a pas d'augmentation de crimes dans les pays ayant mis fin à la peine de mort, comme il n'y a pas non plus de baisse de la criminalité dans les sociétés où les exécutions sont toujours d'actualité». Outre l'existence d'erreurs judiciaires qui peuvent conduire à la mort d'innocents, M. Bouchachi précise que les premières victimes de cette sentence sont souvent issues des couches défavorisées de la société. «Les plus touchées par la peine de mort sont toujours les personnes vulnérables, notamment les pauvres et les minorités religieuses ou ethniques. Donc, pour toutes les religions et pour toutes les minorités, l'abolition de la peine de mort est une protection», ajoute-t-il. Pour sa part, Nouredine Benissad relève aussi l'utilisation de cette sentence contre les opposants politiques. Dans l'histoire de l'Algérie, rappelle-t-il, il y a des exemples affreux, en citant le cas de Mohamed Chaabani et Abane Ramdane, exécutés par leurs frères de lutte. Premier débat à l'Assemblée constituante Soulignant que l'Algérie est un Etat civil qui applique le droit positif, le président de la LADDH précise que «la justice qui tue n'est pas une justice». «On ne répond pas à un crime par un crime», déclare-t-il. L'argument religieux qui est toujours mis en avant par les milieux islamistes ne tient pas la route. La loi du talion, précise Mohamed Seghir Lakhdari, «est codifiée dans la religion qui donne la priorité au pardon». «La société algérienne est abolitionniste. Par le passé, les auteurs de crimes étaient bannis dans leurs villages et douars au lieu d'être tués», ajoute-t-il. Le débat sur l'abolition de la peine de mort remonte, selon Djilali Guerroudj, au lendemain de l'indépendance. «A l'Assemblée constituante de 1963, je me suis exprimé contre la peine de mort. Je considère que son maintien aujourd'hui est un déshonneur pour l'Algérie. Seul Dieu peut donner la vie à quelqu'un ou la lui ôter», martèle-t-il, en faisant son témoignage sur ses codétenus exécutés par le colonialisme, dont Fernand Iveton et Taleb Abderrahmane (1957). Poursuivant dans le cadre des témoignages glaçants sur les exécutions de la peine de mort, Lakdar Bensaïd partage avec l'assistance sa propre expérience. Il raconte l'histoire des exécutions auxquelles il avait assisté en tant qu'avocat dans les années 1980 à Batna. «Le médecin avait préparé l'acte de décès de la personne concernée avant même son exécution. C'est affreux», dit-il, précisant que les séquelles de ces exécutions sont indélébiles et le marquent toujours. Pour faire face à la situation actuelle, les participants appellent la société civile à poursuivre sa lutte pour l'abolition de la peine de mort à travers un travail de sensibilisation. C'est dans ce sens que la LADDH et le barreau d'Alger ont décidé d'organiser, le 23 mars 2017, la première rencontre internationale sur la peine de mort en Algérie.