Chronique de mon village met la guerre de Libération dans la périphérie pour raconter l'histoire d'un enfant. Est algérien. 1960. Dans une forêt d'eucalyptus, dans la région de Besbes, des écoliers jouent à côté d'une barrière grillagée. Les premières images de Chronique de mon village, de Karim Traïdia, projeté samedi soir en avant-première algérienne, au Théâtre régional Azzeddine Medjoubi, au 2e Festival d'Annaba du film méditerranéen, résument presque la trame de la fiction. L'insouciance de l'enfance prise dans le souffle chaud-froid de la guerre. Les enfants s'amusent à côté de la ligne Morice de sinistre mémoire. Bachir, 9 ans, vit au milieu d'une famille pauvre, entend des bombardements, des tirs, au loin, derrière les montagnes. Bachir pense que Seddik (Hassan Kechache), son père, est au maquis. Sa mère (Mouni Boualem) lave les tenues des militaires français, stationnés non loin du village, pour nourrir ses enfants. La grand-mère Rabéa (Fatma Bensaïdane), femme battante, veut imposer un peu de discipline à Bachir qui, à chaque fois, fait ce qu'il veut. Parfois, il paye pour sa douce insolence comme celle de demander à l'imam «où habite le Bon Dieu» ! Tchitcha (Mohamed Tahar Zaoui), homme simple d'esprit, devient ami de Bachir. «Mon père m'a dit que mon avenir sera après l'indépendance», répète Tchitcha. Tchitcha rêve d'élever des poules, des coqs et des vaches, et reprendre une maison des colons français. Bachir est également attaché à son oncle tuberculeux qui lui procure une certaine assurance parentale. L'enfant a également une relation qui paraît amicale avec François, un soldat français. Une amitié qui n'empêche pas l'enfant de voler l'arme du soldat. «Il a volé le pistolet pour se prouver qu'il n'a pas le droit d'être ami d'un Français», a souligné Karim Traïdia, lors d'une rencontre avec la presse après la projection. Le cinéaste se rappelle qu'enfant, il avait connu un soldat français qui lui avait laissé son adresse avant de quitter l'Algérie. «Je n'ai pas cherché à le voir. Pour moi, c'était terminé. L'enfant a grandi et le pays est devenu indépendant», a-t-il noté. La présence militaire française n'est pas au cœur du récit. Elle est dans la périphérie. «C'est un film qui effleure la guerre. Je ne la connaissais pas. Je raconte une histoire à partir du regard de l'enfant», a souligné le cinéaste. Dans le village, une Française donne du miel aux enfants, les enseignants sont plutôt aux petits soins avec les élèves algériens, les soldats vivent comme dans un camp de vacances, François est attendrissant à l'égard de Bachir. La guerre était-elle si loin que cela ? Le père de Bachir, qui ne s'engage pas dans le combat libérateur, est dans une posture négative incompréhensible. Le père inutile est le personnage préféré du cinéma algérien pour des raisons qui, sociologiquement, doivent sûrement avoir des explications. Et quand Tchitcha rencontre par hasard les moudjahidine, il parle d'une poule blanche perdue en montagne. Fantaisie ? On peut le penser. Les combattants donnent l'impression d'être dans une partie de chasse ! C'est l'indépendance. Un camion militaire français part sous le regard de Bachir. Il est remplacé par un poids lourd algérien de même couleur. «Nous avions vécu cela au village. Qui allait gouverner après l'indépendance ? Comment le peuple va-t-il se comporter ? C'est à partir de là que la confusion commence», a commenté Karim Traïdia. Il s'est défendu d'avoir recouru aux clichés dans la scène d'une foule criant les noms de Ben Bella, puis de Boumediène, puis du FLN. A l'indépendance, l'innocence de Bachir n'est plus la même. L'indépendance était-elle un échec ? Karim Traïdia ne le dit pas mais le suggère. «C'est ma désillusion. J'ai essayé d'être le plus intègre possible par rapport à mon histoire personnelle, celle de ma famille et de mon village», a-t-il confié. Le film, on l'aura compris, est largement inspiré des souvenirs d'enfance de Karim Traïdia. «J'ai choisi de raconter ma petite histoire. Si chacun narrait la sienne, il serait possible de raconter la grande histoire algérienne», a-t-il plaidé. Dans Chroniques de mon village, les comédiens évoluent parfois comme sur une scène de théâtre. La théâtralisation est entièrement assumée par le cinéaste. «C'est quelque peu mon style. J'aime beaucoup mes comédiens, je travaille avec eux, je leur fait confiance. J'aime les comédiens de théâtre parce qu'ils me défient. J'ai envie de réduire de leurs gestuelles. Sid Ahmed Agoumi était parmi les premiers hommes de théâtre avec qui j'ai travaillé. Je me bats pour que mes comédiens soient précis. Je n'aime pas la perfection, mais plutôt la précision», a-t-il soutenu. Chroniques de mon village est traversé par des scènes comiques qui ont plu au public d'Annaba. Depuis les films avec Rouiched, le cinéma algérien a soigneusement évité l'humour dans les longs métrages évoquant la guerre de Libération nationale. Karim Traïdia entend dire qu'il est toujours possible de «traiter» de sujets sensibles, y compris ceux liés à l'histoire contemporaine algérienne, en gardant le sourire.