Le directeur du quotidien national Ech-chourouk, Ali Fodil, et la journaliste Naïla Berrahal ont écopé d'une peine de 6 mois de prison ferme, assortie d'une amende de 20 000 DA chacun, dans le procès pour diffamation intenté par le guide de la révolution libyenne, le colonel Mouammar El Kadhafi, et qui s'est tenu hier au tribunal correctionnel de Hussein Dey, à Alger. La sentence est encore plus sévère puisque le journal a été suspendu pour deux mois et condamné à verser 500 000 DA (50 millions de centimes) de dommages et intérêts au plaignant. Après la fin du réquisitoire, le procureur de la République a requis une peine de prison maximale, une amende maximale et trois mois de suspension de la publication. Cela sans oublier que la partie civile a demandé, de son côté, 50 millions de dinars de dommages et intérêts qui seraient versés, selon le vœu du plaignant, aux associations de bienfaisance algériennes. La défense, constituée de deux avocats, Me Beurghel et Me Ben Brahem, a demandé quant à elle la relaxe pure et simple de ses mandants, arguant qu'il n'y avait aucun élément diffamatoire ou attentatoire à la personne de Mouammar El Kadhafi. Les avocats de la défense ont relevé dès le début du procès des vices de procédure et des erreurs de forme, comme par exemple le non-respect de l'article 337 bis du code de procédure pénale qui spécifie les cas dans lesquels la partie civile peut citer directement un prévenu devant le tribunal. Ces cas sont abandon de famille, non-représentation d'enfants, violation de domicile, diffamation et chèque sans provision. Selon Me Ben Brahem, l'injure dont la partie civile a parlé ne figure pas parmi les cas sus-cités. « Dans ce cas-là, en vertu de l'article 337 bis, la citation directe doit être autorisée par le ministère public. Or ce n'était pas le cas », observe l'avocate. Selon elle, il n'y a pas que cela. D'autres vices de forme y figurent. Il s'agit notamment des avocats de la partie civile qui doivent nécessairement relever de la juridiction compétente. Or, là aussi, Me Beurghel précise que cette clause n'a pas été respectée. Revenant au fond, la défense, en épluchant les deux articles, a prouvé qu'il n'y a « aucun mot, ni phrase ni même une insinuation qui pourrait être interprétée comme une injure ou diffamation ». Pour la défense, c'est clair : la journaliste a agi « de bonne foi » et n'a fait que révéler des faits « extrêmement dangereux et menaçants pour l'unité nationale ». Me Beurghel a souligné, en outre, que la journaliste s'est basée sur des propos et des déclarations de hauts dignitaires touareg, « prêts » à témoigner en sa faveur et à assumer pleinement leurs déclarations. Aussi, la journaliste a indiqué avoir en sa possession des preuves des faits révélés dans ses deux articles. Le guide libyen, faut-il le préciser, a intenté une action en justice contre Ech-Chourouk suite à la publication de deux articles, les 3 et 12 août 2006, qu'il a estimés diffamatoires et attentatoires à sa personne, mais aussi à l'Etat libyen et surtout altèrent les bonnes relations entre l'Algérie et la Libye. Dans ces deux articles, la journaliste en question rapportait des « témoignages vivants » de Touareg, notamment de leur chef suprême Akhamoukh, qui dénonçaient des « manœuvres d'agents libyens » envoyés par le guide révolutionnaire dans la région de Tamanrasset dans le but de « convaincre » les Touareg d'adhérer à « son » projet du Grand Sahara allant du Sénégal à la Mauritanie en passant par la Tunisie et l'Algérie. Cette même initiative a été annoncée, quelques semaines avant la parution des deux articles incriminés, par le colonel Mouammar El Kadhafi à travers les médias internationaux, reprise par les médias nationaux. Aucun démenti n'a été fait suite à la publication de ces deux articles. Ce qui renforce, d'après Me Beurghel, la véracité des informations publiées par le journal. Pour lui, il est clair que l'affaire est éminemment politique et ne peut être réglée que par les politiques. Me Beurghel s'est même interrogé sur le fait que le guide libyen a recouru à la justice algérienne, alors qu'il pouvait le faire autrement en interpellant directement les autorités algériennes qui l'auraient fait à sa place. « Reconnaît-il l'indépendance de la justice algérienne ? », s'est-il demandé en plaidoirie. Il juge ainsi que la peine infligée à ses mandants est « très sévère », compte tenu du dossier. A peine le verdict tombé, le bureau d'Alger de la Fédération internationale des journalistes a pondu un communiqué où il a vivement condamné cet énième emprisonnement de journalistes algériens. Rappelant l'amnistie accordée par le président Bouteflika aux journalistes condamnés pour diffamation, le coordinateur du centre régional de la FIJ a souligné qu'il s'agit là d'« une première invitation faite aux dictateurs du monde afin de s'initier à l'art d'étouffer la liberté de la presse ainsi que toute manifestation démocratique en Algérie ». Devant cette nouvelle situation, la FIJ appelle « la communauté des Etats du monde libre à agir avec force » pour mettre un terme à ces menaces inacceptables qui pèsent sur la liberté de la presse en Algérie.