En dépit de sa consécration «langue nationale et officielle» par le dernier amendement de la Loi fondamentale du pays, tamazight continue de faire l'objet de tergiversations et de bricolage qui l'empêche de se hisser à son nouveau statut arraché, faut-il le rappeler, de haute et rude lutte. Dans le milieu scolaire, cette langue ancestrale, victime du caractère facultatif de son enseignement et de décennies de guerre d'usure linguistique et culturelle, peine à se faire accepter dans plusieurs régions du pays. Cet état de fait consterne et a fait réagir le collectif des enseignants de tamazight qui s'est réuni, hier à Béjaïa, pour débattre de ce problème persistant. Dans un communiqué sanctionnant cette réunion, titré «Tamazight : partout et pour tous», le collectif dénonce l'absence de volonté de généraliser l'enseignement de cette langue : «Même après avoir consacré tamazight ‘‘langue nationale et officielle'', l'Etat, à travers son ministère de l'Education nationale, persiste dans le reniement de ses engagements relatifs à l'enseignement de tamazight arraché après plusieurs décennies de lutte, de privations, d'intimidations et de déni. Aujourd'hui, le manque d'intérêt accordé à cet enseignement est flagrant. Si l'enseignement de la langue amazighe concerne de plus en plus d'établissements scolaires et tend à se généraliser en Kabylie, ailleurs, son caractère facultatif freine tout espoir de son épanouissement.» Et le collectif de s'interroger à juste titre : «L'Etat, escompte-t-il sauvegarder l'unité nationale et protéger les constantes de la nation avec le caractère facultatif de son enseignement ?» Dans ses circulaires 426 du 25 mai 2007 portant enseignement de tamazight dans 15 wilayas et 544 du 30 mai 2009 portant le même contenu, en plus de l'intégration de cette langue dans les horaires réglementaires de l'élève, le ministère de l'Education ne fait pas mention de l'enseignement obligatoire de tamazight comme le sont toutes les autres matières. Il y est juste demandé aux directeurs d'établissement d'inscrire obligatoirement tout élève qui émet le vœu de suivre des cours en tamazight, sans plus. Cela est en soi une entorse au principe même de l'école obligatoire et ouvre la voie à toutes les dérives. Le cas de l'établissement d'El Biar, à Alger, qui a défrayé la chronique à l'entrée des classes, est édifiant. Alors que cet établissement comptait 40 élèves désireux d'étudier tamazight sur un ensemble de 100 apprenants, le directeur a refoulé l'enseignant affecté à l'enseignement de tamazight, sous prétexte que les parents s'y sont opposés. Ajoutés à cela, il y a plusieurs autres problèmes soulevés par les enseignants : «La non-application des circulaires ministérielles par certains directeurs ; programmation des séances de tamazight en dehors des horaires pédagogiques incluant le travail le samedi ; les décisions unipersonnelles de quelques directeurs zélés en supprimant même des postes affectés à cet enseignement ; des enseignants de tamazight n'ont pas eu leur emploi du temps pendant que d'autres sont obligés d'effectuer des tâches administratives, gérer des bibliothèques, assurer les permanences, enseigner d'autres matière, etc ; manque des manuels scolaires dans les établissements.» Pour le collectif, malgré les nombreuses promesses en faveur de l'officialisation de tamazight, son enseignement dans 32 wilayas est «de la poudre aux yeux». En témoigne, estiment-ils, le nombre insignifiant de postes budgétaires affectés pour tamazight et les «pressions» exercées sur les enseignants dans les établissements. Tout en demandant aux professeurs de «conjuguer leurs efforts», le collectif les appelle à des actions plus mobilisatrices pour continuer le combat tracé par les aînés et pour que tamazight soit pleinement reconnue chez elle.