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Je ne voulais pas faire une autre fresque sur la guerre
Karim Traidia. Réalisateur du film Chroniques de mon village
Publié dans El Watan le 21 - 10 - 2016

Chroniques de mon village, le dernier film de Karim Traidia, a été projeté en avant-première algérienne au 2e Festival de Annaba du film méditerranéen, qui s'est déroulé du 6 au 12 octobre. Dans cette fiction, le réalisateur, qui est installé aux Pays-Bas, raconte son enfance à la fin des années 1950 à Besbes, dans le Nord-Est algérien. C'est l'histoire d'un village et d'une guerre vue par Bachir, un enfant qui n'aime pas son père et qui est attaché à son oncle et à sa grand-mère.
- Dans Chroniques de mon village, vous racontez votre enfance dans la région de Besbes. Comment avez-vous construit le film à partir de vos souvenirs d'enfance ?
J'ai porté ce film pendant 30 ans. Aux Pays-Bas, j'avais écris un roman sur mon passé. Sur tous les plateaux de télévision, je n'ai pas cessé de parler de mon village, de ma grand-mère, ma mère, mon oncle... Quand j'ai réalisé La Fiancée polonaise (1998), je parlais avec mes deux comédiens comme s'il s'agissait de ma mère ou de mon père. Enfant, je n'ai jamais vu ma mère et mon père se parler. Dans La Fiancée polonaise, je voulais évoquer ce silence-là.
Chroniques de mon village est un film que les Hollandais connaissent sans l'avoir vu. J'ai tellement parlé de mon enfance ! Un jour, je me suis mis sérieusement à écrire le scénario pour ne pas me limiter à la parole. Le film est un hommage à ma grand-mère, à ma mère et à mon oncle. Ces trois personnes m'ont amené là où je suis. J'ai donc choisi de raconter ma petite histoire, celle de ma famille et de mon village. Si chacun de nous arrive à raconter sa petite histoire, nous pourrons raconter la grande histoire algérienne.
- Est-ce que vous avez exprimé vos souvenirs d'enfance dans le film ?
Non, bien sûr ! Il y a beaucoup d'imaginaire, de fantaisie, de création et de construction. C'est de la fiction. Il y a quelques noms qui sont restés ici et là. Mais, l'émotion qui est dans le film est réelle. Mon oncle n'était pas mort à ce moment-là (l'indépendance de l'Algérie dans le film). Mon oncle est mort parce que, pour moi, l'enfant a tout compris...
- Le long métrage se termine en 1962 mais sur une touche pessimiste, la mort de l'oncle, les tiraillements politiques... Il y a quelque part un peu de clichés...
Je voulais être intègre, ne pas caresser dans le sens du poil. Beaucoup de films ont été produits sur les héros de la Guerre de Libération nationale, les héros algériens que je respecte. Mais, ce n'était pas mon propos. Je voulais raconter une histoire qui est en moi. C'est une douleur qui est toujours là. Je voulais évoquer cette désillusion.
Ils ont planté beaucoup de rêves et de promesses dans nos têtes. Où sont-ils ? On peut me faire un procès là-dessus, l'essentiel est que j'ai raconté mon histoire. Dans mon village, nous avons vécu une confusion en 1962. Nous ne savions pas qui allait gouverner le pays. Je ne sais s'il s'agit de clichés, mais je voulais montrer cette confusion, mettre en avant le questionnement sur la manière avec laquelle le peuple allait se comporter. Dans le film, on sent bien que l'innocence de l'enfant a été tuée, quelque part.
- Vous êtes-vous libéré de cette douleur en réalisant un film presque autobiographique ?
Je me suis presque libéré. J'ai remarqué cela en tournant dans la forêt d'Eucalyptus la scène du jeu d'enfants (début du film). Non loin de là, il y a le cimetière où sont enterrés ma mère, ma grand-mère, ma soeur, mon oncle et ma tante. Chaque jour, j'étais en contact émotionnel avec eux. Des fois, je retardais de 15 minutes le début du tournage. Je ne pouvais pas retenir mes larmes, même si je n'avais pas droit à l'émotion, je devais gérer toute une équipe.
L'enfant, que j'étais, était courageux mais fragile. Je voulais donc sortir tout ce que je n'avais pas pu faire sortir depuis 1962. En 1961, j'ai eu un bourse de la mairie lorsque je suis allé au lycée. En 1963, cette bourse m'a été enlevée pour des raisons que j'ignore à ce jour. Donc, ce que je retiens est que l'Algérie indépendante m'a enlevée ma bourse.
Je ne veux pas faire un discours politique là-dessus. Je voulais seulement raconter mon histoire. J'assume tout ce que j'ai écris, filmé et fait. J'ai montré le scénario à plusieurs personnes qui m'ont dit que je ne pouvais pas faire le film. Je leur dis merci de m'avoir permis de le faire ! Personne ne m'a dit au montage d'enlever ceci ou cela. Je pense qu'après deux ou trois débats sur le film, je serais totalement libéré.
- Dans le film, la guerre est dans la périphérie. Au loin, derrière la montagne, on entend un échange de coups de feu. La guerre est vue par l'enfant qui ne sait pas ce qui se déroule autour de lui...
L'enfant ne peut pas décrire la guerre. Il parle de ce qu'on lui raconte. L'exploit des moudjahidine au loin dans les maquis, par exemple. Au fond, je ne voulais pas parler de cette guerre. Elle est suffisamment connue. Tout le monde connaît le prix qu'a payé le peuple algérien pour se libérer du colonialisme. Je ne voulais pas faire une autre fresque sur la guerre, surtout que moi-même je ne connaissais pas les détails de cette guerre. Je voulais raconter l'histoire à partir du regard et des souvenirs de l'enfant.
- Est-ce pour éviter la glorification habituelle dans le cinéma algérien de la Guerre de Libération nationale ?
Peut-être. Une guerre, c'est une guerre. Il y a de bonnes choses et de très mauvaises. Il y a aussi des petites histoires même avec l'ennemi. Il y a aussi des héros qui sont de l'autre côté et qui se sont battus avec nous. C'est toujours très ambigu. Je ne voulais pas entrer dans le détail...
- D'ailleurs en parlant d'ambiguïté, on la perçoit clairement dans la relation entre Bachir et le soldat français...
En fait, il n'y a pas d'amitié entre Bachir et le soldat français. L'enfant pauvre s'est arrangé pour que sa mère lave le linge des soldats français pour gagner quelques sous. Il a volé un pistolet pour se dire qu'il n'a pas le droit d'être l'ami d'un Français. A l'époque (fin des années 1950), on ne pouvait pas être amis avec les Français. C'est une histoire inspirée de mon propre vécu. J'avais connu un soldat français qui, avant de partir, m'avait donné son adresse en France. Je suis allé en France mais je ne l'ai jamais cherché. Pour moi, c'était terminé. L'enfant a grandi et son pays est devenu indépendant. Bachir n'aime pas son père, ne ressent rien à son égard.
Pour lui, son père est inutile, il va l'utiliser pour atteindre son but. C'est-à-dire que son père meure pour que lui devienne fils de chahid après l'indépendance du pays. Mes frères n'ont pas réellement connu mon père. La première fois qu'ils l'ont vu, ils l'ont appelé «aâmi» (mon oncle). Par contre, Bachir adore son oncle. Un oncle qui le nourrit. Il est le seul à avoir réglé son problème lorsqu'il cherchait le bon Dieu. Il lui dit : «Il est là-bas mais tu ne peux pas le voir.»
- Et cette philosophie de l'absence du père. Elle est très présente dans le cinéma algérien. Comment expliquer cette absence-présence ?
Malheureusement, nos pères se sont barrés (rires). Je ne peux rien y faire. Mon père est parti un jour de Ramadhan. Ce jour-là, il avait appris que son frère avait été pendu à Drean, un autre assassiné en France et un troisième mis en prison. Choqué, il a cassé le jeûne. Un homme lui a fait le reproche, il s'est disputé avec lui. Ma mère n'a pas apprécié ce geste. Le lendemain, nous avons déménagé dans un gourbi, pour y rester dix jours. Après la protestation de ma mère, nous avons encore une fois déménagé vers Besbes.
- Dans le film, il y a beaucoup de théâtralisation. D'ailleurs, des comédiens du théâtre interprètent plusieurs personnages, comme la Tunisienne Fatma Ben Saïdane, les Algériens Mohamed Tahar Zaoui, Ali Djebbara, Mouni Boualem, Kamel Rouina... La présence du théâtre dans le cinéma est un marqueur de votre démarche artistique...
C'est un peu mon style. Mon frère Hakim devait jouer le rôle de Tchitcha (le fou du village). Il connaît parfaitement ce personnage qui a réellement existé. J'ai sollicité Mohamed Tahar Zaoui qui, au début, devait interpréter le rôle de Mazouni, le supplétif de l'armée française, finalement joué par Ali Djebbara. J'aime beaucoup les comédiens de théâtre car ils me défient. Aussi, ai-je envie de réduire de leur gestuelle. Le premier avec qui j'ai travaillé était Sid-Ahmed Agoumi.
Chez nous, la formation pour la télévision ou pour le théâtre n'existe pas. La plupart des comédiens passent par la formation aux arts dramatiques. Ils comprennent parfaitement le langage, le rythme, les codes... Vous n'avez pas besoin de leur expliquer. Je précise seulement ce que je veux, c'est tout. Je sais que les comédiens de théâtre vont me donner ce que je cherche. Je me contente de les corriger parfois, de faire en sorte qu'ils ne soient pas extravagants. Je fais confiance à mes comédiens, je les écoute beaucoup. J'aime que mes comédiens soient précis. Je préfère la précision à la perfection.
- Et pour le choix de Fatma Ben Saïdane pour le rôle de la grand-mère (la comédienne est présente également cette année dans le nouveau long métrage de Férid Boughedir, Parfum de printemps) ?
J'ai vu Fatma jouer plusieurs fois. Dès que je lui ai proposé le scénario, elle m'a tout de suite dit oui. C'est une comédienne disciplinée, qui a énormément d'énergie. Tous les autres comédiens qui étaient sur le plateau ont profité de sa présence lors du tournage.


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