Au-delà de son impact sur les équilibres financiers de la Caisse de retraite, la réforme au cœur de la polémique du moment, est intimement liée à la question de l'emploi pour au moins deux raisons. D'abord, l'Algérie se trouve dans une situation d'aggravation du ratio de dépendance démographique depuis 2008, autrement dit, la hausse de la proportion des personnes de moins de 15 ans et de plus de 60 ans par rapport à la population en âge d'activité, soit les 15-59 ans (voire graphe 1). Ce ratio qui était de 55 pour 100 personnes en 2008 a atteint 60,1 en 2015. En d'autres termes il y a de moins en moins de cotisants pour financier les retraites. Ensuite, les quelques 200 000 dossiers de retraite proportionnelle et sans condition d'âge qui vont atterrir sur les bureaux de la CNR d'ici la fin de l'année posent la question de leur équivalent en matière de création d'emplois. Ces deux catégories représentent 52% des pensions de retraite directe, selon les chiffres de la Caisse nationale de retraite (CNR). Sachant qu'actuellement, la tendance est de deux cotisants pour financer un retraité, il faudrait donc au moins 400 000 emplois nouveaux pour maintenir la caisse à flot. Mais difficilement, car partout ailleurs dans le monde, la norme est 5 cotisants pour un retraité. Ce qui a fait dire au directeur général de la CNR, Slimane Melouka, qu'il faudrait 1 million d'emplois nouveaux pour combler le départ massif des 200 000 nouveaux retraités (ceux qui veulent bénéficier de la retraite proportionnelle et sans condition d'âge avant son abrogation à partir du 1er janvier prochain). Le problème de l'emploi se pose ainsi sur deux niveaux, à court terme pour remplacer les départs massifs avant l'entrée en vigueur de la réforme et à moyen et long termes pour placer les nouveaux arrivants sur le marché du travail, sachant qu'il n'y aura plus de départ avant l'âge de 60 ans. «Il y a des milliers de fonctionnaires qui vont sortir à la retraite. Autour de 50 000 dans l'éducation. Est-ce qu'on pourra payer leur retraite et est-ce qu'on pourra créer autant de postes budgétaires pour les remplacer», s'interroge Meziane Meriane, président du Syndicat national des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Snapest). Selon lui, «on se dirige vers une compression qui ne dit pas son nom, car ça sera très difficile de remplacer les partants vu la conjoncture. Le ministère des Finances ne peut pas créer autant de postes budgétaires d'un coup». D'un autre côté et sur le plus long terme, «les gens vont s'éterniser au travail, ils ne seront pas remplacés, il y aura donc augmentation du chômage». Cet avis est partagé par d'autres syndicalistes. Si on oblige les gens à rester jusqu'à 60 ans, «les remplacements seront difficiles, les demandes vont s'empiler», s'inquiète Sadek Dziri, président de l'Union nationale des personnels de l'éducation et de la formation l'Unpef. Certains économistes nuancent, en revanche, l'impact de la réforme, notamment en ce qui concerne les départs en retraite sans condition d'âge, c'est-à-dire ceux qui ont cumulé 32 ans de travail actif sans avoir forcément atteint 60 ans. Ils représentent autour de 10% de l'ensemble des retraités. «Le départ en retraite des sans condition d'âge va arranger plus l'équilibre du Trésor public. La masse salariale de la Fonction publique est élevée et cela va permettre de permaniser ceux qui sont en pré-emploi», explique Mohand Achir, économiste. Mais «l'impact sur l'emploi sera marginal». Si ces départs accommodent le gouvernement, pourquoi alors fustige-t-il ces demandes de départ massif. «Le gouvernement se soucie d'un équilibre d'urgence, mais structurellement ça l'arrange. Le problème c'est que la question n'est pas abordée d'un point de vue structurel», explique l'économiste. Pour d'autres en revanche, il y aura bel et bien un problème du point de vue de l'emploi. Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPS), a estimé que «25% des effectifs de la santé publique ont déposé une demande de retraite anticipée. C'est une déperdition pour des secteurs qui sont déjà touchés par des déficits d'effectifs». Un autre syndicat autonome de la santé voit, quant à lui, les choses autrement. C'est le Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP). Refusant de se joindre au mouvement de l'intersyndicale qui a décidé d'observer des grèves cycliques pour protester contre la réforme, il se montre mesuré quant à l'impact de cette réforme sur l'emploi. Pour Mohamed Yousfi, «il n'est pas prévu de départ massif au niveau des CHU ou des hôpitaux». A long terme avec l'abrogation de la loi, il n'y aura pas d'impact non plus sur l'emploi, selon lui. «Le renouvellement des générations se fait normalement. Avant 1997 déjà, les gens partaient à 60 ans», sans oublier qu'en médecine, on commence à travailler tard. Pour la santé, le problème ne se poserait donc pas, d'autant que le secteur est demandeur. «Pour les paramédicaux, il y a un déficit important, pour les spécialistes aussi et pour les généralistes, à un degré moindre. Il y a un problème de redéploiement. Il faudrait que les fonctionnaires se déploient sur tout le pays». Nouveaux emplois Pour la Caisse de retraite, l'équation est simple. Il faut qu'il y ait plus d'emplois pour augmenter le nombre de cotisants. Mais où trouver ces emplois, particulièrement en cette conjoncture difficile. L'investissement public a été le principal catalyseur de l'économie ces dernières années, il est évident que sa réduction va impacter la croissance économique et donc la création d'emplois. Le problème c'est que les dépenses publiques ont surtout été orientées vers des secteurs improductifs, débouchant sur des emplois précaires. Un tiers de la population des travailleurs occupe des emplois non permanents, selon les derniers chiffres de l'ONS. En 2011, ce même organisme avait estimé la part du travail non permanent à 53%. «C'est l'état de l'économie algérienne qui est en train de mettre en difficulté le système de retraite», estime Meziane Meriane. «Le problème, c'est la politique du gouvernement, qui favorise des emplois non permanents, fragiles», abonde dans le même sens Sadek Dziri. Aujourd'hui, près de 80% des emplois sont créés dans le secteur des services et du bâtiment. Pour Mohand Achir, «le rythme de création des emplois ne permet pas de remplacer les partants. On crée des emplois précaires qui ne cotisent pas assez pour les retraités. Il y a un problème de croissance hors dépenses publiques». De plus, avec la crise, «le gel des recrutements dans la Fonction publique et dans les dépenses de l'Etat impactent l'équilibre de la CNR, sachant que le secteur privé ne peut pas prendre le relais». Mais ce n'est pas tout. «Nous sommes dans une phase de numérisation et modernisation de la Fonction publique, on n'aura pas besoin de garder tous les fonctionnaires». Autant de facteurs contribuant à la difficulté de créer de nouveaux emplois. Les statistiques font déjà état d'un ralentissement du rythme de la croissance économique. Le gel des projets publics dans le secteur du bâtiment et des travaux publics a contraint des entreprises à mettre leurs employés au chômage technique, quand elles n'ont pas tout simplement mis la clé sous le paillasson. Informel Mais le problème ne se poserait pas avec autant de gravité si l'informel n'était pas aussi important. Les derniers chiffres de l'Office national des statistiques montrent que près de 40% des emplois ne sont pas affiliés à la Sécurité sociale, soit plus de 4 millions d'emplois, dont la déclaration aurait pu alléger le déficit de la CNR qui se chiffrait en 2015 à 30%. Les statistiques officielles laissent cependant apparaître une tendance depuis 2011 allant davantage vers le creusement de l'écart entre emplois formels et emplois informels (graphe 2). Les mesures prises en 2015 pour contraindre les employeurs à déclarer leurs employés et les professions libérales à souscrire à la Casnos sont censées permettre une réduction de l'emploi informel, mais pas sûr que ce soit suffisant. Au cours des dix dernières années, on a créé, bon an, mal an, quelque 220 000 emplois en moyenne. Il en faudrait le double pour être aux normes mondiales en matière de cotisants. La conjoncture économique n'aidant pas, les pouvoirs publics devront chercher d'autres moyens pour assurer aux retraités la possibilité de continuer à percevoir leur pension. Dans ce cadre, formaliser les emplois de l'informel, régler le problème de la précarité de l'emploi ou mettre à contribution ceux qui partent en retraite pour aller grossir les rangs de l'informel seraient quelques- unes des options les plus évidentes. «Il est normal que des employés qui sortent en retraite aillent travailler ailleurs dans le privé vu que leur pension ne couvre pas leurs besoins élémentaires. Il est légitime de chercher un complément, mais rien n'empêche de réglementer» afin que ces nouveaux retraités-travailleurs apportent également leur contribution au système d'assurance sociale. Mais pour l'heure, la préoccupation du gouvernement est davantage de retarder le départ des prétendants à la préretraite que de réglementer leur future réinjection dans le circuit de l'emploi.