Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, l'Algérie ne sait plus réagir face au terrorisme, alors que, spontanément, il y a une quinzaine d'années, elle s'était levée comme un seul homme contre ce terrifiant péril : dès le début de la décennie 90, lorsque les tueurs commencèrent à semer la mort et que leurs commanditaires appelèrent à la mise à mort de l'Etat républicain, les patriotes, les femmes, les intellectuels, les partis, la presse et des citoyens anonymes, en nombre incalculable, furent aux premières lignes, apportant un précieux concours à l'Etat vacillant et aux forces de sécurité confrontées à une guerre inédite qu'elles ne savaient pas faire. Ce fut le temps de la grande résistance populaire qui trouva son prolongement dans la sphère politique : Boudiaf, le HCE, Zeroual et les janviéristes incarnèrent l'engagement du politique dans une lutte civilisationnelle. Il s'agissait de barrer la route à de puissants groupes armés fanatisés, militairement et financièrement soutenus de l'extérieur, dont un Occident incapable de saisir les vrais enjeux de la guerre qui ravageait l'Algérie à huis clos. La résistance antiterroriste finit par avoir le dessus en dépit de pertes énormes et de profonds traumatismes. Mais au fil du temps, apparut, au sein de la sphère politique dirigeante, une nouvelle perception de la crise : de mal absolu, contre lequel aucune concession n'était possible ni concevable, le terrorisme était perçu comme une « réponse nécessaire » à une oppression politico-militaire. L'interruption du processus électoral de 1992 était désignée officiellement comme « une violence ». Sur cette conviction se bâtit une nouvelle stratégie : pour avoir la paix, il fallait tendre la main aux terroristes et composer avec leurs commanditaires. Menée tambour battant dès le début du siècle — alors même que le 11 septembre 2001 conforta les positions de la décennie 90 — cette politique n'aboutit en réalité qu'à installer dans le pays une grande illusion. Le terrorisme perdit en ampleur mais ne faiblit nullement en nuisances et en impact. La concorde et la réconciliation se transformèrent en d'inespérées planches de salut à l'islamisme politique et à l'intégrisme religieux. Les forces de sécurité finiront par se retrouver seules à affronter le danger multiple, privées de ce précieux soutien qu'est la résistance populaire : le défaitisme et un immense sentiment d'impuissance ont gagné aussi bien la population que l'opposition politique et la société civile. En l'absence d'un climat général de forte mobilisation, à l'image de celui de la décennie 90, les anciens réflexes de lutte se sont émoussés. L'Algérie a gagné la première bataille contre le terrorisme, mais il n'est pas sûr qu'elle ait, aujourd'hui, les capacités de remporter la guerre.