En 2011, à l'issue des assises nationales dédiées au développement local, le Conseil national économique et social (CNES), sur la base d'une série de rencontres régionales, a émis de nombreuses propositions pour relever la participation des communes dans le développement économique. Donner aux collectivités locales les moyens d'accomplir pleinement leurs missions et les placer en capacité d'agir de manière plus efficace et plus durable dans la gestion des affaires locales pour répondre efficacement aux besoins des populations, figurait parmi les 50 recommandations des experts. Dans ce cadre, il avait ainsi été suggéré de réviser à la hausse le montant des plans communaux développement (PCD) considéré, faut-il le noter, comme l'outil le plus approprié pour une plus grande efficacité de l'action publique au niveau local. En 2008, un rapport du Centre national d'études & d'analyses pour la population & le développement (Ceneap) avait également mis le point sur ce qui ne va pas au niveau des collectivités et plaidé pour la réforme de la finance locale. Cependant, le dossier n'a pas été pris en charge, même durant les années fastes qu'a connues le pays. En 2011, 2012 et 2013, les prix du baril étaient pourtant à leur plus haut niveau. Le gouvernement avait donc une marge de manœuvre assez importante pour appliquer ces mesures et bien d'autres. Il avait aussi l'opportunité d'enclencher la réforme de la fiscalité locale en révisant notamment le système de recouvrement des taxes et impôts au niveau du lieu de domiciliation des sièges sociaux des entreprises installées majoritairement dans les grandes agglomérations. Mais le changement se fait encore attendre et les conditions ne sont plus les mêmes financièrement. Cinq ans après les «fameuses» assises sur le développement local, on met aux oubliettes les recommandations des experts, on efface tout et on lance un appel aux collectivités locales afin de redoubler d'efforts pour contribuer à attirer l'investissement au niveau local et pour le recouvrement des impôts. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a, en effet, appelé, la semaine dernière, les élus locaux à s'impliquer dans l'amélioration de l'attractivité de leur territoire et le captage des investissements. Les maires ont également été appelés à se débrouiller pour trouver les ressources financières nécessaires à leur développement en valorisant leur patrimoine. Avec quels moyens et avec quelles prérogatives ? Des questions qui s'imposent, sachant que le pouvoir des élus locaux au niveau des communes se trouve bien limité, coincés entre un manque de prérogatives, d'un côté, et l'interventionnisme de la tutelle incarné par le wali, de l'autre. «La marge de manœuvre existe, mais les textes réglementaires nécessaires pour permettre aux communes de l'exploiter font défaut», estime Ali Debbi, enseignant chercheur à l'université de M'sila. «Le code de 2011 a prévu l'autonomie financière de la commune, mais dans les faits, c'est difficile. Elles ne peuvent même pas imposer une taxe. On n'a pas senti une volonté réelle de décentralisation et de donner de vraies prérogatives aux maires». Diktat des chefs de Daïra et des Walis Le fait est que les élus qui incarnent le choix de la population locale et qui connaissent le mieux ses besoins et ses attentes sont soumis à l'autorité d'un responsable qui, lui, n'a pas été élu. Une situation devant laquelle certains responsables locaux désespèrent. Benlarbi Bayzid, membre de l'Assemblée populaire de la wilaya de Djelfa, déplore que «les textes actuels ne donnent aucune liberté aux P/APC. Il n'y a rien qui leur permette de gérer le foncier industriel», par exemple. «C'est une prérogative du wali. Tout se décide à son niveau». Dans l'instruction interministérielle n°01 du 6 août 2015, le wali est désigné comme celui qui statue sur le dossier de demandes de concession pour les projets d'investissement et en cas d'avis favorable, prend un arrêté d'éligibilité à la concession et le notifie à l'investisseur. Pourtant, les discours officiels abondent depuis longtemps dans le sens de libérer les initiatives et de donner la latitude aux élus locaux. Mais le décalage avec la réalité est énorme. «Quand les collectivités prennent réellement des initiatives, elles sont bloquées», explique Mohamed Achir, enseignant en économie. C'est le cas pour le projet Ayla Tmurt, lancé en mai dernier avec l'objectif de développer la solidarité intercommunale. «On a commencé à travailler, mais le projet n'est pas institutionnalisé faute de cadre réglementaire», explique Mohamed Achir. «Les pouvoirs publics doivent au moins donner un cadre légal et officiel à ces initiatives, sinon on ne pourrait pas mobiliser les financements des projets qui rentrent dans le cadre de la convention intercommunale». «Le maire n'a pas toute la latitude pour agir», explique Mohamed Boukhtouche, président de l'Assemblée populaire communale de Souama, une commune rurale de la wilaya de Tizi Ouzou. «Si je veux octroyer une assiette foncière à un investisseur, je ne peux pas, car ce n'est pas du ressort de l'APC, mais de celui du wali. Le maire ne représente qu'une voix parmi d'autres». Même chose quand il s'agit de la gestion du patrimoine immobilier de la commune. «Si je veux louer un bien, ce sont les Domaines qui interviennent. Ils vous facturent une prestation et à la fin vous fixent un tarif qui n'a rien à voir avec la réalité du marché». Le maire d'une commune rurale de Béjaïa (Tinebdar) abonde dans le même sens. Pour Braham Bennadji, «la crise financière que traverse le pays fait paniquer le gouvernement. Au lieu d'entreprendre des réformes structurelles à la hauteur de la conjoncture, d'opérer un changement important dans l'administration en adoptant une réforme politico-administrative, qui permettra une large décentralisation en donnant les pleins pouvoirs aux régions, en transformant les APW actuelles, synonymes de simples agences postales, en véritables parlements régionaux, d'où les walis seront élus et non désignés, il a été procédé au renforcement des prérogatives des walis», regrette-t-il. «Pour créer une simple ligne de transport qui desservira un village isolé, il nous a fallu l'autorisation du ministre en personne, que dire alors d'un grand projet d'envergure», donnera-t-il comme exemple pour souligner les prérogatives limitées des élus. «Non seulement elles sont limitées, mais pour le peu stipulé dans le code communal, les maires se heurtent à la mentalité rétrograde qui sévit dans les différents services de l'Etat, un exemple, à ce jour, la brigade de gendarmerie refuse d'exécuter un simple arrêté de stationnement, établi par ma commune», enchaînera-t-il. Et de résumer que l'initiative pour une relance économique des collectivités ne peut se faire sans un large pouvoir et par la suppression des postes désignés des chefs de daïra et des walis. Ressources Côté moyens, c'est également le casse–tête. Différents rapports soulignent la fragilité des communes. Ces dernières sont, pour la plupart, en déficit, puisqu'elles éprouvent des difficultés à équilibrer leurs comptes et à faire face aux lourdes charges qui leur incombent. D'où d'ailleurs l'endettement récurrent des communes avec des besoins de financement en croissance et des capacités d'autofinancement en baisse. «Malgré l'introduction de nouvelles mesures et l'amélioration du niveau des recettes, la fiscalité locale n'arrive toujours pas à répondre aux besoins financiers sans cesse croissants des communes», souligne à ce sujet le rapport du Ceneap datant de 2008. «Il y a moins de recettes, mais plus de dépenses, surtout de fonctionnement, car l'Etat a aussi imposé des recrutements dont la charge pèse sur le budget», souligne Ali Debbi. Selon des chiffres du ministère de l'Intérieur livrés en 2015, près des deux tiers des communes (958) sont classés pauvres, moins d'un tiers (480) ont un niveau moyen et seulement une centaine sont considérées comme riches. Les dotations budgétaires et les aides attribuées à travers la formule de la péréquation ont permis, selon les chiffres officiels, d'aboutir à zéro commune déficitaire en 2014 (voir graphe). Il y a dix ans, les 3/4 des communes étaient dans une situation de déficit, selon une étude du Ceneap. Parmi elles, les deux tiers étaient des communes rurales. Le déficit était à mettre sur le dos d'une inadéquation entre les missions conférées aux communes et les ressources dont elles disposaient, sachant que les charges salariales représentaient parfois jusqu'à 50% de leur budget de fonctionnement. A coups d'aides et d'effacement des dettes, l'Etat a réussi à baisser le nombre de communes déficitaires, mais pas leur dépendance. «Le gouvernement a fait un gros effort pour régler le problème des déficits, mais à travers le FCCL. Si les communes deviennent totalement autonomes, elles seront déficitaires», explique Ali Debbi. Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, en 2015 la Caisse de solidarité et de garantie des collectivités locales (qui a remplacé le FCCL) a alloué une attribution de péréquation de l'ordre de 82 milliards de dinars. Plus de 93% des communes, ainsi que les trois quarts des wilayas du pays en ont bénéficié. Réformes en attente Si le temps de se défaire des dotations de l'Etat est venu, selon le gouvernement, les élus locaux ne sont pas contre, mais avec des réserves. «Il aurait fallu libérer les initiatives quand il y avait de l'argent. On ne peut pas supprimer toutes les aides du jour au lendemain. Un foncier industriel a besoin d'être viabilisé, aménagé, etc.», observe Mohamed Boukhtouche. Pour lui, il y a clairement un problème de textes. «Les maires doivent pouvoir fixer les valeurs vénales des biens et patrimoines dont ils disposent. Il faut aussi que les délibérations des Assemblées communales soient exécutoires». Pour Ali Debbi, «si on doit supprimer les subventions, les maires doivent pouvoir abandonner certaines tâches qui leur sont imposées, comme les services d'état civil. Si on transfert des missions étatiques aux collectivités locales, il faut aussi transférer les ressources financières qui vont avec». Il y a aussi un problème de réforme des finances locales et des codes (commune et wilaya) à mettre en œuvre. Les intentions ont certes été nombreuses avec la mise en place de plusieurs commissions depuis 1973, sans toutefois aboutir à une refonte de fond. On a assisté au fil des ans à de simples mesurettes. Et voilà qu'aujourd'hui, le ministre en charge du secteur, Noureddine Bedoui, annonce une prochaine révision des codes communal et de wilaya, conformément à la dernière révision constitutionnelle. Les modifications qui seront introduites dans ces codes visent à «lever les obstacles» et permettre une action plus efficace des collectivités locales. Le ministre a également plaidé pour une «révision» de la fiscalité et des finances locales à travers l'institution d'un cadre fiscal et financier permettant aux communes de sortir de leurs «difficultés financières». Ce que ses prédécesseurs n'ont pas manqué de promettre. Une promesse qui revient à quelques mois des élections locales de 2017. En tout cas, la tâche s'annonce d'ores et déjà rude pour les futurs élus dans le contexte actuel. Conjugué à la démographie galopante et l'accroissement des besoins des populations, le manque de ressources et le désengagement annoncé de l'Etat augurent de missions difficiles aux futurs maires, dont les prédécesseurs n'ont pas vraiment profité de l'ère de l'aisance pour améliorer le quotidien de leurs administrés.