Plusieurs écoles et établissements universitaires connaissent de larges mouvements de protestation. En pleine période d'examens, à quelques semaines des vacances d'hiver et surtout à quelques mois des élections législatives, les étudiants des Ecoles normales supérieures, les vétérinaires, les pharmaciens, mais aussi ceux de certains établissements universitaires sont entrés en grève sur le territoire national. A Alger, Boumerdès, Béjaïa, Constantine ou encore à Ouargla, l'effet boule de neige a submergé toutes les régions du pays. La synchronisation de cette colère, son étendue géographique et surtout «académique» (elle touche plusieurs spécialités) ainsi que la diversité des revendications suscitent des interrogations, même si les problématiques posées sont réelles. Au début de ce mois, le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, devant des représentants des organisations estudiantines, avait incité les étudiants à faire de la politique. Tahar Hadjar aurait-il été écouté aussi rapidement ? «Il y a certainement de la manipulation politique derrière ces mouvements de protestation. Mais ces influences n'auraient pas eu cette ampleur s'il n'y avait pas un malaise profond. Cela se ressent aussi bien au niveau des étudiants qu'à celui des enseignants», explique Farid Boutaba, membre du bureau national du Conseil national des enseignants du supérieur (Cnes). Ce dernier, tout en rappelant que de tout temps «des noyaux d'étudiants politisés ont existé dans les universités», assure que ces mouvements de colère vont se propager dans les jours à venir. «C'était prévisible. Cette colère est le résultat de la mauvaise gestion des établissements universitaires. La gestion des flux au détriment de la qualité de l'enseignement a fait des dégâts aussi bien sur le plan pédagogique que scientifique», poursuit-il, en soutenant que la conjoncture politique renforce le sentiment de peur chez les étudiants. «Oui, l'étudiant a peur pour son avenir. Et il a surtout peur de la privatisation des œuvres sociales», déclare Farid Bouteba. Cette crainte liée aux conjonctures politique et économique est confirmée par le secrétaire général de l'Union générale des étudiants algériens (UGEL), l'une des organisations estudiantines les plus influentes dans les campus. «Avec la crise économique les postes d'emploi se font rares, alors les étudiants se ruent sur les diplômes de post-graduation pour maximiser leurs chances. D'un côté, ces étudiants sont stressés par les appels à l'austérité, et d'un autre, ils sont freinés dans leur cursus. Là est la cause de la colère», assure Samir Anser, en déclarant que l'UGEL est «derrière» le mouvement de protestation des étudiants des Ecoles normales supérieures (ENS) et des vétérinaires. «Les revendications de ces étudiants sont anciennes. Déjà l'année dernière (en avril 2015), un long mouvement de grève avait bloqué les ENS suite à l'annulation du concours de magistère. Mais devant les promesses non tenues du ministère et l'absence de dialogue avec les responsables d'établissement, les étudiants ont repris la protestation», explique le secrétaire général de l'UGEL. Même si les raisons invoquées par les étudiants grévistes des ENS eux-mêmes, ou par les représentants des organisations estudiantines (l'UGEL est la plus influente, mais pas l'unique) motivent bien la colère des universitaires, il reste que le timing, la diversité des réclamations et la propagation des mouvement suscitent bien des interrogations. Car 2017 est une année d'élections (législatives) qui ouvre la porte à des joutes politiques où tous les coups sont permis. Ainsi, chaque force politique tente d'engager ses troupes pour exhiber son pouvoir d'influence afin de négocier les quotas en jeu. Et il est de notoriété publique que malgré l'article 13 de la loi n°12-06 relative aux associations, ces organisations estudiantines sont toutes officieusement arrimées à un parti politique. Ainsi, pour l'UGEL, l'enquête publiée par Les Cahiers du Crasc, intitulée «Religiosité et quête identitaire en milieu étudiant», coordonnée par Mohamed Merzouk (maître de conférences à l'université d'Oran, chercheur associé au Crasc), il est clairement dit que «c'est l'Union générale estudiantine libre (UGEL) qui sert de courroie de transmission à Hamas dans les cités universitaires», ou encore «l'UGEL a été créée par Hamas (HMS aujourd'hui) en 1989» (Cahiers du Crasc n°24, 2012). Et il en est de même pour d'autres organisations, à l'image de l'UNEA qui est clairement sous le joug du FLN. Ainsi, à la lumière de ces données, il semble évident que les mouvements de grève qui secouent, à une quinzaine de jours des congés d'hiver, plusieurs établissements universitaires du pays, n'ont pas que des visées pédagogiques ou socioéconomiques relatives à la vie des étudiants. Sans vouloir être cités, plusieurs responsables et acteurs du secteur avouent qu'il s'agit là de pures manipulations liées à la crise politique qui se reflète ces dernières semaines dans les arcanes du Parlement. Cette intrusion du politique dans l'université est un secret de Polichinelle qui ne devrait pas inquiéter outre mesure. Seulement en l'état actuel d'une société en ébullition, la colère des étudiants pourrait exciter d'autres craintes qui seront, elles, beaucoup plus difficiles à juguler. Alors, une place à l'APN vaut-elle une telle prise de risque ?