Zoom sur un projet passionnant et panorama sur le théâtre algérien. Avec votre initiative, vous vous attaquez au sempiternel problème de textes au théâtre... Oui, car depuis au moins 40 ans on relève l'insuffisance ou le manque de textes au théâtre comme au cinéma d'ailleurs. Et, en fin de compte, on s'arrête toujours au constat. Il est temps d'agir, d'où cette initiative. En fait, on n'invente rien. On réinvente, car on adapte par rapport à l'Algérie les résidences d'écriture qui existent partout. Cela fait très longtemps que j'avais imaginé une action dans ce sens, une action de terrain pour découvrir de jeunes et moins jeunes auteurs qui ont envie d'écrire. J'avais fait déjà une première tentative lors de l'Année de l'Algérie en France. A l'époque, j'avais lu quelques romans algériens et trouvé que quelques-uns se prêtaient à une adaptation théâtrale. Vous avez toujours défendu cette idée… Oui, la littérature peut servir à la dramaturgie, mais en tant que matière première, bien entendu. J'avais demandé à Arezki Mellal, Mustapha Benfodil et d'autres s'ils étaient intéressés par le théâtre. Mellal me disait alors qu'il ne connaissait pas les techniques d'écriture théâtrale. Je leur avais fait rencontrer un metteur en scène, Olivier Py, actuel directeur du Festival d'Avignon, et Mohamed Kacimi, auteur dramatique avec lequel j'avais travaillé sur l'adaptation de Nedjma. Cette rencontre n'a duré qu'une semaine, mais elle a provoqué un déclic chez eux. Puis, j'ai pu leur trouver des résidences d'écriture en France. Maintenant, Arezki Mellal a plusieurs pièces jouées et éditées. Benfodil aussi s'est lancé. Après ça, j'ai déposé un projet de résidence, mais je n'ai pas eu de réponse. Là enfin, j'ai trouvé un partenariat avec le TNA qui a décidé d'accompagner le projet. Qu'en est-il exactement ? J'ai participé à de nombreux ateliers d'écriture ou résidences. Généralement, ils concernent des gens qui ont déjà un projet d'écriture et même une carrière. En fait, on facilite leur projet en leur donnant les moyens de le développer. Cela se fait généralement sur la base d'un contrat avec une maison de résidence. A ma connaissance, le type de résidence que nous avons conçue n'existe nulle part au monde. Inviter comme ça des gens à écrire, leur donner les outils pour écrire une pièce, les orienter dans leur écriture mais sans les diriger et les accompagner jusqu'à la réalisation de leur pièce… Avant, on a fait un appel à projets. On en a reçu près d'une cinquantaine. Sur ce nombre, on en a retenu dix. On a invité leurs auteurs à venir à Alger et, sur audition, nous en avons retenu cinq. L'équipe qui m'accompagne comprend un auteur, Arezki Mellal, un metteur en scène, Ahmed Khoudi, un critique de théâtre, Ahmed Cheniki, et le linguiste Lakhdar Maougal. L'originalité de la formule réside donc aussi dans l'accompagnement pédagogique... Absolument. Cela n'existe pas dans les résidences d'écriture classiques. Les participants n'ont pas beaucoup de références de théâtre, que ce soit par la lecture ou la vision de pièces, et quand ils en ont vues deux ou trois, c'est en Algérie et sans ouverture sur l'universel. Il fallait y remédier en partie. On leur donne des éléments de culture théâtrale, mais on les oriente aussi sur des lectures. Ils doivent fournir un effort dans ce sens. La première étape a duré 21 jours avec un travail personnel de 2 ou 3 jours qui est présenté ensuite. On leur a demandé dès le départ de ne pas écrire toute la pièce, juste quelques scènes… Tous les trois jours, on fait une évaluation avec eux pour les aider à évoluer, les amener à revoir… Ces évaluations se font en groupe ou en solo ? Toujours en groupe et on ouvre le débat en faisant circuler les commentaires. Durant cette étape, on leur a projeté trois pièces algériennes filmées aux écritures différentes. On a voulu leur apporter quelque chose sur l'écriture théâtrale en Algérie. Il y a eu aussi des lectures de pièces par des comédiens professionnels et deux tables rondes sur l'écriture populaire telle que pratiquée par Alloula et Rouiched et une autre encore sur l'écriture de Kateb Yacine au théâtre. A l'issue de ces 21 jours, chacun des cinq a bouclé l'écriture d'environ un quart d'heure de sa pièce. Nous avons fait lire ces ébauches par des comédiens. Pour un auteur, écouter son texte est très enrichissant et cela peut mener à revoir le texte. Après cela, chacun est rentré chez soi. Ils ont encore avancé sur le projet initial et, en ce moment, nous faisons une deuxième mise au point. Ils en sont à peu près à mi-chemin du parcours. Vous aviez relevé la diversité de profils des participants. Après sélection, on est toujours dans ce cas ? Oui, je peux dire que nous avons toujours cette diversité. On a un médecin par exemple, un étudiant d'Oran qui choisi le théâtre comme sujet d'études, une comédienne qui est aussi auteure et qui doit travailler dans une administration, etc. Que va-t-il se passer dans la troisième et dernière étape ? Il s'agit de contacter cinq théâtres, de mettre chacun des auteurs en résidence et de réunir dans chaque théâtre une équipe artistique complète : metteur en scène, scénographe, comédiens… Je vais suivre tout le processus de production avec un ou deux membres de notre équipe jusqu'à la réalisation finale de la pièce. On donnera alors des représentations dans les villes des théâtres partenaires, puis une rencontre à Alger avec les cinq pièces. Cela nous mène à quelle échéance ? Disons au printemps ! Vers juin… J'aimerais dire que lorsque l'on présente un projet, beaucoup de gens n'arrivent pas à l'imaginer. Ils ont besoin de choses concrètes. On veut leur montrer les choses de manière pratique. Ils doivent comprendre aussi qu'il n'y a pas d'obligation de résultat. Les pièces ne seront pas des chefs-d'œuvre. On pourra y trouver des pépites, mais aussi des éléments moins brillants. C'est un projet structurant que nous engageons là. Il doit devenir pérenne et se répéter à chaque saison si l'on veut obtenir un effet. La formule doit être mise en place un peu partout, en multipliant les résidences dans le pays si l'on veut un travail de fond, détecter des potentiels et des talents, les encourager, les mettre en selle et en scène. Vous aidez, mais êtes-vous aidés ? Il y a des institutions qui devraient participer je dirais naturellement à ce projet. Je pense par exemple à l'ONDA qui est à nos yeux un partenaire évident et d'autres encore. En fait, vous voulez apporter un exemple de résidence de création associé à une démarche. Oui, une espèce d'expérience-pilote, de copie zéro d'une dynamique à enclencher. Cela nous amène à la question de la formation artistique en Algérie... Oui, car cela n'est qu'un pan de tout ce qui doit se faire pour d'autres métiers du théâtre et même pour les autres disciplines. Là, on a travaillé uniquement avec le Théâtre national d'une manière plus ou moins empirique car, après, il faudra recaler cette expérience à partir d'une évaluation pour asseoir le projet et lui donner l'envergure qu'il mérite. Vous pensez à quels métiers ? Pour vous répondre, on doit revenir à l'ensemble. Le Festival national du théâtre professionnel vient d'avoir lieu. Je ne veux pas faire de constat, ni revenir à l'histoire du 4e art dans notre pays. Il faut aller directement aux questions essentielles et notamment celle-ci : qu'est-ce qu'un théâtre professionnel ? Soyons clairs : si on se base sur les critères universels, nous n'avons pas de théâtre professionnel dans notre pays. Un théâtre qui n'a pas un public régulier, pas de politique de programmation, de choix de textes, etc. n'est pas professionnel. Il faut travailler en saisons théâtrales pour fidéliser le public, de telle sorte qu'il sache que de septembre à juillet, à telle ou telle date, il verra ceci ou cela, et pourquoi on le lui propose en justifiant le choix des auteurs et des pièces ; bref, faire participer le public à la démarche du théâtre, prendre le temps d'écouter les spectateurs… Quelle est aujourd'hui la relation du théâtre à son public ? Sait-on comment il a reçu telle ou telle pièce ? Quel est son regard, son point de vue sur le spectacle mais aussi l'accueil ? Comment avancer si on n'a pas cette interactivité ? Le public peut nous amener à nous remettre en question. Il y a eu cependant quelques moments forts et il y en a encore parfois... Bien sûr, on a eu quelques moments du point de vue de la création mais non de l'organisation. Ces moments, nous les devons à quelques hommes et femmes de théâtre passionnés par leur métier qu'ils ont appris difficilement, à force d'efforts et d'intéressement à l'évolution du théâtre dans le monde. Nous avons des comédiens professionnels, pas tous d'accord, mais qui ne demandent qu'à faire un vrai travail. Ceci nous amène à une chose simple : si on veut vraiment construire, il faut savoir s'arrêter et réfléchir à ce qui se passe, ne serait-ce qu'au niveau des institutions théâtrales. Précisez votre pensée, je vous prie… Jusqu'aux années 70', on a eu le TNA. Après, il y a eu cette politique de décentralisation qui est une bonne chose avec la création de cinq théâtres régionaux et maintenant une flopée. Au départ, on n'a pas réfléchi vraiment : quelles sont les missions des théâtres régionaux, un démembrement du théâtre national ou quoi ? Quels sont les profils des directeurs ? Quel est leur mandat ? Je n'ai jamais vu dans le monde de directeur de théâtre qui a 20 ou 25 ans à son poste ! Cela n'existe pas. Et quand on voit les profils, on se demande comment certains sont restés aussi longtemps. De mon point de vue, il faut tout revoir. Et d'abord définir le rôle des théâtres régionaux. Si l'on veut vraiment faire bouger les choses, il faudrait trois ou quatre théâtres nationaux avec une mission de création singulière. On peut imaginer le Théâtre national d'Alger avec une mission de répertoire. Un autre serait à Ouargla ou Tamanrasset avec une ouverture sur le théâtre africain. A Constantine ou ailleurs, on aurait un théâtre national ouvert au répertoire arabe. Chacun de ces théâtres nationaux aurait une partie de créations algériennes et une autre centrée sur un répertoire particulier en invitant des troupes à se produire, des metteurs en scène à créer des spectacles avec des auteurs africains, arabes, européens… Une mission claire avec un cahier des charges. On créerait ainsi une compétition artistique et une hiérarchisation des institutions… On créerait surtout de la diversité et donc de l'originalité. Une telle démarche serait novatrice pour le paysage culturel en général. Et là, quand on fera un festival, on aura une richesse des approches esthétiques des écritures, des contenus… Ce n'est pas obligé que tous les théâtres fassent de la création. Seuls les théâtres nationaux, qui seraient alors des centres nationaux de création, devraient en faire à mon sens. Tous les autres théâtres seraient alors ce qu'on appelle ailleurs des «scènes nationales» qui ont pour objet d'accueillir des spectacles. Ici, on peut parler d'un autre volet, les coopératives. C'est l'anarchie. Vous avez été cofondateur de la première coopérative, La Citadelle. Puis vous avez créé El Gosto… Vous avez ouvert la voie, non ? C'est bien parce que j'ai une expérience en la matière que je dis cela. C'était dans un contexte particulier et j'avais la possibilité alors d'avoir des coproductions à l'étranger. Sinon, ici, je n'ai pratiquement eu aucune subvention. Ce que j'ai fait avec la Citadelle et El Gosto s'est construit en général avec des apports extérieurs à l'Algérie. Quand on voit aujourd'hui le nombre incalculable de coopératives, on se pose des questions. Ce ne sont ni des professionnels ni des amateurs. Si nous instituons des scènes nationales, celles-ci peuvent amener à une redéfinition de ces compagnies. Elles seraient semi-professionnelles en clarifiant exactement ce que cela pourrait signifier. Elles seraient en résidence dans ces théâtres-scènes-nationales. Et là, je ne vois pas pourquoi c'est le ministère de la culture qui dispose d'un fonds d'aide à ces troupes. On devrait décentraliser ces aides en les confiant aux scènes nationales car elles connaîtront leur proximité. Mais comment s'assurer que ces scènes seront efficientes ? En les responsabilisant sur ces budgets, en les contrôlant, en les évaluant. J'ai vu des choses inouïes. Prenons un exemple : une coopérative a reçu une aide. Dans son cahier de charges, il est mentionné qu'elle doit donner 15 représentations. Au bout du compte, faute de public, il n'y a pas eu de représentations. On annule et le responsable du théâtre qui a accueilli la troupe signe un «service fait». Imaginez à l'échelle de 10, 20 ou 50 pièces avec zéro public et cette gymnastique administrative qui établit un «service fait» uniquement parce que la troupe s'est déplacée. Et voilà, on a rempli notre mission ! Si on met les coopératives en résidence dans des scènes nationales, on peut vérifier réellement ce qui se fait. On peut évaluer pour l'année prochaine si l'on reconduit ou non une subvention. Le rôle du ministère de la culture est de créer des pôles d'excellence de la création et non de donner des subventions à des multitudes de troupes. Ce n'est pas sa mission. Sans compter la politique du jeunisme… Pour encourager les jeunes, c'est le rôle de l'APC, de la wilaya, des maisons de jeunes. Les wilayas ont aussi un rôle culturel. Il y a plein de compagnies qui n'ont pas l'étoffe d'être de vraies troupes de théâtre. A ce moment, le ministère ne s'occuperait que des compagnies en résidence de création auprès des scènes nationales. C'est pourquoi je défends l'idée de plusieurs théâtres nationaux qui vont innover, faire de la recherche, réinventer le théâtre algérien dans une esthétique particulière. Travailler aussi techniquement avec la lumière et le son. Comment découvrir les nouvelles écritures ? Comment faire travailler autrement des comédiens qui ont pris une forme d'interprétation ? Comment créer des sortes de labos ? Il faut donc des lieux où l'on mettra des moyens à cet effet, des endroits qui vont secouer un peu la force d'inertie qui risque de s'installer… Sinon, on va tomber dans la routine... Elle ne s'est pas encore installée ? Oh que si ! Je veux dire qu'après, cela risque d'être irrattrapable. Mais cela fait partie de tout notre environnement culturel. Le manque d'échanges et de rencontres ne concerne pas que le théâtre. Je me souviens qu'auparavant, les artistes de toutes les disciplines se rencontraient. J'ai eu l'occasion de travailler sur les dramaturgies arabes dans un projet de l'Union européenne. C'était à la Friche Belle de Mai à Marseille. Ce lieu est une couveuse où se croisent des tas de disciplines : peinture, danse, musique, photo, etc. Une pépinière multidisciplinaire en quelque sorte… Voilà ! Ces scènes auraient des cafés aussi, des lieux de discussion informelle. Des projets peuvent naître de ces rencontres. A un moment donné, cela existait, des passerelles quoi, qui malheureusement n'existent plus beaucoup. Hélas, cela concerne toute la culture. Il faut que l'on sorte de cet entre soi dans la même discipline. Etre entre soi, à un moment, c'est la mort. Un peintre peut me donner une idée pour une mise en scène, un poète, un musicien, etc. Aujourd'hui, la passion est loin du compte. Parce que l'environnement pèse, parce que et parce que… Je reviens à ce que je disais : c'est parce que nous n'avons pas un vrai théâtre professionnel. Si je joue et qu'il y a trois ou quatre spectateurs, avec toute la passion que l'on peut avoir pour le théâtre, on dépérit. S'il n'y a pas la passion, le débat, le public… Il y a pourtant des pièces qui attirent du monde. Par exemple Torchaka d'Ahmed Rezzak… Je n'ai pas pu encore la voir. Attention, je ne dis pas qu'il n'y a pas de pièces intéressantes, mais elles sont diluées dans la masse. Il y a en plus un problème de communication, de programmation. Nous devons être intransigeants sur la qualité. On ne doit pas passer d'une pièce très belle à quelque chose d'insignifiant. On doit garder un SMIG de niveau. Normalement, une pièce doit être à l'affiche une quinzaine voire une vingtaine de jours. Déjà, on doit donner le temps aux comédiens de parfaire leur jeu. Dans le monde entier cela se fait par le nombre de représentations. Une pièce, on a beau la répéter, ce n'est jamais comme avec le public. Aujourd'hui il y a des tas de moyens de communication, de nouveaux médias, internet, mais le vrai canal de promotion reste la bouche-à-oreille. Il faut donc installer la pièce, la laisser circuler. Dans une capitale comme Alger, si on monte une pièce pour la jouer trois fois, puis l'arrêter un mois pour jouer encore trois jours, c'est comme si on n'avait rien fait. Avec la crise et les restrictions budgétaires, beaucoup s'inquiètent pour la culture. Qu'en pensez-vous ? En vérité, à chaque fois qu'il y a crise, c'est la culture qui pâtit. Et pas seulement en Algérie. On n'a souvent pas idée du rôle de la culture dans un pays. Ce n'est pas un luxe, quelque chose de superflu. Pourtant, les gens voyagent et voient ce que la culture représente. Elle contribue même à l'économie dans les pays où elle est considérée. Dans le tourisme déjà. Pour un monument ou un musée on vient de partout. Il faut parvenir à cette conscience et cette vision de la culture du point de vue économique, mais aussi et surtout pour la construction de l'être humain, du citoyen. On voit ce que l'absence de culture entraîne : des zombies, l'extrémisme, la drogue, la violence… Pour certains, tout ce qui est donné à la culture paraît de trop. Ce n'est pas la faute aux artistes, car cela fait un bon moment qu'on dirige pour eux. Il y a eu des moments où l'on a eu beaucoup d'argent, mais malheureusement il a été mal utilisé. Ce qui ensuite justifie les restrictions. On n'a pas consulté les artistes et les décisions ont été prises de manière très bureaucratique. On n'a pas assez donné pour la création et surtout pour la formation artistique en général. Notre système de formation artistique est en déliquescence. Les écoles d'art sont maintenues sous perfusion. Mais le vivier est là. C'est de là que vont venir les générations qui vont réinventer la culture algérienne, que ce soit le théâtre, le cinéma, les arts plastiques… Il y a aussi des moyens de surmonter la crise. En mutualisant les moyens entre plusieurs institutions culturelles autour du même projet. Et puis, cela n'a pas de sens de monter des tas de spectacles qui n'ont pas d'envergure, d'effet. Là, on peut faire de l'économie en ne retenant que ce qui est de qualité. Mais là aussi il y a un danger, celui de limiter après l'expression. Il faut échanger entre tous les acteurs de la culture pour trouver les bons équilibres. Quelle est votre prochaine pièce ? Je travaille sur un texte de Leïla Aslaoui que j'adapte pour le théâtre. Ce sera pour l'année prochaine et je vous en dirai plus une autre fois.