Encore plus que par le passé, la problématique et les enjeux de la lutte et la prévention de la pollution industrielle, sous toutes ses formes, manifestes ou perverses, est sérieuse, revêtant un caractère à la fois sociétal, économique et politique. La situation est des plus inquiétantes, et c'est le cas de le dire si l'on se fie au sinistre état des lieux récemment dévoilé, lors d'une conférence de presse, par des chercheurs de l'Association nationale pour la protection de l'environnement et la lutte contre la pollution (ANPEP). Les récurrents scandales des polluants industriels solides et liquides, tous connus pour causer de graves dommages à l'homme, à l'animal et aux végétaux, largués en toute impunité, à même des oueds de l'Est du pays ; Oueds Seybouse (Annaba), El Kebir (Skikda), Mencha et Djen Djen (Jijel) d'où s'alimentent des humains, s'abreuvent des bovins et ovins et sont irriguées des milliers d'hectares de terres agricoles, ont, une fois encore, poussé les écologistes de l'Anpep à tirer la sonnette d'alarme. Car, à les en croire, la menace sur la santé publique est bien réelle et il serait déraisonnable voire périlleux de la sous-estimer. En témoignent les nouveaux chiffres dévoilés, lors de la conférence, qui en disent long sur ce que font subir nombre de nos industriels à l'environnement et les risques auxquels ils exposent leurs concitoyens. En effet, pas moins de 1 700 300 tonnes de déchets solides, 167 millions m3 d'huiles usagées dont 7 millions d'askarel, 800 millions m3 d'eaux usées - seulement 60% traités, auxquels s'ajoutent environ 280 millions m3 d'eaux chargées de métaux lourds sont annuellement déversées dans les oueds, cours et plans d'eau à l'échelle nationale. Et pourtant, les effets des polluants industriels sur l'homme, plus d'une expertise scientifique les ont établis. Celle que les conférenciers ont tenu à rappeler est l'œuvre de l'ONG Blacksmith Institute en partenariat avec la Croix verte internationale et elle est édifiante. Se basant sur l'un des indicateurs les plus répandus à l'OMS, à savoir (DALY) - Disability - adjusted life years -, Années de vie corrigées de l'incapacité (AVCI), qui consiste «à mesurer les années de vie en parfaite santé perdues du fait de l'exposition aux polluants industriels», les auteurs de l'étude sur les pires problèmes induits par la pollution dans le monde ont fait ressortir que 17 millions d'AVCI sont attribuées aux polluants industriels. Un impact comparable avec celui des maladies les plus dangereuses au monde, en l'occurrence le paludisme (14 millions d'AVCI), la tuberculose (25 millions) et le sida (29 millions). Pis, à leurs yeux, ces chiffres sont loin de refléter la réalité «dans la mesure où la plupart des effets sur la santé connus ou présumés sont impossibles à quantifier faute de données démographiques et de capacités d'échantillonnage suffisantes dans de nombreux pays ou encore d'accès aux sites pollués», soulignent les mêmes experts. Pollution à grande échelle Autant dire qu'en l'absence de bilans exhaustifs et d'AVCI qui nous sont propres, l'Algérien ignore toujours les méfaits de la pollution industrielle sur sa santé, à l'exception des déchets gazeux toxiques émis par les usines de produits chimiques, comme les fertilisants et les cimenteries, auxquels est imputable la progression, à hauteur de 18,4%, du taux des maladies respiratoires chroniques dont et surtout l'asthme, a prévenu Ali Halimi, le président de l'Anpep. Autres polluants, autres risques : pas moins de 2 380 472 tonnes de pesticides périmés sont disséminés à travers 500 lieux dans 44 wilayas ; 40% des entrepôts se trouvent à l'ouest et au sud-ouest du pays et 38,2% sont dans un très mauvais état de stockage, a-t-on prévenu. Plus grave encore : devenus encombrants, plus de 850 tonnes de déchets toxiques, essentiellement composés de cyanure, issus d'une usine de montage de tracteurs, basée à Constantine, reposent, en toute quiétude, depuis près d'un lustre, dans le Centre d'enfouissement technique (CET) de Souk Ahras (El watan jeudi 20 octobre). Et pas que : les déchets hospitaliers, cet épineux dossier que l'on persiste à gérer avec une légèreté déconcertante. L'Anpep parle d'un volume annuel estimé à 124 611 t dont 66 503 t de déchets ordinaires, 21 900 t de déchets contagieux, 29 200 t de déchets toxiques et 7008 t de déchets spéciaux qui finissent, en grande partie, dans les décharges publiques, contrôlées ou sauvages, que fréquentent des milliers d'animaux, les vaches en particulier. Et c'est là où sont également évacuées entre 20 000 à 30 000 t/an de produits alimentaires périmés. Récupérés, ils sont remis à la consommation par les milliers de personnes qui vivent de ces décharges, notamment les conserves de tomate, de confiture, de sardines, chocolat, fromage, etc., déplorent les scientifiques de l'Anpep. Selon les données de l'OMS, «les pollutions environnementales contribuent à hauteur de 19% de l'incidence du cancer dans le monde et sont responsables de 1,3 million de décès chaque année».