L'un des refuges secrets préférés pour l'argent suspect ou les fortunes mal acquises, cette réputation, aussi vieille que la nuit des temps, la Suisse cherche par tous les moyens à en finir avec. Et les efforts jusque-là déployés pour y parvenir commencent, semble-t-il, à porter leurs fruits : Le gendarme des marchés financiers, à savoir le Groupe d'action financière (GAFI), vient de gratifier la Confédération d'un «bon point» dans son 4e rapport d'évaluation. Depuis, la Confédération, malgré quelques lacunes, a, dans l'ensemble, effectué des progrès notables en matière de conformité avec les 40 recommandations du GAFI et d'efficacité dans son dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). «Sur les 40 recommandations, 31 ont obtenu de bonnes notes au niveau de la conformité technique. La législation suisse est conforme, voire largement conforme, lorsqu'il s'agit de la criminalisation du blanchiment ou du financement, des sanctions financières ciblées, de la transparence des personnes morales ou encore des constructions juridiques», s'est empressé d'annoncer, avec fierté, le département fédéral des finances (DFF), quelque heures après le verdict rendu par le GAFI mercredi 7 décembre, sanctionnant ainsi un long et laborieux audit mené, depuis février 2016 par ses experts ainsi que par des représentants de l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers(Finma), du ministère public de la Confédération (MPC), de l'Office fédéral de la justice (OFJ), de l'Office fédéral de la police (Fedpol) et du secrétariat d'Etat aux questions financières internationales (SFI), également impliqués dans le processus d'évaluation. Ce n'est donc pas un hasard si cet organisme intergouvernemental, où siègent 37 membres, et dont la Suisse est l'un des membres fondateurs, a choisi de dévoiler son rapport d'évaluation des mesures helvétiques de LBC/FT à la veille de la Journée internationale de lutte contre la corruption, que le monde entier a célébrée, pour la neuvième année consécutive, vendredi 9 décembre sous le thème «La corruption : un obstacle aux objectifs de développement durable». Plaque tournante du blanchiment Car si la place financière de la Confédération est au cœur de persistantes controverses, elle reste souvent associée au couple dévastateur corruption/ blanchiment d'argent, elle est surtout l'une des plus puissantes au monde. D'aucuns l'assimilent à un centre financier majeur au niveau mondial. En 2014, le total des avoirs gérés s'élevait à 6 656 milliards de francs suisses (CHF), l'équivalent de 6079 milliards d'euros. La moitié appartenant à des clients étrangers, ce qui correspond à environ 4,1 % des avoirs sous gestion au niveau mondial, indique l'imposant rapport du GAFI. En outre, avec 2377 milliards CHF (francs suisses), soit environ le quart de la totalité des avoirs sous gestion transfrontalière au niveau mondial, la Suisse occupe une place prépondérante sur le marché de la gestion transfrontalière d'avoirs privés, y est-il ajouté. Mais tout n'est pas rose. En matière de coopération internationale, les évaluateurs du GAFI ont brandi un carton jaune à l'encontre des autorités suisses, reprochant notamment «les limites de la coopération internationale du du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS)» envers ses homologues étrangers, cellules du renseignement financier (CRF) : «Le MROS et la Finma entretiennent avec leurs homologues étrangers une coopération dont l'importance correspond au caractère international de la place financière suisse», reconnaît le GAFI. Néanmoins, déplore l'organisme financier, «cette coopération connaît, néanmoins, certaines limites qui affectent le partage d'informations par le MROS». Réagissant à cette critique, le Fedpol, dont relève le MROS, estime que le «Bureau a besoin d'une annonce suisse pour agir, autrement, il a les mains liées, même s'il reçoit l'information de l'étranger». Idem pour l'entraide judiciaire. Bien qu'ils aient soulevé des limitations relatives au maintien de la confidentialité des demandes, les évaluateurs du Gafi jugent «globalement satisfaisante» l'entraide judiciaire accordée par la Suisse à ses partenaires étrangers, surtout en ce qui concerne la restitution aux Etats lésés. Même si les procédures d'application prennent toujours du temps, l'arsenal législatif s'y rapportant, s'est encore renforcé en 2016, souligne-t-on au département fédéral des Affaires étrangères (DFAE). La qualité de l'entraide a ainsi permis la restitution, au cours des 30 dernières années, de près de 2 milliards de francs suisses détournés et déposés dans des coffres de banques helvétiques par des personnes politiquement exposées (PEP). «C'est beaucoup plus que tous les autres centres financiers du monde», se félicite la direction du droit international public du DFAE. Malgré ces avancées tous azimuts, le groupe de travail dirigé par le GAFI qui, faut-il le rappeler, a, en 2016, retiré l'Algérie de la liste noire des pays soumis à son processus de surveillance vu les progrès significatifs dans l'amélioration de son régime de LBC/FT, exhorte la Suisse à veiller à protéger davantage l'intégrité de sa place financière, dont l'image a, semble t-il, besoin d'être affinée davantage. D'autant qu'une cinquantaine de recommandations de «portée variable» lui ont été soumises par le GAFI. Elles devraient être analysées par le département fédéral des Finances (DFF) avant de se prononcer sur le suivi à leur donner avec des propositions dont sera destinataire le Conseil fédéral dans le courant de 2017.