Prévisible, la compagnie de transport maritime Cnan Group attend depuis des mois une bouée de sauvetage pour la tirer du creux de la vague. Son conseil d'administration n'a pas, à ce jour, désigné de président-directeur général pour prendre les rênes de l'entreprise, confrontée ces dernières années à de graves problèmes liés, notamment, à la gestion. Cette situation a eu pour conséquence la dissolution de plusieurs filiales, dont Maghreb Lines. Les travailleurs de cette dernière ont commencé à recevoir leur lettre de licenciement dès juillet dernier. La mesure de fermeture de cette filiale est intervenue au moment où Cnan-Marseille a fait l'objet d'une grave escroquerie qui a ruiné sa trésorerie. Il s'agit en fait du refus de paiement d'une somme de 400 000 euros par une société, Solazur, dirigée par un ressortissant algérien, qui a déclaré faillite pour échapper à toute mesure de recouvrement de ses dettes auprès de Cnan-Med. Le montant de la facture concerne le produit des ventes du fret maritime, pour l'équivalent du prix de transport de quelque 500 conteneurs de Marseille à Alger. Les travailleurs de cette filiale se sont interrogés comment, et surtout pourquoi les responsables de la Cnan « ont accordé des marchés aussi importants à une société de création récente, sans avoir recours aux organismes d'assurance-crédit. Tout le monde sait que cette société est nouvellement créée avec un minimum de garanties. De telles sociétés ne sont assurables que de 5000 euros au maximum ». En fait, cette affaire a poussé l'actuel patron de la Cnan, démissionnaire de son poste de PDG depuis plusieurs mois, à saisir les responsables de Cnan-Marseille et leur interdire tout autre activité avec la société Solazur. Mais après quoi ? Cette filiale traverse actuellement une grave crise. Neuf employés de l'agence Cnan-Marseille ont déjà reçu leur lettre de licenciement, dont trois relèvent du fret et ne sont donc pas concernés par ces mesures. Le personnel, avec l'aide du syndicat français CGT, s'est mobilisé pour exiger le gel de ces mesures, mais aussi la concrétisation de plusieurs revendications contenues dans une plate-forme remise à la direction générale. L'un des points les plus importants est la suspension des négociations entre Cnan-Med et le partenaire italien Dario Perioli. Dans une lettre adressée au ministre des Participations et de la Promotion des investissements (MPPI), et intitulée Non à la prédation de l'agence Cnan- Marseille, les travailleurs de cette filiale ont exprimé leurs « vives inquiétudes » face à « la menace » qui pèse sur leur entreprise. « Parmi les déboires de Cnan-Maghreb Lines étalés dans la presse nationale ces dernières semaines, qui ont choqué véritablement les pouvoirs publics, l'opinion publique ainsi que les milieux du secteur maritime, la situation de Cnan-Med est encore plus grave. Nous avons tenté vainement de dénoncer ces démons du pillage à ciel ouvert et au vu de tout qui s'opère chaque jour impunément au sein de notre agence. Ces responsables se sont accommodés de pratiques de gestion absolument insolites, en rupture avec les usages élémentaires du management. Mauvaise gestion financière, des irrégularités remarquables, les dépenses de fonctionnement amputées en grande partie des recettes précédentes sont très élevées. Celles-ci pèsent beaucoup sur la trésorerie de l'agence et entraînent son dysfonctionnement néanmoins inquiétant », ont-ils noté dans leur correspondance. « Gestion controversée » De graves accusations relatives à une gestion des plus controversées ont été avancées par les rédacteurs de cette lettre avant d'exiger une enquête sur ce qu'ils ont appelé une défaillance, car ont-ils expliqué, « il est tout de même impensable que les responsables de cette situation puissent diriger les négociations de l'ouverture du capital, proposer des partenaires, bref, tout simplement décider de l'avenir de la compagnie et de ses travailleurs ». Ils ont précisé ne pas être contre le principe d'un partenariat, mais « ce qui nous semble inacceptable, c'est ce partenariat dirigé par ceux-là mêmes qui ont contribué par leur mauvaise gestion à la situation très grave que traverse la compagnie ». Plus grave, les travailleurs de Cnan-Marseille ont affirmé que le partenaire italien, la société Dario Perioli, choisi par la direction générale « ne figure même pas parmi les 100 premières compagnies maritimes mondiales, pis, il n'a pas le statut de compagnie maritime. C'est une société à caractère d'agent maritime en Italie, ne possédant pas de navire en propriété, ne desservant qu'une ligne peu importante vers le Maroc, une quantité très faible de conteneurs en propriété ». Cette lettre a été précédée quelques mois auparavant par un autre courrier adressé cette fois-ci au ministre des Transports pour l'interpeller sur la gestion du premier responsable de Cnan-Marseille. « Recruté en tant que chef de ligne, il a été à l'origine du dépôt de bilan de l'agence LCA, représentant l'armateur allemand, Sloman Neptune, à Marseille, pour mauvaise gestion, alors que le port de Marseille atteignait les sommets en termes d'exportations à destination de l'Algérie. Depuis, l'instabilité de son parcours professionnel n'est plus à démontrer. Il n'a cessé de passer d'une agence à une autre par de brefs visites sans convaincre. En 2004, il n'a pas été retenu par Sud Cargos et CMA-CGM pour développer le marché algérien en leur sein, alors que ces compagnies accordent depuis plusieurs années une part importante à leur stratégie d'expansion sur le marché algérien. La concurrence pouvait-elle se passer de telles personnes si celles-ci étaient compétentes ? », ont écrit les travailleurs. Ces derniers ont expliqué que la baisse brutale du chiffre d'affaires (de 35% à 9%) et la fuite des clients de la Cnan « sont révélateurs de l'incompétence des responsables ayant eu à gérer cette filiale (...) La manipulation douteuse des chiffres, leurs arguments fantaisistes pour justifier la baisse sans précédent du fret maritime sont-ils de nature à tromper les autorités de l'Etat ? Comment se fait-il que les charges de fonctionnement de ce responsable aient explosé ? Quelles sont les conclusions du rapport du commissaire aux comptes à ce sujet ? Quelles seront les conclusions d'un audit du budget de fonctionnement de l'agence ? ». Devant ce constat, les signataires ont demandé l'ouverture d'une enquête, en vain. La décision de la tutelle a été de dissoudre carrément la filiale prétextant l'arrêt technique du Millénium Express, unique ressource, selon eux, de cette filiale. De cette manière, ils ont évité tout audit financier, comme cela a été le cas pour les autres filières qui ont connu le même sort. Samedi, les travailleurs sont sortis de leur réserve pour dénoncer « la politique de mise en chômage de quelque 2500 employés » dans le cadre de la nouvelle stratégie entérinée par le Conseil des participations de l'Etat (CPE), le 6 septembre dernier. Une situation qui a engendré un sentiment de malaise, d'autant plus que le premier responsable de Cnan Group a sommé les directeurs généraux des filiales de mettre fin aux contrats à durée déterminée et d'inciter « d'une façon discriminatoire », ont noté les travailleurs, le personnel au départ volontaire à la retraite.