L'incurable problème de leadership, le choc des ambitions et les conflits historiques accentués par des luttes fratricides durant les années 1990 rendent laborieuse la concorde islamiste. Tiraillés par une guerre civile larvée, les partis de la mouvance islamiste algérienne s'essaient à la paix et au difficile exercice de la réconciliation. Si elle se maintient, la doxa islamiste s'est affaiblie considérablement, son poids politique et électoral s'est érodé significativement. Son parcours politique, rempli de soubresauts et de séparations cycliques, a abouti à un échec certain. La perspective de prise de pouvoir s'éloigne et la capacité à forger des alliances avec la mouvance démocratique a atteint ses limites. Les islamistes tentent alors une dernière carte. Au bord du gouffre politique, ils s'emploient à bâtir la «sainte union» d'inspiration théocratique à la veille des élections législatives. Mais qui a motivé cette démarche et dans quel objectif ? Est-ce un esprit de réconciliation à vocation électorale ou bien s'inscrit-elle dans une perspective stratégique, celle de former un bloc regroupant toute la galaxie islamiste pour être en mesure de peser sur les grands choix nationaux et de re-composer avec le pouvoir ? Assurément les deux à la fois. Une question de survie politique. Aborder les élections législatives en «rangs serrés» pourrait justifier a priori une avancée électorale des islamistes. L'islamiste Abdelwahab Derbal, nommé président de la Haute instance de surveillance des élections, multiplie les messages dans ce sens. «Unissez-vous et vous aurez un bon score», semble-t-il leur dire. Le pouvoir excelle dans la méthode de la division de ses adversaires pour mieux les affaiblir ou de les avoir comme alliés fragiles. Le MSP du défunt Nahnah a lourdement payé son alliance avec le régime et ses héritiers se sont embrouillés et séparés. Si tactiquement sa politique d'entrisme lui a réussi à engranger des «dividendes» en raison de sa longue présence au gouvernement, le parti a connu des scissions qui ont donné naissance à trois partis. Le Mouvement de la prédication et du changement, le mouvement El Binaâ et le TAJ. Un coup dur pour le parti dont l'actuel président Abderrezak Makri fait face en ce moment à une forte pression interne. «Nous avons mal géré la transition, la disparition du fondateur Nahnah a été difficile pour notre famille politique», reconnaît M. Makri. Le «frère» ennemi Abdallah Djaballah, qui était sur une ligne d'opposition au pouvoir depuis l'arrêt du processus électoral de janvier 1992, n'a pas échappé non plus à la règle de la crise. Les «fils» n'ont cessé de se retourner contre leur père, mais sans parvenir à le tuer. Sans vraiment faire leur aggiornamento, les islamistes veulent vite recoller les morceaux. «C'est un projet qui remonte au moins à 2008. Les premières tentatives n'ont pas abouti, mais lors des funérailles de Abdelghafour Saadi (compagnon de Djaballah), on s'est dit que nous devons réaliser le rêve auquel il tenait tant. Il ne s'agit pas d'une alliance électorale, mais d'une intégration ; les élections ne sont qu'une étape sur la route. Sur un plan stratégique, nous ambitionnons de reconstruire le courant islamiste. Notre souhait est de voir se former de grandes familles politiques, démocratiques, nationalistes et islamistes pour sortir d'un paysage politique noyé. Notre alliance ne devrait pas faire peur, ni au pouvoir ni à l'opposition, elle va aider au règlement de la crise dans le pays», explique le chef du groupe parlementaire du Front pour la justice et le développement, Lakhdar Benkhellaf. Une initiative doublée par une autre. Celle du MSP qui avance les mêmes intentions pour entreprendre la démarche d'union avec les autres factions islamistes. «C'est un vieux projet qui remonte à au moins trois ans. Nous avons noué des contacts avec Nahda, le Front du changement et d'autres partis de notre mouvance dans le cadre d'un plan quinquennal adopté par notre parti. Il est vrai que les élections législatives ont accéléré ce processus. Avec le Front de la prédication et du changement, nous avons réussi l'alliance», assure Abderrezak Makri. Un juste retour à la maison mère pour Abdelmadjid Menasra. Le rapprochement avec le mouvement de Nahda et le Front de la justice et du développement n'a pas abouti. Le mouvement El Binaâ (construction) d'Ahmed Dane, sorti aussi des entrailles du MSP, a choisi de s'allier avec «l'ennemi» Djaballah que de revenir à la rue Ali Haddad (siège du MSP). Plus habile, Abdallah Djaballah a non seulement réussi à ramener à «la maison le fils égaré - Nahda», mais aussi le mouvement d'Ahmed Dane, transfuge du MSP, dont le mouvement jouit de la caution de la confrérie des Frères musulmans. Au final, le projet d'«intégration» et de réintégration a paradoxalement renforcé le divorce. Les séparations étaient tellement violentes que la réconciliation est devenue une tâche difficile. Abdallah Djaballah et les héritiers de Mahfoud Nahnah incarnent deux islamismes politiques irréconciliables. Le premier veut rester le gourou indomptable, alors que les seconds veulent participer au gouvernement. L'incurable problème de leadership, le choc des ambitions et les conflits historiques accentués par des luttes fratricides durant les années 1990 rendent laborieuse la concorde islamiste. Les stratégies opposées adoptées vis-à-vis du pouvoir depuis l'instauration du multipartisme ont exposé les Frères musulmans algériens à des conflits permanents. Des divergences historiques aux trajectoires conflictuelles, les chemins des tenants du projet fondamentaliste algérien sont devenus irréconciliables. Les tractations de ces derniers mois n'ont pas pu sceller l'union. La guerre des islamistes a été tellement féroce qu'il est difficile pour eux de s'accorder une amnistie. Ils vont continuer à prier dans des mosquées rivales.