De l'avis de plusieurs acteurs sur le terrain, notamment M. Bentazi, responsable du Samu social d'Oran, le nombre de sans-abri, année après année, est en nette hausse dans la ville d'Oran. Rien qu'en 2016, un total de 797 SDF a été pris en charge conjointement par le Samu social et le Croissant-Rouge, dont 518 hommes, 266 femmes et 13 enfants. Ce phénomène inquiète, d'autant plus qu'en période hivernale nombre de sans-abri passent de vie à trépas, sous le regard éploré de la société civile qui manifeste son impuissance. Rien que durant la nuit de dimanche à lundi derniers, dans la commune de Boutlélis, un sans-abri de 49 ans a été découvert sans vie, non loin d'une polyclinique. Aussi, c'est dans l'optique de lutter, autant que faire se peut, contre ce triste phénomène que le centre d'accueil, dit Diar Errahma, s'emploie sans relâche à venir en aide à cette frange ô combien fragile et précaire de la société. Ce centre a ouvert ses portes dans la wilaya d'Oran, plus précisément dans la commune de Misserghine, le 22 décembre 2003. Il s'agit en fait d'un centre d'accueil régional qui chapeaute toutes les wilayas de l'Ouest, et qui a pour vocation de venir en aide aux sans-abri, les héberger temporairement, et œuvrer surtout à les réinsérer socialement. Il en existe 3 au niveau national : l'un à Alger (pour les wilayas du Centre), le deuxième à Constantine (pour celles de l'Est), et enfin le troisième à Oran. Ces trois centres d'accueil ont été construits en grande partie grâce à l'argent de compatriotes anonymes, qui ont participé à un grandiose téléthon à Alger, en 1992. Bien que la somme récoltée à cette époque était conséquente, l'Etat a dû tout de même injecter une somme supplémentaire en vue de boucler le budget et de construire ces trois centres d'accueil dans les règles de l'art. Il a fallu, néanmoins, attendre toute une décennie avant que le projet ne se concrétise et devienne réalité. Aujourd'hui, alors que le centre de Misserghine a ouvert ses portes voilà près de 15 ans, nombre de SDF renâclent à l'idée de s'y rendre, quitte à devoir affronter, à la tombée de chaque nuit, le vent et le froid glacial. Les équipes du Croissant-rouge et du Samu social travaillent pourtant d'arrache-pied et tentent de les convaincre de délaisser les cartons et les journaux pour passer la nuit dans un lit douillet, avec draps et couvertures. Rien n'y fait : pour une bonne partie des sans-abri, il est hors de question d'aller à Diar Errahma. Nous nous sommes alors rendus sur place afin de mieux comprendre les raisons de ce refus aussi catégorique. Arrivés sur les lieux, Mme Zaïter, chef de service médico-psycho-pédagogique, et accessoirement directrice par intérim de ce centre, a bien voulu nous recevoir. En pénétrant dans l'enceinte de Diar Errahma, on est d'abord surpris par le calme et la sérénité qui y règnent. Encore un peu, on se serait cru dans un centre de vacances en bord de mer. Etendu sur plusieurs hectares, Diar Errahma n'a pas été conçu sous forme de barre d'immeuble à plusieurs étages, mais au contraire, son architecture ressemble à celle d'un hôpital, avec plusieurs blocs et pavillons. «La capacité d'accueil de Diar Errahma est de 200 lits. Il comprend au total 4 pavillons, chacun pouvant héberger jusqu'à 50 pensionnaires. Hélas, actuellement, deux pavillons subissent des travaux de réhabilitation. Aussi, deux seulement sont fonctionnels», nous fera savoir Mme Zaïter. Ces deux pavillons hébergent respectivement des pensionnaires femmes et hommes. «Les pensionnaires sont ramenés ici généralement par le Samu social ou le Croissant-rouge, mais quelquefois il y en a certains qui viennent de leur propre chef», ajoute notre interlocutrice. Quand un sans-abri arrive, surtout s'il arrive à Diar Errahma aux heures nocturnes, avant toute chose il bénéficie d'une douche, d'une soupe chaude et d'un lit pour dormir. Le lendemain seulement, il est soumis au conseil pluridisciplinaire, celui-là même qui décide si le «candidat» est apte à être accueilli à Diar Errahma ou pas. Le comité est composé d'un médecin, un psychologue-clinicien, un pédagogue et un assistant social. «Une enquête est alors soigneusement menée, car il faut que le futur pensionnaire soit vraiment dans la difficulté pour être accueilli : par exemple qu'il ne soit pas en mesure de travailler, ou que ce soit une vieille personne sans pension. car il nous est arrivé de recevoir un homme apte pour le travail, et qui plus est touchait une pension de 30 000 DA. Evidemment, ce genre de personne n'a pas sa place dans ce centre d'accueil.» Il faut noter que celles et ceux qui sont accueillis à Diar Errahma n'ont pas pour vocation d'y rester indéfiniment. Il s'agit en fait, comme nous l'explique Mme Zaïter, d'un centre transitoire et le pensionnaire, a fortiori quand il est à la force de l'âge, ne peut pas y rester plus de 6 mois, le temps d'être réinséré socialement. «En l'espace de 6 mois, il se doit de se chercher un travail à même de lui garantir un salaire qui lui permettra de louer un appartement avec ses propres moyens. Ainsi, au bout de 6 mois, le pensionnaire retrouve une place dans la société et il ainsi libère une place à Diar Errahma pour la laisser d'autres nécessiteux sans toit.» Comme bon nombre de sans-abri proviennent de wilayas limitrophes — des cas de fugues généralement, ou encore des rejets familiaux —, Mme Zaïter nous assure que le service pédagogique de Diar Errahma tente, en pareil cas, de renouer le lien entre le sans-abri et sa famille. Reste la question des personnes âgées. Là encore, Mme Zaïter nous explique que le problème ne se pose pas pour les femmes âgées dès lors qu'un foyer pour personnes âgées de sexe féminin existe bel et bien à Oran. En revanche, pour ce qui est des personnes âgées de sexe masculin, «là on est obligés de les garder chez nous, car pour le moment il n'y a aucun foyer pour vieux à Oran». Toutefois, nous précise-t-elle, tout à côté de Diar Errahma, un foyer pour les hommes âgés a été érigé, et doit être inauguré, au plus tard, dans les prochaines semaines. Tabou Quant à l'épineuse problématique avancée à chaque fois par les sans-abri, à savoir celle de renâcler à l'idée de se rendre à Diar Errahma de peur d'être «mélangé» aux déficients mentaux, et alors de subir de la part de ces derniers des agressions physiques ou verbales, Mme Zaïter a tenu à mettre les points sur les ‘‘i'' : «Quand on nous ramène une personne souffrant de troubles psychiques, on ne peut pas la refuser. Parfois, l'hôpital de Sidi Chahmi refuse de la garder, car les médecins assurent que son état est stable. On accueille cette catégorie de personnes chez nous sans problèmes, mais il faut noter qu'on les sépare des autres pensionnaires justement pour qu'il n'y ait pas d'anicroches.» Quant à ceux qui présentent des addictions à l'alcool ou à la drogue, et qui refusent de rejoindre Diar Errahma justement de peur d'être «en manque», là le problème reste sans issue : «On les accueille ici quand même, mais on ne peut pas les laisser s'adonner à la consommation d'alcool ou de drogue.» Quand on a visité les deux pavillons fonctionnels, celui des hommes et celui des femmes, nous avons d'abord constaté que l'hygiène et la propriété étaient de mise. Généralement, le pavillon comprend plus d'une trentaine de chambres et chaque chambre comprend 3 lits. «Les femmes de ménage redoublent d'efforts afin de garder propres les chambres et les espaces communs des pensionnaires hommes, car généralement, dans le pavillon des femmes, les pensionnaires s'attellent à faire le ménage elles-mêmes de leur propre volonté.» Dans chaque pavillon, il y a un réfectoire, un salon de détente avec télévision. Dans les espaces communs, il y a un peu de verdure, avec des bancs publics, une salle de sport, ainsi que des salles d'atelier pour les femmes, un hammam et même une bibliothèque. «Hélas, de nos jours, contrairement aux années d'avant, rares sont les sans-abri qui savent lire et écrire. Même si ce n'est pas l'envie d'apprendre qui leur manque», nous dit Mme Zaiter. Les pensionnaires ne sont pas tenus à quitter les lieux au lever du jour. Quand nous nous y sommes rendus, nous en avons croisés plus d'un, certains étaient en train de regarder la télévision, d'autres en train de faire la sieste. Comme ce jour-là le temps n'était pas mauvais, d'autres pensionnaires, femmes et hommes, se prélassaient aux rares rayons de soleil de ce mois de janvier à profiter de la verdure. «Toutefois, durant la journée, on les incite à sortir, explique Mme Zaïter, pour qu'ils puissent se tirer d'affaire et se trouver du travail. Quand ils se dégotent un boulot, on leur conseille de laisser l'argent qu'ils en tirent de côté, le temps qu'ils sont à Diar Errahma, afin que lorsqu'ils en sortent ils aient un petit pécule en poche à même de leur permettre de se trouver un toit à louer.» Pour ce qui est des dons, Mme Zaïter en appelle à ceux qui ont le cœur sur la main à contribuer à venir en aide à ces laissés-pour-compte de la société. «Je demande à tout un chacun désireux de nous aider de ne pas nous envoyer de la nourriture, car nous avons un budget pour cela qui nous suffit. Par contre, il serait judicieux que les donateurs nous envoient des vêtements : sous-vêtements, jaquettes, pulls chauds, couches pour adultes, etc. Car, quand on donne de nouveaux vêtements à un sans-abri, on ne lui demande de nous les rendre à sa sortie ; aussi, il nous faut sans cesse renouveler notre garde-robe.» Enfin, pour terminer sur une note positive et qui laisse un brin d'espoir, Mme Zaïter nous a appris que parfois les pensionnaires parviennent à s'en sortir socialement. «L'année dernière, par exemple, nous avons organisé un mariage ici même pour une pensionnaire. Aujourd'hui, elle vit avec son mari et sa petite famille dans la wilaya de Tiaret. Comme quoi, il ne faut jamais perdre espoir et se dire qu'il faut coûte que coûte aider cette catégorie de personnes en difficulté à traverser la mauvaise passe avant que la vie ne leur sourit à nouveau.»