Ici avec les moyens du bord, on fait ce qu'on peut pour venir en aide à des dizaines de SDF qui, chaque jour que Dieu fait, se retrouvent mis au ban de la société. Les chalets du Samu social de Dély Ibrahim affichent constamment complet. Des personnes errantes, hommes et femmes, venues des quatre coins du pays y ont trouvé la rahma depuis que ce centre d'accueil d'urgence a ouvert ses portes aux contingents de vagabonds de la capitale. Les pavillons de Dély Ibrahim sont, de jour comme de nuit, assaillis par les sans-logis. Avant d'atterrir dans les locaux du Samu social, ils avaient la rue comme seul abri. Beaucoup ont passé plusieurs nuits sous les arcades de Bab Azzoun et du siège de l'APN. Aujourd'hui, les plus chanceux ont tronqué leur carton contre un vrai lit au Samu social. Nombreux sont les SDF convaincus d'y avoir trouvé un toit pour toujours. Le centre de transit croule sous la demande. La directrice du centre affirme que le Samu est au bord de l'asphyxie et ne parvient plus à contenir les foules de sans-abri qui se bousculent au portillon. En ce dimanche de grande canicule d'août, les premières images défilent. Plusieurs femmes sont installées dans la cour du Samu. Elles sont là assises sur des cartons ou des bancs. Certaines seules. D'autres sont en compagnie de leurs enfants. Derrière le compartiment féminin, des hommes, d'un certain âge, adossés aux murs de leur chalet scrutent le moindre nouveau débarqué. D'autres vaquent en revanche au nettoyage de leur logis. Nous entamons notre périple par un briefing avec les responsables. Nos interlocuteurs, la directrice Mme Aberkane et le chef de service M. Zaâf se sont longuement attardés sur les problèmes que connaît le centre depuis des années. “Notre centre est en voie de changer de vocation. Il est devenu une structure d'accueil, alors que les autorités l'ont mis en place pour assurer une aide d'urgence”, confie Mme Aberkane. Pour elle, il est nullement question de refouler ou de renvoyer à la rue des pensionnaires après un séjour de quelques jours sans leur trouver une solution de rechange. Pour faire face au flux croissant, la directrice a construit de nouveaux baraquements. “Certaines femmes n'ont pas quitté le centre depuis son ouverture en 1999.” La mission du Samu social “consiste à aller vers les personnes en situation de détresse et apporter par une action sociale d'urgence une réponse adaptée. La population ciblée est les personnes sans domicile fixe, sans emploi ou encore ceux présentant un profil psychologique très perturbé”. Néanmoins, la tâche du Samu s'avère très complexe dans la mesure où elle est liée à une population hétérogène et vulnérable, dont la réinsertion sociale reste difficile. Il faut savoir que l'établissement est scindé en deux compartiments, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes. “La majorité des locataires du centre sont des femmes, des mamans avec leurs enfants”, précise Mme Aberkane. Sans perspectives, des femmes divorcées sont hébergées dans le centre depuis des années. “Vous êtes là pour recenser les femmes ou pour parler de notre situation aux autorités ? Nous sommes logées, nourries et blanchies. Nous ne manquons de rien sauf de l'affection parentale. Ici au moins, on est à l'abri des agressions”, lance une quinquagénaire. À chacune son histoire. Une mère de famille avec neuf enfants raconte sa malheureuse aventure, Fatima, appelons-là ainsi, est venue de Jijel, de l'Aouana exactement. Suite à sa répudiation, elle avait élu domicile à la place Maurétania. C'est son seul refuge. Ses parents résidant à Alger avaient refusé de l'accueillir. Après d'interminables nuits à la belle étoile sous les arcades du boulevard Amirouche, la malheureuse Fatima, en compagnie de ses petits, a été secourue, un soir d'un hiver glacial, par les équipes mobiles du centre. Le chalet offre le minimum de conditions de vie. Des lits superposés pour les enfants, des matelas et des couvertures. Fatima se confie et relate ses déboires. “Moi et mes neuf gosses, nous résidons dans ce chalet depuis maintenant 8 mois. Toutes les conditions sont réunies. Le centre a mis à notre disposition des sommiers, des lits et des couvertures. Le restaurant nous est ouvert du matin au soir. Mes parents qui sont d'Alger refusent de me prendre en charge avec mes enfants. Ils m'ont mis devant un dilemme ; je devais choisir mes enfants ou mes frères. C'est la vie, le mektoub. Mais, el hamdoulilah, nous sommes en sécurité. Moi, j'attends la notification de mon divorce pour me remarier. J'ai un prétendant qui est d'une famille aisée et qui me veut avec mes enfants”, révèle-t-elle, avant d'aborder les raisons qui l'ont poussée à fuir son époux : “Il est trop violent avec moi et les enfants. Il ne travaillait pas et obligeait les enfants à faire la manche. Celui qui osait dire non avait droit à son châtiment. J'ai fini par comprendre que cet homme ne changera jamais. J'ai alors décidé de le quitter et de revenir à Alger.” Le pavillon mitoyen à celui de Fatima est occupé par une femme originaire de Tiaret avec trois enfants en bas âge, depuis maintenant deux mois. Le cas de cette dernière est édifiant. Cette dame très ingénue est enceinte de son mari dont elle est divorcée depuis trois ans “Il a promis de me reprendre”, dit-elle résignée. Le drame des mères célibataires est autrement plus bouleversant : “Elles arrivent enceintes au Samu et ne le quittent pas jusqu'à leur accouchement. Quelques-unes continuent à y vivre, elles n'ont pas ou aller.” La réponse de la directrice sonne comme une interpellation à l'adresse des autorités publiques pour trouver une solution. De tels propos posent avec acuité la question de centres censés prendre le relais des actions d'urgence du Samu de Dély Ibrahim. Les responsables de la structure d'urgences relevant de la wilaya d'Alger affirment que leurs interpellations ne trouvent pas d'écho auprès des responsables des institutions comme Diar Erahma. Le chef de service cite l'exemple des personnes âgées prises en charge par le Samu, alors que cette mission incombe aux auspices. “Il y a un centre de ce type mitoyen au samu, mais selon ses responsables, il est surchargé. On ne peut pas renvoyer les gens. Mais jusqu'à quand pourrions-nous supporter à notre tour cette situation ?” se demande M. Zaâf. Il s'interroge sur le sort des cinq centres existant dans la capitale. Relayé par la responsable du Samu, elle rappellera que “pas moins de 6 699 personnes ont été recueillies au Samu du 1e juin 1999 au 31 juillet 2004. Et quelque 39 834 repas ont été distribués durant la période de décembre dernier au 31 juillet dernier”. Outre les besoins les plus élémentaires, le samu s'évertue à rendre le séjour des locataires plus agréable. Un salon de coiffure pour femmes a ouvert ses portes. Le centre dispose également d'un cabinet de psychologues et d'une infirmerie animée par deux médecins. Un département juridique a été aussi mis en place. Ce département s'occupe des affaires juridiques des pensionnaires. La consécration réside dans la création d'une agence matrimoniale. Grâce à l'humanisme et au travail d'urgence que dispense le centre, les locataires ont pu trouver l'âme sœur. Un homme résidant à Draâ El-Mizan est venu au samu pour dénicher l'oiseau rare parmi les pensionnaires. Ce fellah a fait le voyage jusqu'à Alger après avoir entendu un appel à la Chaîne II. “Je suis orphelin et souhaite épouser une orpheline comme moi. Ma présence ici en est la preuve”, a-t-il lancé. Les responsables ont vite accédé à sa demande en lui présentant sa probable âme sœur. Après les présentations, les responsables du centre demandent au candidat de laisser ses coordonnés pour les besoins d'une enquête administrative. L'établissement de Mme Aberkane n'est pas à son premier mariage. Une cinquantaine de cérémonies y ont été organisées. Les SDF qui ont eu la chance d'être secourus puis hébergés dans les locaux du Samu social ne souhaitent nullement tronquer le centre contre les venelles de la capitale. Ils ont souhaiteraient que les autorités leur trouvent des auspices, pour ne pas se sédentariser à Dély Ibrahim. R. H.