Qu'elle est belle la démocratie ! Les Etats-Unis d'Amérique, opinion publique et institutions, sont en passe d'écrire une des plus belles pages de l'attachement de cette vieille démocratie aux valeurs de liberté, de défense des droits de l'homme et du vivre-ensemble. Des principes dont le nouveau locataire de la Maison-Blanche, Donald Trump, veut redéfinir le contenu à l'aune de son cri de guerre : «L'Amérique d'abord», par lequel il engage son pays dans une voie d'exclusion, de rejet et de repli sur soi sous le fallacieux prétexte de la défense de la sécurité nationale. Chose impensable sous d'autres latitudes, y compris dans les démocraties occidentales : un juge fédéral américain vient de réussir le grand écart qui fera date dans l'histoire des institutions américaines en bloquant temporairement le décret anti-immigration de Donald Trump pour son caractère jugé anticonstitutionnel. Le président américain, par la voix du ministre de la Justice, a déjà fait savoir qu'il ne resterait pas les bras croisés pour laver l'affront du juge fédéral. Le bras de fer semble en tout cas bien engagé entre Donald Trump et de larges pans de la société, impliquant jusqu'aux institutions du pays, opposés au programme du président américain jugé raciste et porteur de lourdes menaces pour la sécurité intérieure et la paix dans le monde. Les juges dissidents menacent d'aller jusqu'à la Cour suprême, si besoin est, pour éviter que les Etats-Unis ne replongent dans un passé lointain et contemporain sombre, que le réalisateur Francis Ford Copolla a merveilleusement immortalisé dans son film culte Apocalypse Now. Le président américain, qui se définit comme un président fort, un homme d'action, par rapport à la présidence jugée molle et conciliante de son prédécesseur, pensait naïvement qu'il lui suffisait de quelques coups d'éclat, comme le limogeage de la ministre de la Justice par intérim qui avait payé de son poste ses positions contre le décret anti-immigration, pour désarmer ses adversaires. Le cercle de feu dans lequel est pris Donald Trump s'élargit de jour en jour. Des diplomates, des juges, des fonctionnaires, des maires, des gouverneurs, des parlementaires — en somme, le cœur battant du pouvoir américain — ont décidé de sortir de leur «réserve» pour partir en guerre ouverte contre son décret anti-immigration. Ils l'ont fait en toute conscience et tout en mesurant, à travers leur acte d'insubordination, les risques qu'ils encourent concernant leurs carrières pour ceux ne jouissant pas de l'immunité liée aux postes électifs. Avec cette belle leçon de démocratie, on se surprend à rêver de voir un jour chez nous un ministre, un ambassadeur, un juge, un haut fonctionnaire claquer la porte pour marquer son désaccord avec sa hiérarchie. Mais lorsque l'on en vient à ériger «la fidélité au Président» comme premier critère du choix des candidatures à la députation, comme le fait le Fln pour les prochaines législatives, même le rêve n'est pas permis ! Il faut s'attendre dans les prochains jours à une vaste opération de chasse aux sorcières tout droit inspirée de l'idéologie du maccarthysme de sinistre mémoire. Mais, quelle que soit l'issue finale de ce bras de fer entre l'axe du mal et les forces du bien, l'histoire retiendra le combat de ces diplomates, juges, fonctionnaires américains promis à une belle carrière qui se sont rebellés contre l'ego débridé et la paranoïa de leur Président.