C'est grâce à sa chaîne télé satellitaire Al Jazeera — qui vient de se dôter d' une chaîne en anglais pour élargir une audience déja phénoménale — qu'un petit pays comme le Qatar a réussi à s'imposer avec force sur l'échiquier arabe et international. La télé, quand elle est bien faite, quand surtout elle rivalise en matière de professionalisme avec les chaînes mondiales citées en référence, notamment américaines et européennes, reste pour les autorités qataries l'atout le plus sûr pour faire entendre sa voix, en tous cas une voie privilégiée pour se frayer une place parmi les nations les plus respectables. L'audiovisuel peut donc grandir un pays et lui donner une dimension à la mesure de ses ambitions ; beaucoup ont compris cette vérité, sauf chez nous, hélas ! où elle est contredite pour des considérations bassement politiciennes. Si donc le Qatar s'exprime à travers le rayonnement de sa chaîne devenue une marque incontournable, Ouyahia en est encore à penser le plus sérieusement du monde que sortir de la télé unique, la télé étatique hyper embrigadée, serait une menace pour... la liberté d'expression en Algérie. Allant plus loin que Djiar qui avait déclaré au lendemain de son installation à la tête du ministère de la Communication que les Algériens ne sont pas encore mûrs pour l'ouverture de l'audiovisuel, l'ex-chef du gouvernement s'est carrément appuyé sur le danger « du lobby politique » constitué à ses yeux par la presse indépendante pour dire en filigrane que tant que ce pouvoir auquel il appartient demeure en place et en l'état, la perspective de voir un jour une télé privée s'installer dans notre pays n'aura aucune chance d'être concrétisée. Voici donc le sentiment d'un homme qui se déclare volontiers défenseur de la démocratie, mais qui refuse à ses concitoyens la pluralité médiatique, en particulier celle qui touche directement au petit écran. Mais cette attitude qui peut paraître paradoxale n'est en fait que la traduction dans sa forme la plus brutale de l'hégémonie d'un système d'information qui se suffit à lui-même et qui ne semble pas encore prêt à faire sa mue bien qu'il soit complètement dépassé dans le monde vertigineux de la communication alternative dans lequel nous vivons. Refuser l'élargissement de l'audiovisuel sous prétexte que cela gênerait aux entournures le pouvoir politique en place est la preuve que dans notre pays le débat contradictoire, celui-là même par lequel des sociétés ont avancé et se sont développées grâce à la confrontation d'idées et d'opinions, n'est pas le bienvenu. Pour continuer à brider la démocratie participative version Ouyahia, le mieux c'est encore de maintenir la télé unique, la télé où nos hommes politiques viennent dirent ce qu'ils veulent sans risque d'être démentis. Une télé à papa, comme l'a aimée d'ailleurs Ouyahia lorsqu'il y venait parler de son bilan, comme l'aime aujourd'hui Belkhadem que nous avons retrouvé au forum de l'ENTV, l'arrogance de son prédécesseur en moins, bien en phase avec la ligne éditoriale de la télévision, où tout ce qui se dit doit forcément aller dans le bon sens. L'innovation au niveau de notre petit écran est plus dans la forme que dans le fond. Pour marquer sa différence et introduire une certaine idée de la solidarité politique, le patron du FLN a amené avec lui l'équipe gouvernementale au complet. Il voulait sûrement donner à l'évenement médiatique qui s'est avéré par ailleurs fort ennuyeux un caractère solennel, mais cela n'a pas suffi pour le rendre plus crédible. Qu'avons-nous retenu à la fin de cette conférence ? En Algérie, tout va bien... L'éternelle rengaine. Quand on sait qu'en France, où la pré-campagne présidentielle bat son plein, toutes les forces politiques confondues, en particulier la droite au pouvoir, n'hésitent pas à dire que devant la multitude de problèmes rencontrés, le pays va mal, il y a de quoi douter de la sincérité de nos dirigeants politiques qui cherchent toujours leurs mots pour draper une réalité sociale et économique par trop criante. Les propos « policés » de Belkhadem comme ceux de Ouyahia sonnent mal, mais c'est à la télé unique qu'échoit le rôle de les rendre plus audibles. Ce sont les télés étrangères concurrentes qui comblent le vide. Cette semaine, par exemple, Berbère TV a invité Yasmina Khadra pour un entretien sans détours sur sa carrière littéraire et sur les rapports qu'il entretient avec son pays. L'écrivain a aussi parlé politique pour nous dire que l'Algérie en retombant dans l'incertitude de la réconciliation nationale qui a permis le retour des intégristes, va mal... Un autre son avec cependant plus de conviction, qui n'a, lui, aucune chance de passer sur la chaîne unique.