Structure ancestrale inévitable dans les villages kabyles, tajmaât joue le rôle d'un mini-gouvernement soucieux de la cohésion sociale et des règles démocratiques. Taqvilt (la coalition des archs), le arch (la confédération des villages), et thaddarth (le village) sont les trois principales structures de l'organisation sociale kabyle. Thaddarth est constitué en général de deux quartiers majeurs, lhara oufella et lhara bwedda (le quartier d'en haut et le quartier d'en bas) habités par des familles qui forment, en se regroupant autour d'un même ancêtre, un adhroum, le clan. Thaddarth, qui a tous les attributs d'une république en miniature, est administré par la djemâa, l'assemblée du village, constituée de tous les citoyens mâles ayant atteint la majorité. Tajmaât (djemâa) choisit, parmi ses membres, le chef du village, appelé selon les régions, «amghar n'thadarth, l'amine n'thadarth ou aqeruy n'thaddarth». Ce dernier est désigné par consensus et sa charge n'est pas héréditaire. Il est secondé dans sa fonction par des tamens, les représentants du clan, ou parfois par un conseil de sages désigné lui aussi par consensus. La fonction des chefs du village et des tamens est assumée par des vieux choisis parmi les plus sages et les plus éloquents ou parmi les éléments des clans les plus en vue de la communauté villageoise. Le chef du village et les membres du conseil constituent le gouvernement du village, un gouvernement, comme le soulignera un auteur français, à moindre frais. La durée du mandat des chefs de village n'est pas déterminée. Le qanoun kabyle n'a pas fixé de durée pour cette fonction. Elle dépend entièrement de la volonté de tajmaât. Elle peut être de quelques mois ou de plusieurs années. Représentants du pouvoir exécutif, judicaire et législatif du village, la mission du chef du village et de ses adjoints est de veiller dans tous les domaines à la bonne marche de la communauté. Presque de manière innée, le villageois sait que l'espace public et la propriété d'autrui sont sacrés. Aussi, nul besoin de police pour dissuader d'éventuelles violations de ses lieux. Et pour mieux préserver les membres de la communauté de toute tentation, des sanctions allant d'une petite amende à l'excommunication sont prévues. Ascendant sur l'individu Dans le village kabyle, tajmaât a un total ascendant sur l'individu. Ce dernier se soumet de bon gré à ses décisions, car sa vie et celle de sa famille en dépendent. Tous les travaux d'intérêt général, à l'exemple de l'acheminement de l'eau potable, de la construction des fontaines, de l'évacuation des eaux pluviales, des opérations de déneigement, du nettoyage des chemins, de l'ouverture des sentiers… sont effectués par tajmaât. Comme le sentiment de solidarité est très prononcé chez les villageois, la collectivité organise de temps en temps des touizas, des volontariats pour venir en aide à l'un des leurs, que ce soit dans la construction d'une maison, la collecte des olives, le forage d'un puits, les travaux de fenaison ou autres. Tajmaât est aussi pour tous les villageois une assurance décès. Les funérailles sont totalement prises en charge et organisées par la collectivité. Aujourd'hui, en dépit du modernisme rampant, de l'urbanisation des zones rurales, les djemâas continuent à fonctionner et appliquer quasiment les mêmes lois que les anciens. Toutefois, la gérontocratie a cédé le pas devant la jeunesse scolarisée. Actuellement, la majorité des djemâas sont gérées par des jeunes qui fonctionnent souvent en comité de village, mais qui gardent toujours le nom d' «imgharène n'thaddarth» (les vieux du village) pour signifier que la gérontocratie lexicale n'est pas prête encore de céder place. Louée et chantée par des auteurs étrangers de divers horizons, à l'exemple d'Hanoteau, Letourneux, Karl Marx, Rosa Luxemburg, Jean Morizot, Albert Camus… tajmaât restera l'une des structures de gestion les plus démocratiques et les moins coûteuses au monde.