Ali Mecili a été assassiné il y a de cela 30 années, le 7 avril 1987 de trois balles, à Paris, dans le hall de son immeuble, alors qu'il était âgé de 47 ans, l'âge de la maturité des grands hommes politiques. Son crime, commandité à partir d'Alger et au plus haut sommet de l'Etat, est resté à ce jour impuni. Je garde d'Ali l'image que j'ai eue de lui lors de notre première rencontre en 1979, l'image qui se dégageait de son visage et de son regard, celle d'un homme aimable et souriant. De toutes nos rencontres, je garde aussi de lui le souvenir d'un militant à l'écoute des autres, d'un militant qui essayait de saisir chaque mot pour voir comment s'en faire une idée, tout en pensant, en même temps, à ce qui pouvait en faire une action sur le terrain. Cette attitude, il la gardait certainement de son expérience personnelle et de sa formation politique depuis la guerre de Libération de l'Algérie et dans l'opposition démocratique au sein du FFS. Nous lui reconnaissions son aura de leader politique qui faisait de lui un homme réfléchi, mais aussi un homme à l'écoute de chaque bruissement au sein de sa société. Parcourir ce que fut son parcours, ou ses parcours, c'est rendre hommage à sa personnalité qui n'exprimait aucune prétention à être distinct des autres et au militant qu'il fut depuis son adolescence. Enfant d'Algérie, combattant de l'ALN, militant du FFS, opposant en exil, Ali Mecili fut arraché à la vie en martyr de la démocratie. Ali Mecili, un enfant d'Algérie Ali Mecili est né André Mecili, en 1940, à Koléa, d'une famille originaire de Djemâa Saharidj, en Kabylie. Il est né André comme d'autres sont nés Ahmed ou Akli. Son père était garde-champêtre et sa mère postière. C'était au temps de la colonisation où les Algériens étaient des indigènes. C'était au temps aussi, où pour être garde-champêtre, il fallait, pour un indigène, obtenir et accepter sa naturalisation et choisir un nom bien français à ses enfants. Son père fit ce saut, et c'est comme cela qu'Ali Mecili est né André. Un nom qu'il porta de fait, comme on porte un signe, bienveillant ou pas, sur son dos. Mais le petit André et ses parents restèrent, pour autant et pour tout le temps où dura la colonisation, les indigènes qu'ils n'avaient jamais cessé de se sentir. Ali Mecili fréquenta le collège de Boufarik, puis le lycée de Ben Aknoun où, très jeune et avec sa spontanéité juvénile, il rejoint la cellule du FLN. Pendant ce temps, la ferme de ses parents à Chaïba, dans la Mitidja, sert de refuge aux moudjahidine. C'est pendant ce temps aussi qu'André Mecili prend le prénom d'Ali, celui que, probablement, dans leur inconscient, lui et ses parents, voulaient qu'il eût pris. C'est l'éveil de sa conscience de militant de l'indépendance de son pays qui le fera participer aux manifestations du 11 décembre 1960, à Alger, en tant que membre du service d'ordre du FLN. Agé de 20 ans, Ali Mecili est appelé sous les drapeaux par l'administration coloniale. Refusant de rejoindre l'armée française, il fuit l'Algérie, pour rejoindre l'ALN, en Tunisie, en passant par Marseille et l'Italie. Ali Mecili, un combattant de l'ALN Dès son arrivée à Tunis et comme beaucoup de jeunes étudiants qui avaient rejoint l'ALN, Ali Mecili est affecté, par le Ministère de l'armement et des liaisons générales (MALG), à la Base Didouche de l'ALN, en Libye, à la tête de la section chargée des activités d'espionnage à l'étranger, avec le grade de lieutenant. Ce fut pour lui une période pleine d'enseignements et d'émotions enrichissantes ; il en gardera pourtant un souvenir amer de ce que furent les conflits claniques et les appétits de pouvoir qui déchirèrent la Révolution. Dans une lettre adressée à des amis italiens et citée par Hocine Aït Ahmed, Ali Mecili écrira : «J'ai connu les poux et les punaises, la saleté, l'hypocrisie, la bassesse humaine, les exécutions sommaires de ceux qui n'ont rien fait de mal et qui ne pourront plus rien faire. J'ai connu la honte, la peur, l'épuisement, le défaitisme ; en d'autres termes, j'ai connu l'homme à nu (…)». Cette douloureuse expérience marquera son opposition à l'instauration d'un ordre injuste et décidera de ses engagements politiques d'opposant dès les premiers jours de l'indépendance de l'Algérie. Durant l'été 1962, Ali Mecili, malgré lui et sans rien lui avoir demandé, fait partie des troupes du MALG envoyées de Tunisie pour rejoindre le Groupe d'Oujda installé à Tlemcen qui, autour de Ahmed Ben Bella et Houari Boumediène, était déterminé à prendre le pouvoir à Alger, quel qu'en soit le prix. Devant l'opposition et la résistance des wilayas de l'intérieur et en particulier des Wilayas III et IV, les camions du MALG contournent la Kabylie et l'Algérois pour rejoindre Oran. C'est en arrivant à proximité de Chlef (ex-Orléanville) qu'Ali Mecili prend la décision courageuse de ne pas participer au premier coup d'Etat de l'indépendance contre le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Il s'enfuit du convoi qui transportait les troupes du MALG hostiles au GPRA et prend contact avec les moudjahidine de la Wilaya IV qu'il met en garde contre les intentions du MALG de se transformer en police politique, chargée de la répression des opposants à celui auquel on attachera définitivement le qualificatif de «Groupe d'Oujda». Cette situation amènera Ali Mecili à participer aux cris de «Seba'a snine barakat !», aux manifestations populaires contre des combats fratricides qui feront plusieurs centaines de morts parmi les moudjahidine et la population. Déterminé à s'engager dans une opposition politique au régime issu d'un coup de force contre la volonté populaire, Ali Mecili prend contact avec Hocine Aït Ahmed qui avait été élu à l'Assemblée Constituante et au sein de laquelle il voulait créer un lieu de débat politique destiné à mettre en place les fondements d'une véritable démocratie. Les exclusions et les arrestations de Mohamed Boudiaf, de Ferhat Abbas et de nombreux anciens responsables de la Révolution de Novembre 1954 vont rendre illusoire la volonté d'Aït Ahmed de créer une véritable alternative démocratique au sein de l'Assemblée Constituante dont il démissionnera quelques mois après son élection. Ali Mecili, le militant du FFS Déjà acquis à l'idée de créer une force d'opposition au pouvoir et très proche de Hocine Aït Ahmed, Ali Mecili est associé, le 29 septembre 1963, à la création d'un parti politique destiné à rassembler les forces démocratiques opposées au régime autoritaire d'Ahmed Ben Bella : le Front des forces socialistes (FFS). A la création du FFS seront associés plusieurs représentants de l'opposition et en particulier des membres du PRS créé par Mohamed Boudiaf. Aït Ahmed confiera à Ali Mecili l'impression et la diffusion des tracts et des déclarations du FFS. En même temps et pour contrer l'emprise du FLN sur l'Union nationale des étudiants algériens (UNEA) issue de l'Union générales des étudiants musulmans algériens (UGEMA) créée durant la période de la guerre de Libération, Ali Mecili, en grand stratège politique, initie la création d'un mouvement estudiantin destiné à soutenir, à l'intérieur de l'Université, les luttes menées pour un véritable changement démocratique et une activité syndicale autonome. La dynamique politique et pacifique initiée par le FFS sera l'objet d'une répression violente (plus de 400 morts, des centaines de blessés et de prisonniers) qui amènera les membres du FFS à rejoindre la clandestinité et à se réfugier dans les maquis de Kabylie. C'est dans ces conditions qu'Ali Mecili sera arrêté, le 17 octobre 1964, en même temps que Hocine Aït Ahmed. A la suite d'une parodie de procès, Aït Ahmed sera condamné à mort, avant de voir sa peine commuée en prison à perpétuité ; il sera incarcéré à Lambèse, puis à la prison d'El Harrach d'où il s'évadera le 1er Mai 1966, pour rejoindre un nouvel exil qui durera jusqu'au 15 décembre 1989. Pendant ce temps, Ali Mecili échappe lui aussi à l'exécution et sera transféré à la prison militaire d'Oran, d'où il sera libéré le 1er Novembre 1965, en application des accords FFS-FLN du 17 juin 1965 et après le coup d'Etat organisé par Houari Boumediène et qui destituera et emprisonnera Ahmed Ben Bella. Ali Mecili, l'opposant en exil Après sa libération, Ali Mecili entamera un exil d'où il ne reviendra jamais. Sans moyens mais avec son seul désir, il s'installe à Marseille d'où il relance et coordonnera les activités du FFS dans le sud de la France. En quête d'une pratique démocratique nouvelle, Ali Mecili pense, en s'inspirant des traditions algériennes, à la mise en place de Djemâas élues. Tirant cependant les conclusions de la situation politique en Algérie et des difficultés à promouvoir, dans les conditions de l'époque, une véritable dynamique d'opposition à l'étranger, Ali Mecili s'impose un temps de réflexion durant lequel il se consacrera à des études de droit. A l'issue de son parcours universitaire, il exercera, à partir de l'année 1973, comme avocat. Un avocat pas comme les autres, mais un avocat engagé dont le cabinet deviendra un lieu d'accueil pour les travailleurs immigrés algériens et pour tous les exilés politiques de nombreux pays. Ali Mecili reprendra très rapidement ses activités politiques en intégrant dans ses objectifs la mobilisation autour de la défense des droits de l'homme et plus particulièrement autour de la revendication culturelle berbère. Cette nouvelle impulsion de l'action politique d'Ali Mecili l'amènera, dans un premier temps, à créer, en 1978, la coopérative Tiwizi qu'il destinera à la promotion de la langue et de la culture berbères et, dans un deuxième temps, à assurer des stages de formation politique à l'intention des militants du FFS. Cette dynamique permettra de créer une convergence qui portera ses fruits, entre les militants FFS en exil et des étudiants venus d'Algérie et principalement d'Alger et de Kabylie. La stratégie politique initiée par Ali Mecili verra son couronnement, au séminaire de Gap, avec la rédaction et la publication de l'«Avant-projet d'une plate-forme politique», en mars 1979. Ce document deviendra la référence pour des générations de militants du FFS ; il impulsera une dynamique de résistance parmi ceux qui deviendront les principaux animateurs du Printemps berbère, en avril 1980. C'est toute l'activité du FFS qui reprendra, à partir de là, sa dynamique d'un parti d'opposition et d'un parti rassembleur de l'opposition au pouvoir algérien. Visionnaire qu'il était et partant de l'idée d'un nécessaire rassemblement de l'opposition algérienne en exil, Ali Mecili va proposer au FFS une nouvelle stratégie destinée à créer une alliance entre les différents courants politiques en exil. Cette dynamique aboutira, le 19 décembre 1985, à ce qui sera appelé l'Accord de Londres qui verra la publication d'une déclaration signée par Hocine Aït Ahmed pour le FFS et par Ahmed Ben Bella pour le MDA. Le refus de Mohamed Boudiaf de mettre, dans une telle déclaration, son nom à côté de celui de Ben Bella limitera sa portée, mais ne constituera pas moins un moment politique important qui mettra en émoi le pouvoir à Alger. En appui de la nouvelle stratégie du FFS, Ali Mecili va lancer, en août 1986, le journal Libre Algérie, organe d'information et d'opposition, qu'il ouvrira également aux militants du MDA. Ali Mecili, en tant qu'animateur politique du FFS, venait de donner à l'opposition algérienne le nouveau souffle dont elle avait besoin pour préparer un véritable changement démocratique en Algérie. Ali Mecili, un martyr de la démocratie Ali Mecili interviendra pour la dernière fois, en public, le 22 mars 1987. Quelques jours après, le 7 avril 1987, il sera lâchement assassiné de trois balles dans la tête par un criminel actionné à partir d'Alger. C'est à la sortie d'une réunion contre la violence et la torture, Rue Didouche Mourad, que nous apprendrons, Hachemi Naït Djoudi et moi-même la mort d'un ami, d'un camarade de lutte. Mouhoub Naït Maouche nous confirmera de Paris, par téléphone, cette information qui faisait partie de nos inquiétudes depuis quelques jours déjà. C'était non seulement un assassinat politique, mais aussi le retour à la sombre période de l'élimination physique des opposants. Avec l'assassinat d'Ali Mecili, l'espoir d'un changement démocratique et pacifique s'éloignait un peu plus en ce 7 avril 1987. Ce crime fut aussi un scandale pour la justice française et sa détermination à ne rien tenter pour que la lumière soit faite sur cette affaire qui deviendra l'Affaire Mecili, à laquelle Hocine Aït Ahmed réservera un livre dans lequel il en désignera les auteurs et les commanditaires. Dans l'urgence absolue et au nom de la «raison d'Etat», André Pandraud, proche du ministre français de l'Intérieur, Charles Pasqua, expulsera l'assassin présumé d'Ali Mecili en Algérie, où il ne sera jamais inquiété. Le 17 novembre 2014, un des commanditaires présumés de l'assassinat de Ali Mecili bénéficiera d'un non-lieu qui sera confirmé en appel le 10 septembre 2015. A ce jour, l'impunité des assassins et des commanditaires reste scellée. Dans une lettre trouvée après son assassinat, Ali Mecili écrira : «Lorsqu'on ouvrira cette lettre, se sera accomplie une destinée qui depuis ma tendre enfance n'aura jamais cessé de hanter mon esprit (…). Je meurs sous des balles algériennes pour avoir aimé l'Algérie (…). Je meurs seul, dans un pays d'indifférence et de racisme (…). Je meurs pour avoir vu mourir l'Algérie au lendemain de sa naissance et pour avoir vu bâillonner l'un des peuples de la Terre qui a payé le plus lourd tribut pour affirmer son droit à l'existence». Comme les assassinats de Mohamed Khider et de Krim Belkacem, celui d'Ali Mecili restera une tache sombre et honteuse dans le chemin de l'Algérie vers l'Etat de droit et la liberté des Algériens. Aujourd'hui, en ce trentième anniversaire de son assassinat, Ali Mecili manque à sa famille, au FFS, à la démocratie et à l'Algérie. Pour l'honneur de la justice et celui de l'Algérie, ses compagnons continuent à demander que son assassinat ne reste pas impuni.