« Ali Mecili n'a pas été tué parce qu'il était Algérien, ni parce qu'il était Kabyle, ni parce qu'il était Français. Il a été tué parce qu'il était tout cela dans le respect des principes humanistes et universalistes », message de Hocine Ait Ahmed, le 7 avril 2012. Ces valeurs, dans un monde de bruts, sont difficiles à conserver. Indubitablement, il faut que les titulaires soient animés d'une réelle conviction pour ne pas fléchir. En Algérie, avant le simulacre d'ouverture –comme après d'ailleurs –, combien de soi-disant opposants ont rejoint, en échange de quelques miettes, le régime au moindre chantage. Or, malgré une terrible répression, deux hommes, Ali Mecili et Hocine Ait Ahmed, résistent autant que faire se peut. Par ailleurs, si celui-ci a échappé à plusieurs tentatives d'assassinat dans les années 1960 et 1970, il n'en est pas de même de celui-là. Et pour cause! Son travail de proximité fait de lui une cible facile à atteindre. Et pourtant, le seul tort d'Ali Mecili, c'est d'avoir aimé trop son pays. « Je meurs sous les balles algériennes pour avoir aimé l'Algérie », a-t-il écrit quelques jours avant son assassinat. En fait, bien que son combat s'inscrive dans une dynamique pacifique, le régime algérien ne conçoit pas sa relation avec le peuple algérien en termes sains, comme aurait dit Mohamed Boudiaf. C'est ce que rappelle également Hocine Ait Ahmed, dans la nouvelle préface de son livre, intitulé « l'affaire Ali Mecili », en expliquant que ce crime révèle, une fois de plus, la nature dictatoriale du régime algérien. De toute évidence, dans l'histoire du pays, cette liquidation n'est ni la première et ni la dernière. Agissant selon les procédés des tribus « Beni Hillal », pour reprendre l'expression de feu Ferhat Abbas, le régime algérien recourt à la liquidation physique des opposants dès les années 1960. Après Mohamed Khider en janvier 1967 et Krim Belkacem en octobre 1970, le pouvoir algérien –après une mise en sourdine de cette pratique dans la première moitié des années 1980 –renoue avec cette méthode machiavélique. Pour les dirigeants algériens, l'opposition, sous l'égide du tandem Hocine Ait Ahmed et Ali Mecili, prend beaucoup d'ampleur. En effet, le projet pour lequel travaillent les deux figures de proue de l'opposition dépasse le cadre de leur parti, le FFS. Du coup, depuis la rencontre de Londres en décembre 1985, le régime algérien ne pardonne pas à Ali Mecili son rôle dans le rapprochement entre les deux chefs historiques, Hocine Ait Ahmed et Ahmed Ben Bella. Toutefois, bien qu'il se sente menacé, Ali Mecili ne cède pas au chantage. Malgré les menaces, Ali Mecili est présent sur plusieurs fronts, notamment « le mouvement des jeunes culturalistes, le FFS, les jeunes réunis autour du MDA d'Ahmed Ben Bella », écrit Hocine Ait Ahmed. Pour le régime d'Alger, la réaction s'impose. Pour mettre un coup d'arrêt à cette dynamique, les décideurs, civils et militaires, décident de frapper le mouvement à la tête. « A la fin de l'année 1986, une réunion s'est tenue au Palais d'El Mouradia entre Larbi Belkheir (chef de cabinet de la présidence) et Lakhal Ayat (directeur central de la sécurité militaire, alors DCSM)... Au cours de cette réunion, la décision d'assassiner Ali Mecili a été prise », révèle l'ancien colonel des services secrets algérien, Hicham Aboud. Quoi qu'il en soit, pour brouiller les cartes, les services secrets innovent en engageant un truand. En effet, contrairement à l'accoutumée, le capitaine Rachid Hassani est chargé de recruter une personne étrangère au service afin qu'il accomplisse le forfait. Cette personne n'est autre qu'Abdelmalek Amallou, un proxénète sinistrement connu dans le milieu parisien. En contre partie de la tête d'Ali Mecili, l'Etat algérien –à-vrai-dire, ceux qui sont aux responsabilités –met sur la table une somme de 800000 francs et un appartement à Alger. Alors que les étals des magasins sont quasiment vides, les deniers publics sont mobilisés tout bonnement pour éliminer un grand patriote, dont le tort est de « ne pas avoir accepté la compromission et le déshonneur dans lesquels se complaisent les plus grands nombres d'élites du Tiers-Monde », pour paraphraser feu Ali Mecili dans sa dernière lettre. A partir de là, les choses s'accélèrent. Dans la foulée, l'ordre de mission, délivré par les services de Lakhal Ayat –certains indiscrétions disent que le chef des services secrets a failli le signer lui-même –, est remis à Abdelmalek Amallou. Désormais, il ne reste qu'à perpétrer le crime. Le 7 avril 1987, à 22h35, Ali Mecili est abattu de sang froid à l'entrée de son immeuble. Personnalité connue dans les deux rives de la méditerranée, sa mort ne peut pas passer inaperçue. Dans les minutes qui suivent l'ignoble forfait d'Abdelmalek Amallou, la nouvelle se répand telle une traînée de poudre. Hélas, bien que les autorités françaises aient beaucoup à gagner en élucidant ce lâche assassinat, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Charles Pasqua, se démène pour disculper ses alliés d'Alger. « Dans les heures suivant l'assassinat de cet avocat au barreau de Paris, l'ambassadeur d'Algérie en France recevait un appel téléphonique insolite. Le ministre de l'Intérieur Charles Pasqua tenait en personne « à l'assurer que l'Algérie n'avait rien à voir avec cette affaire », écrit Hocine Ait Ahmed en 2007 à l'occasion de la célébration du 20eme anniversaire de l'assassinat de son bras droit au FFS. De façon sous-jacente, cette déclaration vaut une instruction en vue de camoufler l'affaire. En fait, à deux reprises, en avril et en juin 1987, le ministre délégué à la sécurité, Robert Pandraud, signe des avis d'expulsion du meurtrier vers l'Algérie. Ainsi, bien que tous les éléments soient réunis pour inculper le chargé de mission de la sécurité militaire algérienne, la raison d'Etat finit toujours par l'emporter. Tournant le dos aux valeurs qui ont présidé à l'édification de leur Etat, les dirigeants français de l'époque piétinent la justice pour couvrir leurs alliés d'Alger. Pour conclure, il va de soi que cet assassinat porte la signature des services secrets algériens. Evidemment, ce crime a deux objectifs : priver l'opposition algérienne d'une véritable tête politique et déstabiliser son ami de toujours Hocine Ait Ahmed. « Avec les outrages que le temps nous inflige impitoyablement, il m'arrive parfois d'oublier des êtres et des moments qui m'avaient paru, un temps, indispensables à ma vie et à notre action collective. Mais Ali André Mecili est à ce point collé au plus significatif de notre lutte qu'il n'est tout simplement pas possible de l'éviter », déclare Hocine Ait Ahmed à l'occasion du 25eme anniversaire de l'assassinat d'Ali Mecili. Cela dit, bien que la blessure soit abyssale, Hocine Ait Ahmed a toujours trouvé les ressources pour honorer le combat de son ami. Enfin, en dépit des blocages tous azimuts, les deux familles d'Ali Mecili, la sienne propre et celle du FFS, ne baisseront pas les bras jusqu'à ce que ce crime ignoble soit élucidé. D'ailleurs, pour continuer à croire au combat démocratique en Algérie, peut-on oublier le sacrifice d'Ali Mecili? La réponse est évidemment non.