C'est dans une salle archi-comble que les présents ont pu découvrir avec un vif intérêt la dernière production cinématographique de Karim Traïdia. Réalisé en 2016 par l'Agence nationale pour le rayonnement culturel, ce long métrage émouvant de 100 minutes se décline sous la forme d'un voyage initiatique à travers les émotions d'un petit garçon frisant les neuf ans. Son regard d'enfant baigne, déjà, dans un monde d'adultes. Il est tiraillé, malgré lui, entre ces deux mondes aux antipodes. Chroniques de mon village n'est autre qu'une fiction bien ficelée, qui est inspirée de l'enfance du cinéaste et réalisateur Karim Traïdia pendant la Guerre de Libération nationale. Le décor est planté dans la région de Besbes, dans la wilaya de Annaba. Cette histoire pleine de tendresse captive dès le départ les cinéphiles, à travers les histoires et portraits multiples de ses habitants, évoluant dans ce village durant la période comprise entre 1960 et 1962. Le fil conducteur de cette histoire n'est autre que Bachir, un brillant élève qui parle peu, mais observe tout. Ambitieux et intelligent, ce petit gamin ne rêve que d'une chose : devenir le fils d'un martyr afin de bénéficier des avantages de l'Indépendance. L'enfant vit chez sa grand-mère maternelle en compagnie de sa mère, (Mouni Boualem), de ses trois frères et de son oncle maternel. L'enfant pense que son père, interprété par Hassan Kachach, est au maquis, alors qu'il a opté, depuis cinq ans, pour une vie en solitaire. Bachir mène une vie bien mitigée, tantôt joyeuse, tantôt triste, entre sa famille, ses camarades d'école et son ami François, un soldat français, avec qui des liens amicaux se lissent et se développent au fil du temps. Il se déplace très souvent au quartier général du soldat François pour récupérer des ballots de linge sale que sa mère lave, et ce, pour subvenir aux besoins de la famille. Au cours de cette amitié, le gamin est confronté à un véritable dilemme : celui de croire dur comme fer à l'Indépendance du pays et de porter un regard plutôt d'ennemi que d'ami en direction de son ami français. Bachir est aussi en proie à plusieurs questionnements. Il veut savoir de la bouche de l'imam du village où «habite le bon Dieu». Une interrogation qui se soldera par une série de courses-poursuites rigolotes à l'extrême, avec des membres de sa famille et de son voisinage. La grand-mère maternelle, Rabéa, campée admirablement par la Tunisienne Fatma Ben Saïdane, occupe une place de choix dans le scénario. Cette aïeule, à la main de fer dans un gant de velours, incarne la rigueur et l'autorité suprême. Ses sautes d'humeur et ses répliques loufoques, dont elle seule connaît le dosage, ne laissent personne indifférent. Au fur et à mesure que la narration se décline, d'autres personnages imposants évoluent dans cette comédie dramatique. Preuve en est, avec le personnage du berger ‘‘Tchitchi'' (Tahar Zaoui). Simple d'esprit, ce naïf fait face au quotidien des moqueries émanant aussi bien des adultes que des enfants. Il est convaincu qu' à l'Indépendance, il sera l'égal des autres et qu'il pourra, facilement, s'approprier la demeure d'un colon pour s'adonner à sa passion d'éleveur de poules et de coqs. Comme l'a si bien souligné, lors du débat, le scénariste Karim Traïdia, Tchicha est une très belle métaphore «pour ceux qui croyaient aux idéaux qu'on nous avait donnés à l'époque et malheureusement à l'Indépendance, on a eu des illusions». La trame du long métrage Chroniques de mon village se referme par le recouvrement de l'Indépendance. Les contingents français quittent le village de Besbes. Le drapeau algérien flotte et la population clame dans une confusion des plus totales les noms de Ben Bella, de Boumediène et du FLN. Des youyous et des klaxons nourris se font entendre, avec en filigrane cette sensation de désillusion. Le scénariste a tenu à préciser à la fin de la projection que l'Algérie est beaucoup plus présente dans la narration. «J'ai essayé d'être fidèle à ma maison et à la forêt où je jouais étant gamin». Chroniques de mon village, de Karim Traïdia, reste un film saisissant d'une grande profondeur, où la désillusion n'est pas à occulter. Ce long métrage brasse, certes, une période révolue à jamais, mais à ô combien indispensable pour la préservation de la mémoire.