Pour le président du Front national algérien (FNA), Moussa Touati, le vote est un devoir mais aussi un droit à défendre, même s'il a lieu dans une situation de pourrissement. Dans l'entretien qu'il nous a accordé entre deux déplacements à l'intérieur du pays, il accuse le pouvoir de mal cacher sa volonté d'arriver à «l'annulation» des législatives dans le but «d'aller vers une période de transition». Quel constat faites-vous des deux premières semaines de la campagne électorale ? Cette campagne sent trop l'argent sale. Elle a été marquée par des réquisitions massives de personnels pour remplir les salles et les espaces publics où se déroulent les meetings. Elle ne diffère donc pas de celle de 2012... Nous assistons au même scénario sauf qu'avant le slogan était «Qala Allah, qala errasoul» (Dieu a dit, le Prophète a dit), aujourd'hui : «L'argent a dit, l'intérêt a dit.» Cela a pollué le climat politique et suscité une démobilisation des citoyens, qui risquent d'être très nombreux à déserter les urnes. Nous craignons un boycott massif. Ne pouvez-vous pas influer sur cette tendance pour ramener les Algériens aux urnes ? C'est ce que nous faisons. Mais le problème c'est qu'il y a des gens qui appellent au boycott. Qui sont-ils ? Représentent-ils réellement l'opposition ? S'ils se considèrent comme tels, leur rôle n'est pas de dire aux Algériens de ne pas voter, mais plutôt de les encourager à aller exprimer leur avis. L'acte de voter est un droit et un devoir. Le citoyen n'a pas le droit de s'abstenir. Il doit choisir entre appuyer un programme ou le rejeter. Si l'option du rejet est plus représentative, cela veut dire que la majorité des citoyens ont perdu confiance en leurs dirigeants. Mais s'ils démissionnent, ils ne peuvent être considérés comme tels. L'école ne nous a pas enseigné l'éducation civique. Au FNA, nous passons notre temps à expliquer aux gens qu'ils doivent voter pour ou contre un programme. C'est cela le civisme… Le FNA vient d'être épinglé par la Haute instance de surveillance des élections (HIISE) pour avoir affiché des listes de candidats, dont certains visages de femmes étaient masqués et a menacé de procéder à leur annulation dans le cas où les photos ne sont pas publiées. Pourquoi avoir masqué le visage des candidates et qu'allez-vous faire après la mise en garde de la HIISE ? Cette question des visages masqués des candidates relève strictement du respect des libertés individuelles. Aucun texte de loi n'empêche un candidat de cacher son visage. Sachez que le FNA est le seul parti qui a présenté 4 femmes tête de liste, et une liste dédiée totalement aux femmes. Nous n'avons aucun complexe sur les questions des droits des femmes, qui sont pour nous primordiaux. Les dossiers de candidatures ont été présentés à l'administration, qui les a validés. L'Instance de surveillance des élections n'a aucune autorité pour menacer d'annuler une quelconque liste. Elle n'a pas le droit de s'ingérer dans la manière de confectionner la liste. Elle menace d'annuler les listes au cas où vous ne mettriez pas un visage sur les noms des candidats ? Elle n'a aucune base juridique pour le faire. Aucun texte ne le lui confère cette prérogative. Comment peut-elle être impartiale, si elle ne connaît pas les lois ? Lorsque nous avons déposé nos dossiers de candidature, ni l'administration ni le tribunal administratif n'ont évoqué de violation de la loi. Nous avons le droit de ne rien mentionner sur les affiches à part le numéro. Comment cette Haute instance peut-elle menacer de faire annuler les listes ? Elle n'a aucune prérogative pour le faire. Son rôle se limite à surveiller le contenu des discours, mais pas celui de l'affichage… Trouvez-vous normal qu'un candidat ou une candidate à la députation cache son visage à ceux qui sont appelés à lui donner leurs voix ? Les citoyens donnent leurs voix à un programme pas à une personne. Celle-ci importe peu pour eux. Ils n'ont pas besoin de connaître son visage... Mais c'est cette même personne qui est appelée à exécuter ce programme… Cette personne est passée par une enquête administrative. De plus, c'est le parti qui l'a désignée qui prépare le programme dont il est le seul responsable. Au lieu de se focaliser sur le visage masqué d'un candidat, la HIISE devrait être plus attentive aux dépassements constatés. Il y a quelques jours, lors du tirage au sort des numéros d'affiche, on nous a donné le chiffre 1 et 12, après, on nous sort le 01. Quelle interprétation donner à cette dérive ? Le pouvoir est en train de pousser au pourrissement. Je peux dire même qu'il est en train de tout faire pour annuler les élections… Dans quel but ? De plus en plus, il se rend compte que les citoyens sont totalement détachés de ce scrutin, et que le spectre de l'abstention plane lourdement sur son déroulement. La seule issue pour le pouvoir est d'annuler les législatives et d'aller vers une période de transition qui semble le scénario le plus rentable pour lui. Il voit que le peuple n'a plus confiance en ses partis politiques. Il tente de gagner du temps. De nombreux chefs de parti politique ont dénoncé la partialité des médias lourds, notamment publics, en matière de couverture de la campagne électorale en faveur de l'alliance présidentielle. Partagez-vous cet avis ? Totalement. Il nous a été dit que les partis qui ont plus de 48 listes et ceux qui sont loin derrière ne peuvent être mis sur un pied d'égalité. Nous pouvons accepter le principe. Mais nous nous sommes rendu compte que nous étions face à une exclusion pure et simple. Sur le terrain, le constat est flagrant. Les salles qui nous sont réservées sont souvent dépourvues de sonorisation, parfois même de chaises, alors que pour les partis de l'alliance, on réquisitionne les personnes pour remplir la salle, ont met à leur disposition le transport, etc., sans que personne, même pas la HIISE, ne trouve à dire. Plus grave, nous constatons quotidiennement la masse financière utilisée par les mêmes partis pour l'organisation des meetings, des déplacements vers les nombreuses villes du pays de délégations très nombreuses avec prise en charge totale. C'est une agression flagrante et constante de la loi. Avez-vous saisi la Haute instance indépendante de surveillance des élections ? Elle est là pour surveiller, mais elle ne le fait pas. Nous étions, en tant que FNA, parmi les rares partis à avoir déclaré que cette instance ne servait à rien. Lorsqu'on nous avait demandé ce que nous pensions de la nomination de Abdelwahab Derbal à sa tête, nous avions dit que nous n'avions aucun avis à émettre à son sujet. Le problème réside dans le non-respect des lois de la République. Derbal ne peut agir que sur ordre ou instruction. Il n'aura jamais la liberté d'intervenir librement... Prendre part au scrutin dans une telle situation n'est-ce pas une manière de cautionner le pourrissement ? Le vote est un acte de civisme. C'est un devoir et un droit que nous défendons. Nous serons sur le terrain pour leur barrer la route. Nous ferons tout pour que les Algériens puissent exercer leur droit.