Du débat de l'entre-deux tours, un visage peu sympathique de Marine Le Pen est apparu. Face à elle, la candidature du favori, le centriste Emmanuel Macron, dont l'aspect néo-libéral rebute nombre d'électeurs, paraît démocratique. Alors que droite et gauche ont été éliminées pour ce duo. Willy Pelletier, de la Fondation Copernic (www.fondation-copernic.org), ancrée à gauche, nous apporte son éclairage inédit. - Cette élection présidentielle n'entraîne-t-elle pas un certain désenchantement qui encourage le «ni-ni» pour le second tour ? En tout cas, toutes les protestations de campagne contre les politiques de modernisation libérale, développées durant ce quinquennat et qui vont être poursuivies par Emmanuel Macron sont déçues. Or, l'addition des scores du premier tour montrait le refus de ce qui casse les protections sociales, démantèle les services publics, fait exploser les collectifs de travail, donne moins de droits aux salariés face aux employeurs ; ces scores sont majoritaires en voix. Il y a un énorme désappointement. - Aujourd'hui, les médias jouent-ils vraiment leur rôle dans la démocratie ? Paradoxalement, les médias contribuent à la montée de Marine Le Pen. Notamment en la traitant avec agressivité et condescendance. Or, loin de faire baisser son score, cette façon de la maltraiter la rend plus proche de ceux, très nombreux, qui se sentent en insécurité économique et sociale. Par ailleurs, d'autres candidats du premier tour, notamment Philippe Poutou du Nouveau parti anticapitaliste, ont été confrontés à un certain racisme de classe. Il y a deux poids, deux mesures suivant qu'il s'agit d'un candidat «comme il faut», c'est-à-dire issu des partis dits légitimes, ou bien d'un candidat jugé illégitime par les médias. En croyant les faire diminuer, ils les ont fait grimper. Ce qui montre la déconnexion avec la population. Cela a aussi été le cas avec Mélenchon, descendu lorsqu'il montait dans les sondages. D'autres petits candidats ont été quasiment ignorés (Ndlr : après le premier tour, plus personne ne leur a donné la parole). - Que pensez-vous de l'exclusion de la droite et de la gauche ? Selon moi, c'est la droite qui a été exclue pas la gauche, car le PS a été appréhendé comme un parti qui a soutenu une politique de droite. C'est injuste pour Benoît Hamon, mais c'est le PS qui a été sanctionné pour cette raison. Deux partis traditionnels ont été exclus : le parti Les Républicains, et le Parti socialiste. Sincèrement, tous ceux qui ont choisi Mélenchon ont voté contre le PS qui n'a pas rempli sa mission et qui, cela est important, n'a pas donné le droit de vote aux étrangers, une promesse de 36 ans. - Comment voyez-vous l'avenir de la gauche, au lendemain de la présidentielle, avec une victoire de Macron qui se profile ? Pour l'instant incertain. Transformer les millions de voix de Mélenchon en parti, ce n'est pas chose commode. Il reste au PS des structures partisanes, mais le problème majeur à gauche, c'est qu'ils n'ont plus d'ancrage parmi les ouvriers et les employés qui se sentent abandonnés. - Dès demain soir, on aura le regard braqué vers les législatives de juin. Etes-vous optimiste ? Pessimiste ! Parce que la concurrence entre les partis de gauche va être vive. La remobilisation à droite du parti Les Républicains qui s'est senti spolié par l'élimination de Fillon va être forte. La mobilisation des macroniens et des lépenistes va être forte. La gauche risque d'obtenir peu d'élus. - Voyez-vous un risque avec Le Pen qui frôle la victoire ? Le Pen, c'est une politique de réduction des libertés publiques grave, une libération des discriminations xénophobes. - Le risque Le Pen est-il seulement un risque franco-français ? Au pouvoir, Le Pen renforcerait toutes les politiques d'extrême droite en Europe et ailleurs. Ce serait un verrou qui saute. - Et en France, cela changerait-il quelque chose d'essentiel ? Le Président dispose en France d'un pouvoir institutionnel fort, et donc les menaces pour les libertés politiques et publiques sont réelles. - Et Macron président, qu'en pensez-vous ? Macron risquerait de faire passer Le Pen non pas en 2017, mais en 2022 s'il poursuit comme il l'a énoncé les mêmes politiques libérales qui ont amené Le Pen aux portes de l'Elysée. Outre, bien sûr, les dommages que sa politique amènera dans la casse du droit du travail. - Mais n'est-on pas dans une société du spectacle, avec la banalisation de toute chose et de toute idée ? La politique professionnelle est devenue un monde de marketing. Mais les électeurs ne votent pas pour ces raisons. Il y a un grand fossé entre les communicants et les électeurs. Une bonne communication politique ne change pas les souffrances sociales, les douleurs liées aux histoires de vie de chacun. On est dans des mondes parallèles : le monde du spectacle et les vies réelles. Le spectacle n'est pas la vie. - A la fondation Copernic, lieu d'analyse politique, comment voyez-vous votre activité après le second tour ? Plus que jamais avec de la production d'analyses contre les modernisations libérales qui sont les vraies responsables du vote Le Pen. Ceux qui font ce choix sont les victimes de cela. Il faut avec eux, en milieu populaire, renouer le lien et ne plus les laisser comme proies faciles de ceux qui s'alimentent de leur désespoir. - Et l'élection probable de Macron demain soir ? Macron est un barrage ponctuel au FN, mais il sera le promoteur du FN s'il mène sa politique, d'où la complexité de la situation.