Comment en est-on arrivé à cette proposition de Bouteflika au MSP pour rejoindre le 5e gouvernement Sellal ? Pourquoi ce parti est-il l'option idéale pour casser l'opposition ? Enquête. Le projet d'union entre le Mouvement de la société de la paix (MSP) et le Front du changement (FC), la participation aux législatives et l'éloignement de la logique de Mazafran 1, ainsi que les discussions sur une éventuelle entrée au cinquième gouvernement Sellal s'inscrivent dans un processus initié conjointement par des parties au pouvoir et les leaders islamistes, proches des Frères musulmans. Il faudra rappeler ici que Abdelmadjid Menasra, président du Front du changement, ex-ministre et dissident du MSP, avait déclaré, mi-janvier dernier lors de sa conférence de presse conjointe avec Makri : «Ce sont des hauts responsables de l'Etat algérien qui nous ont conseillé de nous unir (…) Ces mêmes responsables étaient déjà à l'époque (en 2013) contre la scission (…) L'union rend service à l'Etat (…) Notre ambition est plus grande que les petites querelles d'ego.» On ne peut être plus clair. L'alliance (comme celle du bloc Adala-Nahda-Binae) devait aussi répondre à un impératif «mathématique» : en liguant les sigles, on ciblait aussi l'augmentation de l'escarcelle électorale, tenter de réunir un maximum d'électeurs éparpillés autour de deux pôles, pas plus. Les partis islamistes, héritiers des configurations molles de la représentation des années 1990, savent que leur base à été réduite à une peau de chagrin. Et même ainsi, ils n'ont pas pu organiser de grands meetings lors de cette campagne pour les législatives (comme les autres partis d'ailleurs). L'électorat classique islamiste est éclaté, d'un côté, entre plusieurs formations et tendances, et, de l'autre, un nouveau courant islamiste traverse la société mais sans être capté par les partis «traditionnels», comme le salafisme «soft» par exemple. Mais les faibles taux de participation (des records selon des sources officielles) et des oppositions au sein même du système ont empêché de doper le vote islamiste. D'où la colère noire d'un Makri ombrageux et offensif au lendemain de ce 4 mai noir pour les islamistes. Parmi les émissaires de la Présidence de la République, on trouve un certain… Abdelouahab Derbal, l'islamiste dissident du parti de Abdellah Djaballah, reconverti dans les fonctions officielles de l'Etat et qui a fini par être nommé par Bouteflika à la tête de la Haute instance indépendante de surveillance des élections (HIISE). Alliance D'ailleurs, cette nomination devait être «vendue» aux islamistes qui hésitaient encore à monter dans le train des législatives comme une garantie de la «bonne gestion» de ces élections : mais l'alliance MSP-FC s'est retrouvée finalement dans les wagons arrière avec seulement 33 sièges. Pourtant, les discussions autour de cette participation aux législatives et, éventuellement, autour de l'octroi de quelques ministères au MSP dataient depuis des mois. Lors de la deuxième conférence de l'opposition à Zéralda, le 30 mars 2016, alors que des opposants comme Benflis insistaient sur la «vacance du pouvoir» présidentiel et «l'illégitimité des institutions», Makri préférait explorer les pistes «crédibles» pour renouer avec le jeu électoral. Le président du MSP appelait, à Mazafran, à «ne va pas renverser l'ordre établi dans l'immédiat. Notre objectif est de mettre la pression sur le pouvoir pour le contraindre à accepter des élections libres». Même le RCD, qui pourtant a fini par participer aux législatives, avait critiqué lors de cette dernière réunion unitaire «les tergiversations, pour ne pas dire les tentations d'investissements particuliers ou partisans qui ont été entendues lors de notre première rencontre, et qui ont non seulement brouillé notre message, mais réduit notre efficacité politique», pour reprendre Ouamar Saoudi. Lors de cette même réunion à Zéralda, des leaders de certains partis commençaient déjà à sentir que leurs camarades étaient tentés par l'abandon de la ligne radicale. Des participants proposent même une charte pour clarifier les relations avec le pouvoir : comprendre, se mettre tous d'accord pour qu'aucun ne fasse un bébé dans le dos de son frère d'armes dans cette confrontation avec le système en place. «Alors même qu'on tenait cette réunion, on savait de sources sûres que certains avaient déjà pris langue avec des émissaires du pouvoir», confiait à l'époque un cadre de l'opposition, ulcéré par ces «trahisons». On ne s'étonnera donc pas quand Soufiane Djilali, président du parti Jil Jadid, s'offusque publiquement face au retournement spectaculaire de Abderrezak Makri : non seulement il lui demande de se retirer de l'ISCO, mais en plus il l'accuse d'avoir négocié des quotas au Parlement et des portefeuilles au gouvernement ! Le président de Jil Jadid va plus loin en soulignant aussi les «facilités» qu'ont obtenues les islamistes pour les élections du 4 mai : «Si, par exemple, un des six partis de la mouvance islamiste n'a pas obtenu aux élections de 2012 le minimum des 4% de suffrages requis pour participer aux prochaines élections, alors un autre parti de la mouvance peut l'en faire profiter grâce à de nouvelles alliances. En clair, le pouvoir fait tout pour qu'ils soient présents dans le prochain Parlement et casse ainsi l'opposition.» Efficace. Pour sa part, Makri avance ses propres arguments. Dans une interview à El Watan Week-end, il a posément expliqué que «si nous considérons qu'on ne peut participer à des élections entachées par la fraude, cela veut dire que nous devons sortir dans la rue ! Parce que nous devons rester dans la logique du changement et dans la logique de la résistance politique. Mais aujourd'hui, ni les Algériens ne veulent sortir dans la rue ni nous permettrons de nous aventurer dans cette voie. Gestion de la catastrophe Donc, nous n'avons pas d'autre alternative. Si je ne vais pas aux élections, eh bien il ne me reste qu'à rentrer chez moi, car on ne peut activer autrement : médias et société civile sont, en majorité, sous contrôle, les marches sont interdites, etc.». Logique imparable ! Mais qui s'effondre quand on écoute un autre son de cloche, même s'il s'agit d'un parti qui a participé aux législatives : «Le pouvoir veut amener l'opposition à le rejoindre dans la gestion de la catastrophe après avoir neutralisé tous les instruments de l'exercice politique et imposé ses choix économiques», a expliqué le FFS pour témoigner de sa lucidité malgré son entrée dans le jeu électoral. «Est-ce que le Bouteflika qui propose sérieusement à Makri de rejoindre l'équipe de l'Exécutif est le même Bouteflika qui est le ‘‘premier responsable de l'échec et de la crise que vit le pays'' ? C'est ce qu'a dit Makri il y a quelques mois», ironise un responsable dans un parti de l'opposition qui a rejeté les élections. On remarquera juste que Makri, homme prévoyant peut-être mais pas que, avait renié toutes ses déclarations sur la vacances du pouvoir, la maladie du Président de manière assez cavalière d'ailleurs. On peut aussi poser la question : Makri a rencontré mercredi le même Sellal (pour la proposition d'entrer au gouvernement) qu'il critiquait le 17 avril de Tlemcen en parlant des sorties du Premier ministre «dont le but est de séduire les électeurs et d'influer négativement sur le cours de la campagne électorale ; pourquoi s'acharner contre le MSP ?», note un observateur de la scène islamiste. Les Frères musulmans ont toujours su négocier, même dans l'Egypte de Nasser. Et puis, «pourquoi en vouloir à un parti qui veut accéder au pouvoir ? C'est sa véritable raison de vivre, non ?». L'entrisme institué par feu Mahfoud Nahnah, défendu de manière opportuniste par Abou Djerra Soltani, fait effectivement partie de la doctrine de ce parti qui a payé le prix fort pour ses choix, car il ne faut pas oublier les cadres de l'ex-Hamas assassinés par le terrorisme, il ne faudrait pas oublier Mohamed Bouslimani. «On oublie souvent que nous aussi nous sommes un parti patriotique, qui ne s'intéresse au pouvoir que pour le bien de ce pays», rappelle un responsable du MSP, proche de Makri, rencontré au siège du parti à El Mouradia. Makri a bien tenté de couper avec cette image, se refaisant une nouvelle virginité d'opposant, et avec succès, il a même réussi à être une des locomotives du front de l'opposition au sein de la Coordination nationale pour la transition et les libertés démocratiques après le traumatisme du 4e mandat. Mais aujourd'hui, le MSP aurait probablement saisi qu'il n'y a point de salut loin des structures du système, que sa genèse même étaient inscrite dans le conflit du régime face à l'islamisme insurrectionnel du FIS, que son ADN lui interdit de porter les armes, symboliquement on entend, contre l'Etat (un concept à redéfinir car l'amalgame entre Etat et pouvoir est une spécificité algérienne). Le MSP, même en refusant de rentrer au gouvernement, aura démontré sa flexibilité en tant que pôle politique résilient, renouant avec sa matrice participative (du moins à l'APN), et proclamant à l'international que, en tant que mouvance labellisée Frères musulmans, il reste un parti «nécessaire» au pouvoir algérien, à défaut de prendre le pouvoir (pour le moment). Car le pouvoir a besoin, aujourd'hui plus que jamais, de cette «opposition si utile au lieu de la mouwalat (allégeance) si gênante comme le fut Saadani et là Ould Abbès», pour reprendre les termes d'un politologue algérois : afin de créer aussi un semblant de consensus sur l'après-Bouteflika. Un après qui reste si incertain.