La reconnaissance des crimes commis par la France en Algérie fait son petit chemin. Hormis la motion soumise par le conseil de la ville de Paris à l'Etat français, plusieurs actions ont été organisées ce 8 mai, notamment à Rennes et à Paris, pour exiger de l'Etat français la reconnaissance de ces crimes d'Etat perpétués en son nom à Sétif, à Guelma et à Kherrata, le 8 Mai 1945. En dépit de l'embargo imposé par certains médias lourds qui tentent d'occulter ce pan important de l'histoire contemporaine de deux rives, la question de la reconnaissance des crimes commis au nom de l'Etat français fait son chemin, se fraye désormais une grande place dans l'actualité française. D'autant plus que les massacres du 8 Mai 1945, perpétrés loin des regards ainsi que la répression meurtrière de la manifestation du 17 Octobre 1961 à Paris, sont plus que jamais placés au-devant de la scène. Pris en charge par des historiens, des journalistes, des écrivains, des chercheurs, des comédiens, des artistes de la rive nord de la Méditerranée, les points précités et beaucoup d'autres dossiers, ébranlant les relations franco-algériennes, ne resurgissent conjoncturellement que lors des commémorations mais s'inscrivent désormais dans la durée. Mis entre parenthèses des décennies durant, l'épisode dramatique du 8 Mai 1945 ayant endeuillé des centaines de familles d'une bonne partie du Nord constantinois n'est plus un tabou pour de nombreux conseils communaux français. En premier lieu, le conseil de la ville de Paris où des élus de gauche comme de droite ont, à l'initiative de l'élue Danielle Simonnet (Front de gauche), ont voté à l'unanimité, une motion appelant la République française à reconnaître ce crime d'Etat (les massacres du 8 Mai 1945 s'entend) perpétré en son nom. Même si l'Etat français continue dans sa politique des petits pas, les progressistes de plus en plus nombreux signent et persistent. Ainsi, le rassemblement lancé en 2015 par le collectif unitaire pour la reconnaissance des crimes d'Etat en Algérie (Sétif, Guelma, Kherrata), a organisé le 8 mai 2017 un sit-in, sur le parvis de l'Hôtel de Ville de Paris où se sont rassemblées plus de 200 personnes de diverses sensibilités et nationalités. Vérité Membre actif du mouvement faisant tache d'huile, l'historien Gilles Manceron en parle : «C'est la troisième année qu'un tel rassemblement a lieu dans la capitale, à l'appel d'un collectif d'associations, dont le Mouvement contre le racisme et l'amitié entre les peuples (Mrap) et la Ligue des droits de l'homme (LDH), et de diverses personnalités pour demander la reconnaissance par la France des massacres commis dans le Nord constantinois en mai et juin 1945. On notait la présence du directeur du journal en ligne Mediapart, Edwy Plenel. Les organisateurs ont pris la parole pour rappeler les faits et souligner la montée depuis quelques années en France d'une demande croissante de vérité concernant les crimes coloniaux commis par la France. Le président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) a rappelé aussi que la vérité n'est pas reconnue sur la réalité d'un massacre commis en mai 1967 à la Guadeloupe où il a été ouvert le feu sur des ouvriers en grève. Les participants se sont engagés à poursuivre leur mobilisation jusqu'à ce qu'intervienne une reconnaissance officielle de ces crimes par la France, des crimes que le président de la République, élu le 7 mai 2017, Emmanuel Macron, avait qualifié avant d'être élu, à la mi-février, lors d'un déplacement en Algérie, de crimes contre l'humanité.» Fondateur de l'association des Oranges, M'hamed Kaki –un militant engagé développe : «La refondation des relations algéro-francaises passe essentiellement par cette reconnaissance qui ne veut pas dire repentance. Celle-ci doit être accompagnée par l'ouverture des archives et la mise en place d'un lieu de mémoire. Pour une meilleure compréhension de cette histoire cachée, on doit la consigner dans les manuels scolaires pour que les jeunes des collèges et lycées puissent connaître la vérité. Il est important de savoir que notre collectif exclu tout communautarisme, car ce dossier n'est pas l'affaire des héritiers de l'immigration mais c'est l'histoire de France.» A Rennes, la question de «l'autre 8 Mai 1945» avance depuis l'année 2000, date de l'inauguration du square de Sétif où chaque année Français et Algériens se rencontrent pour rendre hommage aux victimes de la barbarie. Rencontré sur les lieux précités, le 8 mai 2017, le président de l'ARAC 35 (Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre) de Rennes, Georges Ploteau, qui a été un des membres appelés du contingent en Algérie, à Hussein Dey (Alger) entre avril 1963 et mars 1964, témoigne : «Nous avons eu de part et d'autre de la Méditerranée plus de 130 années d'histoire commune. Nous ne pouvons pas les passer sous silence. Le recul des années devrait même nous aider à mieux comprendre des tragédies comme celle de la région de Sétif. Cette terrible escalade de la violence doit malheureusement être rappelée aujourd'hui. L'armée, l'infanterie, l'aviation mitrailleront des villages entiers considérés comme suspects, des bâtiments de marine bombarderont la région... La population algérienne, hommes, femmes et enfants, ne pouvait qu'être frappée indistinctement. Le rappel de ces faits nous invite bien sûr à rendre hommage à toutes ces victimes. De plus, il nous appelle, je pense, à continuer plus profondément les recherches en comparant les témoignages avec le travail indispensable des historiens d'Algérie et de France.» Mémoire Présente à la cérémonie à côté de l'adjointe du maire de Rennes, Mme Bougeard, la vice-présidente du Conseil départemental d'Ille-et-Vilaine, Claudine David, abonde dans le même sens : «Comme chaque année, au nom de l'amitié franco-algérienne, nous nous retrouvons en ce 8 Mai au square de Sétif, à Rennes, près de cette plaque, afin de nous souvenir et d'honorer la mémoire des victimes de ces terribles massacres qui eurent lieu il y a 72 ans en Algérie, à Sétif, Guelma et Kherrata. Ce que nous faisons ici et maintenant : nous unir, nous rassembler pour nous souvenir et transmettre aux plus jeunes l'histoire de nos peuples, sans la maquiller, sans la réinventer, sans exagérer les faits, sans les minimiser, mais simplement en disant et en reconnaissant ce qui a réellement existé, comme ce massacre de Sétif, dont le nombre réel de victimes est resté trop longtemps méconnu.» Faisant de la transmission de la mémoire un axe important de la feuille de route de sa municipalité, le maire de Vaulx-en-Velin, Pierre Dussurgey, qui s'est fortement engagé dans les conférences tenues au lycée professionnel des Canuts et au cinéma les Amphis, le 4 mai 2017, résume l'approche de la société civile qui tient à connaître la vérité : «Pour un meilleur vivre-ensemble, il nous incombe en tant que responsable public d'apporter notre contribution en matière de la transmission d'une mémoire apaisée. Pour la consolidation des liens entre les peuples algérien et français, il faut que les nouvelles générations connaissent sereinement tout de notre histoire commune.»