Au terme de cinq jours de débats intenses et de plaidoiries magistrales, le procès des détenus de la vallée du M'zab, qui s'est déroulé au le tribunal criminel de Médéa, depuis jeudi passé, a rendu son verdict la nuit de dimanche à lundi (3h30 du matin). De lourdes peines ont été prononcées contre Kamel Eddine Fekhar, Kacem Sofghalem, Baba Ousmail Mahfoudh, Seraia Ibrahim et Dachekbib Mohamed. Ils sont condamnés à cinq ans de prison, dont vingt-quatre mois ferme. Fekhar Cheikh Ami Ibrahim, Dadi Baba Ahmed et Omar Bouhediba ont écopé de quatre ans de prison, dont quatorze mois ferme. Douze autres détenus ont été condamnés à trois ans de prison, dont dix-huit mois ferme, alors que deux autres Salah Kerbouch et Ibrahim Abouna ont été condamnés respectivement à trois ans de prison, dont neuf mois ferme pour le premier et huit mois ferme pour le second. Tandis que quatorze autres détenus ont bénéficié de la relaxe. Onze détenus parmi les condamnés restent en détention dans l'attente de purger leur peine. Kamel Eddine Fekhar en détention depuis le 9 juillet 2015 quittera la prison logiquement le 16 juillet prochain. Condamné mercredi passé dans une autre affaire à cinq ans de prison, dont 18 mois ferme, Fekhar devra bénéficier de «la confusion de peine». Selon la procédure, la défense va introduire une demande pour «confusion de peine», après délibération le juge retiendra une seule peine, la plus lourde. Pour les familles des détenus et la défense c'est un «soulagement» que de voir leurs proches et parents retrouver leur liberté après des mois de détentions. Même si le tribunal a prononcé des condamnations, «nous sommes soulagés de voir finir cet épisode qui a endeuillé les familles et toute la région de M'zab», a réagi le fils d'un détenu. A la prononciation de la sentence, les nombreuses personnes qui ont assisté au procès n'ont pu retenir leurs larmes. «Nous n'avons pas l'habitude de voir nos enfants, nos parents, nos amis derrière les barreaux, jugés pour des faits graves. Nous sommes une société calme, il est difficile d'admettre que nos enfants soient accusés de tous les maux de ce pays. Ce sont des accusations inacceptables, c'est un acharnement contre le M'zab», lâche un parent de détenu. La journée de dimanche consacrée au réquisitoire du représentant du ministère public et aux plaidoiries de la défense a été déterminante pour l'issue du procès. Elle a commencé par la projection des vidéos montrant des scènes de vandalisme et de profanation des tombes d'un cimetière mozabite et d'un temple religieux par une masse de gens en présence de force de police. Les images ont choqué, mais surtout ont donné un aperçu des confrontations qui ont lieu dans la vallée du M'zab en décembre 2013. Cependant, le procureur général a orienté son réquisitoire sur un terrain politique. «Les événements de Ghardaïa n'ont rien de confessionnel, mais ils ont un lien avec des idées extrémistes, des mains étrangères ont actionné des enfants du pays et de la région pour déstabiliser le pays. La responsabilité des victimes incombe à Kamel Eddine Fekhar qui a semé le feu de la discorde. Sous couvert des droits de l'homme, il sème la haine, il appelle à l'intervention étrangère, il appelle à l'autonomie, c'est du séparatisme, une atteinte à l'unité nationale (…)», charge le procureur général. Ce dernier, qui a requit dix ans de prison ferme, s'est employé à disqualifier le statut de défenseur des droits de l'homme de Fekhar. Du pain béni pour la défense. Une preuve que les arrestations et les poursuites des Mozabites relève plus d'une affaire politique que du domaine pénal. Salah Dabouz lui donne la réplique. «Le procureur général nous place dans un contexte politique. Il dénie aux accusés d'avoir des opinions politiques et de les défendre. Le procureur a déployé une force inouïe pour faire le procès des gens qui ont réagi à des attaques, mais l'acte d'agression, il n'en parle pas. Ces accusés sont des témoins qui se retrouvent en détention.» Mokrane Aït Larbi dans un jour meilleur et surtout bien inspiré s'est livré à une superbe plaidoirie politique. «Ce qui se passe dans ce procès nous rappelle tristement les procès staliniens, poursuivre des gens pour des raisons politiques en invoquant la main de l'étranger. L'absence de preuve de leur culpabilité est une preuve bien cachée qu'ils sont de mèche avec des étrangers», assène-t-il. «Dans ce pays, à chaque fois qu'un citoyen exprime, défend une opinion, on l'accuse d'être à la solde de l'ennemi, arrêtons de considérer les Algériens comme un troupeau. Cette affaire est politique et ne peut être réglée par la justice. Ce qui s'est passé à Ghardaïa est la conséquence d'une crise au sommet du pouvoir (…).» Ragaillardi, Me Aït Larbi termine sa plaidoirie avec un poème du célèbre poète de la révolution Moufdi Zakaria repris en chœur mais à voix basse par l'assistance, comme pour rappeler au tribunal et au régime politique qu'il n'est si facile que ça d'accuser des Mozabites de vouloir attenter à la souveraineté du pays ou de douter de leur patriotisme. Mustapha Bouchachi, un autre ténor du barreau, a abondé dans le même sens attaquant implacablement «des arrestations sélectives et des poursuites politiques». «Avec ce procès, nous donnons l'impression aux habitants de Ghardaïa et à ceux du Sud de manière générale qu'ils sont des citoyens de seconde zone. Ceux qui porte atteinte à l'unité nationale sont ceux qui ont ordonné l'arrestation de ces personnes», charge-t-il.