Kaboul enterrait ses morts hier, sous le choc de son pire attentat depuis 2001, tandis que la colère monte chez ses habitants face à l'échec du gouvernement afghan à les protéger. Au moins 90 personnes ont perdu la vie et quelque 400 autres ont été blessées dans l'attentat au camion piégé qui a frappé mercredi matin le quartier diplomatique de la capitale afghane, sans que l'on puisse établir quelle était sa cible précise. Il s'agit de l'attentat le plus meurtrier à Kaboul depuis la chute des taliban en 2001. L'attaque, menée en plein mois de Ramadhan, a creusé un gigantesque cratère dans cette zone abritant le palais présidentiel et de nombreuses ambassades étrangères et censée être l'une des mieux protégées du pays. Une petite dizaine de ces dernières ont été endommagées et plus d'une vingtaine de leurs employés figurent parmi les tués et blessés. Les services de la ville et les forces de l'ordre avaient commencé hier matin à évacuer les débris, morceaux de verre et voitures brûlées jonchant les rues, tandis que les familles touchées se préparaient à enterrer leurs proches, ou pour certaines, continuaient de les chercher. Nombre de corps, déchiquetés ou calcinés, risquent de ne jamais être identifiés, ont prévenu les autorités en charge de la santé. Kaboul a subi une quinzaine d'attentats majeurs au cours des 12 derniers mois et est devenue au cours du premier trimestre 2017 le lieu le plus dangereux d'Afghanistan pour les civils selon l'ONU. Le ressentiment des habitants contre un gouvernement et des forces de sécurité incapables de les protéger est vif et beaucoup se demandent comment les services de renseignement n'ont pu empêcher le camion piégé d'entrer dans un quartier bardé de check-points et largement pourvu en gardes de sécurité. «Combien de temps encore devrons-nous tolérer ce bain de sang dans notre pays ?» se lamente un Kabouli en larmes, interrogé par la chaîne Tolo News. «J'ai perdu mon frère dans l'explosion et le gouvernement échoue constamment à nous assurer la sécurité», a-t-il ajouté. L'incertitude reste entière sur les auteurs de l'attentat, aucun des groupes insurgés actifs en Afghanistan ne l'ayant revendiqué jusqu'ici.
TALIBAN Les taliban, dont la traditionnelle «offensive de printemps» contre l'Etat afghan a démarré en avril, ont nié toute implication et affirmé «condamner fermement» l'attentat. Chassés du pouvoir par une coalition menée par les Américains en 2001, ils ont regagné du terrain depuis le départ des troupes de combat de l'Otan en 2014, menant plusieurs offensives audacieuses et s'assurant le contrôle d'une vaste partie du territoire Ainsi, ils sont de loin le groupe djihadiste le plus puissant du pays. Les analystes restent cependant prudents face à ces allégations, le mouvement, soucieux de sa popularité, s'étant montré réticent dans le passé à assumer la responsabilité d'attentats ayant coûté la vie à beaucoup de civils. «N'écartez pas une piste talibane. (Le mouvement) se projette comme plus modéré que l'Etat islamique et ne va donc pas se précipiter pour endosser la responsabilité d'une attaque sur des civils», a estimé l'expert régional Michael Kugelman sur Twitter. De son côté, l'organisation Etat islamique (EI), auteur de plusieurs attentats sanglants à Kaboul ces derniers mois, est restée muette. Le groupe terroriste a déjà mené plusieurs attentats à Kaboul, dont certains presque aussi meurtriers que celui de mercredi. En juillet dernier, plus de 80 personnes avaient péri dans une double attaque à la bombe. En mars, il a revendiqué un raid sanglant contre un hôpital militaire de Kaboul, tuant 60 personnes selon un bilan officiel contesté. Certains analystes soulignent toutefois que certains signes laissent davantage penser à une attaque talibane. Composé essentiellement d'ex-taliban ou d'anciens combattants d'Al Qaîda, l'EI a gagné en influence en Afghanistan, rebaptisé par ses soins province de «Khorasan». L'armée américaine a largué en avril la plus puissante de ses bombes non nucléaires sur un réseau de tunnels utilisés par l'EI dans la province orientale de Nangarhar, tuant des dizaines de combattants. Le renseignement afghan a, de son côté, mis l'attentat de mercredi sur le compte du réseau djihadiste Haqqani, allié des taliban et qui entretiendrait de longue date des liens avec de hauts responsables militaires pakistanais. Mené par Sirajuddin Haqqani, qui est également l'adjoint du chef des taliban, ce réseau est à l'origine de plusieurs attaques à Kaboul, dont celle de l'ambassade indienne en 2008, lors de laquelle près de 60 personnes avaient trouvé la mort. L'attentat, intervenu dans un contexte de détérioration sécuritaire et de grande incertitude pour l'Afghanistan, a été vivement condamné dans le monde entier. Le président américain Donal Trump a dénoncé «la nature barbare des terroristes, qui sont les ennemis de tous les peuples civilisés». «Il a également fait l'éloge des forces de sécurité afghanes pour leurs constants efforts en défense du peuple afghan face à des ennemis qui tentent de les priver de la sécurité et de la prospérité qu'il mérite tant», a indiqué la Maison-Blanche. Les Etats-Unis, engagés en Afghanistan dans le plus long conflit de leur histoire, réfléchissent actuellement à l'envoi de milliers de militaires supplémentaires. Ils comptent actuellement 8400 hommes dans le pays. Pour l'ONG Amnesty International, l'attentat de mercredi démontre que «le conflit en Afghanistan ne faiblit pas mais s'étend dangereusement, d'une manière qui devrait alarmer la communauté internationale». Agences