Pr Belkacem Mostefaoui Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l'information, Alger Il en est des médias dans une société comme de l'environnement dans son espace territorial : les nuisances de pollution, multiformes, imposent d'y remédier. Métastasant en cellules cancéreuses, sournoises de prolifération, celles véhiculées via les médias sont nuisibles à l'esprit humain et à la mémoire de la Nation. Instrumentées par les pouvoirs publics – comme de trop nombreux indices l'expriment en Algérie – ces nuisances convergent vers la production de propagandes populistes. Les propagandes sont ces chancres cancéreux qui, en sociétés non régies par l'Etat de droit, ont toute latitude de proliférer à l'infini de messages et de personnes touchées dans leur esprit. Elles trouvent de formidables moyens de diffusion (au sens premier de faire peur) dans le développement technologique des outils de communication. A titre d'illustration, il en a été ainsi du média radio naissant des années européennes 1930 utilisé par le ministre de la Communication Goebbels du régime hitlérien nazi. Il en est ainsi d'internet par l'actuelle organisation Daech, dans une logique de production massive de déshumanisation. La médiatisation des législatives 2017 vient de nous donner, une fois de plus et de trop, l'urgence de la tâche quant au déficit extrême de l'indigence des médias fabriqués dans le pays en matière de respect du droit à l'information des citoyens. Au mépris aussi des valeurs qui fondent le vivre-ensemble de l'Algérie. Les télés commerciales offshore ciblant la société algérienne, dont les premières ont été lancées à l'orée des législatives de 2012 ont aggravé l'anomie qui règne dans le champ médiatique, amplifiant la cacophonie à côté d'une pléthore de quotidiens de droit privé. Dans les mêmes dernières années, les usages amplifiés des réseaux sociaux ont brutalement déstructuré les paramètres de médiatisation en cours jusque-là dans le pays. La logique de production de flux des trois catégories de médias convergent trop souvent vers une forte tentation de fourguer, «à l'aveugle», et au mépris des fondamentaux des métiers du journalisme, des contenus fabriqués à la pâte de commentaires, rumeurs et images vidéo abrupto. Un seul principe guide leurs «éditeurs» : comment faire plus sensationnaliste. Dans ce magma, il est de plus en plus difficile de faire le départ entre l'information et la communication/rumeur. Médias traditionnels, les télés commerciales calquent leurs modes opératoires de production sur les réseaux sociaux. La précipitation de l'attrait du scoop leur interdit objectivement le respect des règles du journalisme. Usines de contenus les plus sensationnalistes (et à bas prix de revient), elles s'installent en superettes d'images télévisuelles. Tous les coups sont permis, en particulier contre les intellectuels et artistes non domestiqués par les clans du pouvoir : après l'imam gourou Hamadache appelant, sur Echorouk TV, au meurtre de l'écrivain Kamel Daoud, des «journalistes» d'Ennahar TV viennent de lyncher en direct du plateau Rachid Boudjedra. Des faits sont frappants de sens sur la collusion entre les propriétaires des plus imposantes télés privées et les pouvoirs publics. Ainsi, tout récemment, la même entreprise Chourouk éditant le quotidien éponyme s'est vue officiellement épinglée de 57 milliards de centimes de dettes impayées aux imprimeries d'Etat. Un cumul de nombreuses années que des ministres de la Communication ont laissé se développer sur le dos d'entreprises publiques. Dans le même temps, cette entreprise a été arrosée à volonté de pub de la centrale gouvernementale ANEP. A la veille de la campagne électorale dernière, le ministre de la Communication, M. Grine, a annoncé que 5 télés commerciales, parmi la forte cinquantaine en activité, sont accréditées pour couvrir l'événement. Et, bingo, sur les 5 figurent Ennahar et Echorouk, une autre étant Dzaïr TV appartenant au magnat des travaux publics Haddad, proche lui aussi du sérail. Un tiercé de télés commerciales ronronnant puissamment lors de cette séquence vitale d'élections pour la pérennisation du régime, pour accréditer leur qualité «massives propres et honnêtes». Quelques mois auparavant, le bulldozer a nettoyé le terrain en éliminant toute ambition aux éditeurs d'El Khabar TV. Prometteuse par sa qualité éditoriale, elle a fait les frais d'une cabale bureaucratique contre son projet de recapitalisation. Dans ce cas-ci, la justice algérienne a été d'une célérité exemplaire. Au sens de donner l'exemple à toute entreprise médiatique tentée par «l'aventure démocratique». Diverses questions valent d'être posées. Entre autres celle-ci : comment et pourquoi donc les éditeurs d'Ennahar TV et d'Echorouk TV affichent-ils ce sentiment d'avoir toute latitude de corrompre à volonté l'espace public par des émissions attentatoires à la dignité humaine et de fouler aux pieds toute règle du domaine ? Cette impunité est peut-être le butin/passe-droit engrangé d'un service rendu. Lancées comme opérations de «charme démocratique» dans la foulée du contexte des révoltes sociales enregistrées sur l'aire dite Monde arabe en 2010/2011, ces télés, comme la pléthore de quotidiens parapublics, ont bétonné des discours médiatiques populistes mâtinés d'islamisme soft aux germes salafistes. Le marécage dont elles ressortent (dont l'opacité totale question financement) est sans doute nauséabond, même si ses effluves peuvent apparaître à certains de moindre gravité. La constitution de ce marécage est le produit d'une politique de communication résolument élaborée et administrée depuis notamment une décennie par les tenants de la puissance publique en collusion avec des intérêts privés hors de tout respect de réglementation. Le ministère de la Communication en est le laboratoire. Hamid Grine, journaliste sportif et ancien manager de la com' de l'opérateur de télécoms Djezzy (qui a raflé la première licence de droit privé, hors appel à soumission internationale) a été ministre orfèvre communicant. Distillant à tout va, en une flopée de conférences des prêches sur «l'éthique et la déontologie». Il a su aider l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (ARAV) à se fossiliser en coquille vide. Ses membres restant toujours aphones, et son président se hasardant parfois à dire sur de graves décisions (comme l'agrément pour la couverture des législatives) : «Je n'ai pas été consulté.» Dans un logiciel rodé, l'hypothèse vaut d'être émise que Abdelmadjid Kaouane, son récent successeur consolide la logique de gouvernance en cours dans le domaine. Il cumule les «atouts» d'avoir patronné un quotidien gouvernemental, un quotidien du magnat Haddad… et la centrale mamelle de pub, ANEP. La nation algérienne a été sevrée d'un service public de l'audiovisuel depuis l'indépendance du pays. Elle se retrouve âme, cœur et esprit livrée à une nouvelle espèce de charlatans autrement plus redoutables et maléfiques que les bonimenteurs qui sillonnaient les marchés et places publiques d'antan, pas moins que les propagandistes des années de plomb du parti unique FLN. En derniers mots de cette synthèse contribution proposée au quotidien El Watan, rendons hommage aux éditeurs et journalistes de notre pays toujours et encore déterminés en 2017 à assumer et assurer la production d'un journalisme de qualité, honnête dans le sens qu'il tisse avec la société. Contre vents et marées, et à leur corps défendant, ils témoignent que les médias, anciens et nouveaux, ne peuvent être transfigurés en miroirs aux alouettes, pas plus que leur magnifique métier perverti en saltimbanque.