L'Algérie a plus que jamais besoin de faire reculer le populisme et la démagogie…», cette déclaration choc du secrétaire général du RND devant ses militants a fait couler beaucoup d'encre. Si elle a été pour la presse l'évidence même d'une insidieuse attaque de Ouyahia contre le Premier ministre sortant qui venait d'être limogé par le président de la République, elle a en revanche été presque reniée par son auteur qui s'est vite empressé d'accuser de manière frontale les médias et de leur faire un mauvais procès pour avoir mal interprété ses propos. Que s'est-il donc passé pour assister à un tel revirement d'opinion de la part d'un responsable politique qui a pour habitude de maîtriser à la virgule près ses conférences de presse ? A-t-il été rappelé à l'ordre pour avoir tenté de se repositionner dans une conjoncture nettement défavorable pour le Pouvoir, en tirant notamment sur une ambulance ? En tout cas, l'attitude méprisante du directeur de cabinet de la Présidence envers les journalistes n'a pas eu l'effet escompté. D'abord, nombreux sont les observateurs de la scène politique, et parmi eux des représentants du sérail, qui pensent que le leader de la deuxième force parlementaire est mal placé pour donner des leçons d'éthique et de morale, ayant été lui-même la parfaite incarnation du populisme et de la démagogie quand il dirigeait l'équipe gouvernementale. Ensuite, il fait fausse route en ciblant les commentaires et les analyses des journaux sachant que sa déclaration, source de toutes les extrapolations, a été mot pour mot rapportée par la très officielle agence de presse nationale (APS) qui ne peut en aucun cas être soupçonnée de céder à une quelconque tendance à la manipulation. Dans les deux cas, la probité intellectuelle de Ouyahia a été mise à rude épreuve dans cette affaire médiatique que ce dernier a voulu transformer à son avantage alors qu'il se trouve plus que jamais en difficulté dans son cheminement politique. S'il faut lui reconnaître l'art et la subtilité de bien «composer» avec la presse lors de ses sorties publiques, bien que ces apparitions à l'image de la toute récente constituent le plus souvent un non-événement qui mériterait, en étant large, pas plus qu'un entrefilet dans les journaux, il reste que dans le fond l'image rassurante et parfois arrogante qu'il affiche ne correspond totalement pas (ou plus) au poids politique qu'il représente actuellement, voire à la dimension politique qu'il veut entretenir devant l'opinion. En termes plus codés, le directeur du cabinet de la Présidence qui veut jouer gagnant sur deux tableaux ne représente plus, selon certaines sources, cet élément indispensable dont a besoin le chef de l'Etat et sur lequel il pourrait compter le cas échéant. Ouyahia, malgré donc tout le forcing qu'il fait pour demeurer dans la périphérie de la sphère décisionnelle cruciale, en ne ratant pas notamment une seule occasion pour souligner son allégeance indéfectible à Bouteflika à travers le soutien qu'il apporte à son programme, serait selon les spécialistes des luttes de clans, en parfaite disgrâce pour avoir tenté, à certains moments de son ascension, d'aller à contresens de la voie qui lui a été tracée. En fait, s'il est maintenu dans les travées du sérail de par sa fonction, c'est plus pour des impératifs administratifs que politiques. L'objectif principal étant selon toute vraisemblance de ne lui laisser aucune perspective pour l'aboutissement de son ambition à la succession présidentielle. Le dernier réaménagement gouvernemental que Bouteflika a effectué après l'éviction de Sellal pourrait être illustratif sur les rapports qu'entretient le Président avec son commis d'Etat. Il ne lui a concédé aucun portefeuille régalien, lui qui aspirait à une représentation nettement plus conséquente, plus conforme avec ses résultats aux législatives, et seulement deux postes ministériels, autrement dit des «miettes» que le patron de RND a très mal digéré. La pilule a été très dure à avaler au moment où Ouyahia espérait une attention plus conciliante à son égard relative au soutien et à la solidarité sans failles qu'il a témoignés au clan présidentiel. Durant sa conférence de presse, il aura beau essayé d'atténuer l'impact catastrophique sur le moral de ses troupes, disant a qui voulait l'entendre que le RND n'a jamais cherché à négocier des places au gouvernement, il avait visiblement du mal à dissimuler la profonde amertume qui l'accablait, prise comme un revers politique retentissant alors qu'il se voyait remis sur orbite pour la présidentielle de 2019. Il est clair que dans les arcanes inviolables du sérail on ne veuille plus de Ouyahia comme postulant à la succession, alors qu'à un certain moment de la crise politique aggravée par la maladie du Président, il était effectivement dans les tablettes pour tenir ce rôle. Tout comme on a décidé d'extirper de la «matrice» le Premier ministre sortant qui croyait lui aussi en son étoile en prenant des libertés jugées un peu trop provocatrices. Et celles avant de Hamrouche, Ghozali, Benflis et d'autres encore qui n'avaient pas «le profil» toléré. Si Ouyahia a traité Sellal de populiste et de démagogue pour mieux se valoriser, le retour de manivelle contre lui aura été aussi foudroyant que l'ont été ces deux pointes lourdes de sens qui semblaient incontrôlées. Mais qui voulait-il leurrer en se mettant dans un angle de tir aussi risqué ? Pour l'Algérien lambda, il n'y aurait pas plus manieur du populisme et de la démagogie que ce responsable qui a laissé, lors de ses passages à la tête de l'Exécutif, des casseroles mémorables que personne n'est près d'oublier. Faut-il lui rappeler que c'est sous son règne que le potentiel des collectivités locales a été complètement déstructuré, que des centaines de cadres ont été jetés en prison pour mauvaise gestion, que la loi sur l'arabisation et le code pénal bis ont été réhabilités, que des mesures impopulaires comme les ponctions salariales des petites bourses ont été prises… S'il n'a pas pu faire oublier toute une entreprise politique désastreuse qui a affecté les couches les plus démunies, comment peut-il encore lancer des «plans» d'urgence ou des «stratégies» pour limiter les effets de la crise sur le social et l'économie ? D'autant que ses «affaires familiales» commencent à être étalées dans la rue comme pour montrer un revers de la médaille pas aussi orthodoxe que ça et sur lequel l'opinion a droit de savoir.