Le retour annoncé des gendarmes en Kabylie, du reste souhaité par de larges secteurs de la population, a pris l'allure d'un véritable fait divers. Les hommes en vert qui y ont été chassés en 2001, pour avoir tué 125 jeunes de cette région durant le printemps noir, ne sont plus indésirables. Bien au contraire, sommes-nous tentés de dire. Depuis l'annonce de cette mesure par le wali de Tizi Ouzou, voilà plus d'une semaine, point de réaction. Il a fallu attendre hier pour voir les deux ailes des archs - les dialoguistes et les non-dialoguistes - s'exprimer curieusement le même jour. Et quand on observe ce silence « consentant » du mouvement citoyen toutes tendances confondues, qui a fait du départ des gendarmes la revendication la plus scellée et la moins négociable de la plate-forme d'El Kseur, on déduit que cela marque la fin d'une époque. Bien que les partisans de Belaïd Abrika aient fait savoir hier leur rejet du retour des gendarmes, il est tout de même difficile d'imaginer un quelconque impact de leurs éventuelles actions pour appuyer leur rejet. En l'occurrence, les citoyens de la Kabylie ont divorcé d'avec la protesta depuis au moins deux années, après la conclusion par cette même tendance justement « d'un accord cadre » en janvier 2005 sous le gouvernement Ouyahia. Un protocole d'accord qui n'avait pas tranché le principe du départ des gendarmes. Pas plus que la mise sous la tutelle des élus de tous les corps de sécurité comme il a été inscrit noir sur blanc dans la plate-forme d'El Kseur. Le départ de Ouyahia de la chefferie du gouvernement, alors que le fameux dialogue devenait déjà un peu sourd, a donné le coup de grâce à une démarche dont le pouvoir a tiré le maximum de dividendes politiques. Il a, en effet, réussi par l'entremise du rusé Ouyahia à arracher à la rue un mouvement d'essence populaire et l'a embrigadé dans une commission ad hoc dont il avait du mal à en sortir. « Le dialogue est terminé », cette sentence du ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, au lendemain du départ de Ouyahia a dû donner froid dans le dos des animateurs du dialogue des archs. La fin de mission et l'ordre de mission La population, elle, a fini par perdre ses illusions, constatant que ceux qui prétendaient la représenter sont devenus orphelins de Ouyahia. Ce dernier a bien sûr fait ce qu'il fallait faire, en réussissant avec brio, il faut le dire, à extraire les irréductibles opposants de la Kabylie, de la protesta. Fin de mission pour l'ex-chef du gouvernement mais également solde de tout compte pour les animateurs du mouvement citoyen qui devaient se satisfaire de quelques dinars versés aux familles des victimes du printemps noir. Vinrent après les élections partielles en Kabylie. 24 novembre 2005, 24 novembre 2006. Il y a une année jour pour jour, la Kabylie renoua avec le vote. Les archs dialoguistes n'ont pas appelé les citoyens à participer. Mais ils n'ont pas non plus donné une consigne négative. L'abstention publique offrait en effet l'avantage de ne pas cautionner une opération à risque et de ne pas tourner le dos à un pouvoir avec qui il dialoguait depuis une année. Ayant manifestement tablé sur une désaffection massive des urnes, les archs ont dû constater que la population a tranché en faveur du… politique. S'il est vrai que les deux partis, le FFS et le RCD, ont arithmétiquement reculé en termes de voix, l'entrée en scène des archs n'avait pas pour autant bousculé la hiérarchie politique locale. Ce fut, sans doute, un message fort des électeurs de Kabylie qui, par leur choix, ont signé la fin de mission des archs. Une année après, et à l'approche des élections législatives, les différentes tendances du mouvement citoyen se remettent en scelle non pas pour tenter d'arracher la quintessence de la plate-forme d'El Kseur, jetée oubliettes, mais pour échafauder la meilleure façon de se mettre en orbite pour ne pas rater le rendez-vous du mois de mai prochain. Si certains s'activeront ouvertement dans une sorte de sous-traitance au profit des partis, d'autres tenteront de se mobiliser autrement pour la même finalité. Et dans les deux cas de figure, il y a une seule victime : le mouvement citoyen avec ses idéaux et ses espérances. Les archs sont morts, vive la politique… !