L'été de la fin. Après la mise à l'écart de Abdelmalek Sellal et de l'ex-puissant ministre de l'Industrie, Abdessalem Bouchouareb, le sabre à couper les têtes semble se rapprocher du président du Forum des chefs d'entreprise (FCE), Ali Haddad. D'évidence, le patron du FCE est dans le viseur du Premier ministre. Dès son installation, Abdelmadjid Tebboune a sonné la charge contre «l'argent sale» et Haddad a saisi le message au vol. Il s'est confiné dans un silence embarrassant. Le nouveau Premier ministre ne fait pas mystère de son hostilité à l'égard du président du FCE. L'épisode d'avant-hier, lorsque M. Tebboune a inspecté l'Ecole supérieur de la sécurité sociale d'Alger, où Ali Haddad, invité à prendre part à la visite, a été sèchement prié de quitter la salle avant l'arrivée du Premier ministre sur ordre de ce dernier. Plusieurs sources rapportent également que le chef de l'Exécutif refusait d'assister à des dîners privés où Ali Haddad était convié. D'autres sources assurent qu'une décision est «prise pour ne plus attribuer de nouveaux marchés à l'entreprise ETRHB». La publication dans la presse nationale par le ministère des Travaux publics des mises en demeure à l'encontre des entreprises de l'ETRHB, en charge de la réalisation des travaux de routes et de chemins de fer, illustre cette «mise à mort politique» annoncée du président du FCE. Et avec lui les patrons privés qui composent le bureau de l'organisation patronale. Un tournant de la rigueur ? Une moralisation de la vie publique ? Un lâchage ? En tout état de cause, l'équipe du FCE fait profil bas. «Ils vivent la peur au ventre depuis quelques semaines», nous confie un chef d'entreprise privée au fait des coulisses des milieux d'affaires algérois. D'aucuns estiment que la stratégie pilotée en haut lieu permet au régime de Bouteflika de «faire peau neuve». «Ce mouvement a pour objectif de faire le nettoyage dans l'entourage présidentiel, qui toucherait des politiques et des hommes d'affaires emblématiques du quatrième mandat, devenus trop encombrants et surtout détestés par l'opinion publique. Une manière de permettre au président Bouteflika de finir son mandat en beauté», fait remarquer un ancien ministre qui a requis l'anonymat. De toute évidence, la Présidence et le Premier ministère semblent prendre leurs distances avec certaines figures qui incarnaient et défendaient les orientations politiques et stratégiques du gouvernement de Bouteflika. Ali Haddad est l'une de ces figures emblématiques, propulsé au premier rang de la garde présidentielle à la veille de l'élection présidentielle de 2014, où il a joué le rôle de «bayeur de fonds» du président-candidat. Le patron du groupe ETRHB s'est taillé une place de privilégié dans l'équipe post-quatrième mandat et a vu son groupe prendre de l'ampleur et rafler une part importante des commandes publiques. De la petite entreprise familiale d'Azeffoun, spécialisée dans le bitumage début des années 1990, l'ETRHB a rapidement grandi à l'ombre du quatrième mandat. Elle s'est transformée en un puissant groupe qui a diversifié ses activités. Son patron est devenu un magnat dans le secteur des travaux publics et a capté l'essentiel des marchés publics alors que les caisses de l'Etat étaient pleines. Des parts importantes dans la réalisation de l'autouroute Est-Ouest, la construction de bâtiments, le rail, la construction de stades, l'introduction dans le sport, les médias, l'hôtellerie. Haddad, un empire mal forgé La règle des 51/49 lui a beaucoup profité. Il est «le monsieur 51% dans beaucoup de partenariats avec les entreprises étrangères». Un empire économique bâti grâce aussi et surtout à sa position politique. L'intronisation à la tête de l'organisation patronale en novembre 2014 au terme d'une élection rocambolesque, le super patron Ali Haddad se voit ainsi récompensé pour les services rendus, mais également le mettre sur une rampe de lancement économique. Fort de sa position patronale et de sa proximité avec le centre du pouvoir politique, il figure sur la short list des hommes qui comptent dans le pays. Son influence prend de l'ampleur et il ne se prive pas de l'exercer. Au lendemain de son élection à la tête du FCE – interlocuteur privilégié des pouvoirs publics – Ali Haddad imprime sa marque et impose sa méthode. Souvent maladroitement. Il s'est érigé en autorité faisant peur aux hauts fonctionnaires. L'homme est redouté. Sa première démarche était de demander à tous les ministères de collaborer avec son organisation en installant des «comités mixtes». Un nouveau concept inventé à l'occasion. A l'époque, une ministre ne sachant pas comme réagir à la sollicitation du président du FCE s'est même plainte au Premier ministre. Devant le puissant patron du FCE, les institutions s'écrasent. Ce qui a fait bondir la cheffe du Parti des travailleurs. Louisa Hanoune, l'une des rares leaders politiques à assumer d'affronter ouvertement le patron du Forum des chefs d'entreprise, s'est vertement attaquée à l'«oligarchie aux appétits voraces». Pendant des semaines, Louisa Hanoune s'est employée à freiner l'ascension de «la caste des prédateurs qui mettent à genoux les institutions de l'Etat». Mais les salves de la leader de gauche ne semblent pas déranger outre mesure l'un des hommes les plus protégés de la République. Ne manquant aucune occasion pour s'afficher aux côtés des décideurs, Ali Haddad fait croire à tout le monde qu'il est «l'ami intime du frère du Président» avec qui il s'affiche à chaque fois que l'occasion le lui permet. Il devient incontournable et inévitable dans les forums nationaux et internationaux. Et lors de certaines rencontres, il réussit à s'introduire alors qu'il n'était pas convié. Dans les réunions internationales, sa parole pèse plus que celle des ministres. Mais à chaque prise de parole, c'est la bourde assurée. Lors de Forum africain d'investissement organisé à Alger en novembre 2016, il a voulu montrer au ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, que «le chef, c'est lui». Une attitude qui a choqué au plus haut point et peut être au plus haut. Mais sans que cela fasse réagir. Du moins immédiatement. Porté au pinacle, l'inénarrable Ali Haddad trône sur la «République» des affaires. Le pouvoir politique a fait de lui le visage et le symbole de la réussite économique, qui n'est en réalité qu'une accumulation primitive et rapide du capital. Une construction artificielle qui devait se faire aux dépens d'une génération d'entrepreneurs désormais voués aux gémonies. Une stratégie qui donne de mauvais fruits et qui écorne l'image d'un pouvoir finissant alors que les caisses de l'Etat ont connu un siphonage organisé. Alors que ses entreprises connaissent des difficultés financières insurmontables, Ali Haddad court le risque d'être détrôné à la faveur d'une nouvelle cartographie du pouvoir en cours de configuration, dans laquelle les alliés zélés d'hier risquent d'être laissés sur la route de la succession. C'est dans la nature génétique même du pouvoir.